78 - Chloé

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Depuis que je suis enceinte, je ressens plein de choses. L’Invisible est en moi, il m’est transmis comme il l’a été à Noël, par Aline. Hélène vient souvent nous voir pour profiter de la piscine soi-disant, mais en fait c’est pour me poser des questions sur la cave, elle est pressentie pour la gérer à la rentrée. Elle rentre à SciencePO BFC, comme nous avant elle. Sauf qu’elle ne se pointe pas en tant que fille du maire ou fils du sous-préfet, mais carrément en tant que fiancée. Je lui donne plein de bon conseils et lui ordonne de m’appeler à la moindre question, je ne veux pas qu’il arrive quelque chose de mal à la jeune fiancée de mon beau père, on se sait jamais. Pendant qu’on cause, je m’amuse à lui faire des couettes :

  • Arrête Clo ! On voit mes oreilles décollées.
  • C’est dingue, même tes défauts on du charme. Tous tes défauts ont du charme. Ils vont te prendre pour une sorcière à l’école. J’ai une jolie robe blanche à fleur pour toi. Et une grosse sucette rouge. C’est comme ça que tu dois rentrer chez toi ce soir, ça va l’émoustiller.

Je ressens Hélène à travers ses couettes. Je vois pourquoi elle complexe autant avec cette histoire du cousin dégueulasse de sa mère. Mais j’ai le sentiment qu’elle se trompe sur cette histoire. Pour en avoir le cœur net, je lui demande de se retourner, de me faire face et de tendre ses mains. Je ris en voyant sa tête, elle fait la moue, elle boude avec son visage de petite fille. Puis je ferme les yeux et je me concentre. Je vois sa mère qui court dans les champs de blé l’été, elle est poursuivie par son cousin, un peu grassouillet, un peu ralenti, mais qui arrive à la rattraper, ils chutent ensemble en riant et en se chatouillant. Puis ils se calment, se regardent tendrement et s’embrassent. Je ressens la chaleur et la force de tout cet amour. À chaque fête de famille ils sont ensemble, ils s’éclipsent discrètement, ils se découvrent, ils s’aiment. Puis ils grandissent, leurs destins se séparent, ils font d’autres rencontres. Mais à chaque fête de famille, ils se retrouvent. Un simple regard et tout refait surface. Après quelques années chacun en couple de leur côté, à un moment où ils se sentaient respectivement délaissés par leur conjoint, ils décident de se revoir, en dehors des fêtes de famille, et c’est la passion absolue, une liaison profonde secrète et durable qui verra naitre Hélène. Mais depuis cette liaison, dans les fêtes de famille, ne pouvant pas exprimer leur amour, ils essaient de se calmer dans l’alcool. C’est pour ça qu’ils sont souvent saouls aux barbecues. Et encore aujourd’hui, ils se voient régulièrement, et vivent leur amour fou toujours en secret. Je rouvre les yeux et en voyant Hélène pleurer, je comprends qu’elle a tout vu aussi.

  • Ça y est, Hélène, tu connais ton histoire. Il ne faut pas pleurer, c’est une belle histoire et tu en es le joli fruit défendu, c’est beau, c’est pour ça qu’on ressent autant de beauté en toi, c’est tout l’amour que tes parents ont entre eux qui se reflètent dans ton âme.
  • Chloé, c’est pas ça qui me fait pleurer. En parallèle je voyais ton histoire. Elles se ressemblent tellement. Mais pour toi ça s’est vite arrêté, c’était tellement triste. Tu n’as pas pu garder le bébé. Ton cousin s’est suicidé. On l’a retrouvé dans la brume, dans les champs de ta grand-mère. Tu as tout perdu.

Hélène se jette dans mes bras et pleure. Pas moi. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que ça y est, j’ai fait mon deuil ? Que toute ma peine s'est évaporée dans la pauvre petite Hélène.

Lorsqu’Hélène se jette dans les bras de Chloé, elle chasse tout le désarroi et la tristesse qui se trouve en l’autre. Une onde de choc se propage autour d’elles et le blast atteint Noëlle qui, dans sa chambre à califourchon en train de s’affairer sur monsieur le maire, perd l’équilibre et tombe du lit :

  • Bordel c’était quoi ça ?

et le maire de répondre :

  • Tu as joui ?

Elle regarde par la fenêtre et les voit pleurer l'une dans l'autre et répond machinalement à son homme :

  • Oui, mon amour, tu m'as envoyé au septième ciel tellement fort que je me suis cogné contre les étoiles de mon plaisir et j'ai perdu l'équilibre sous la puissance de ta poutre d'amour en moi que j'ai sentie vibrer comme un marteau piqueur de bonheur.

Je vois arriver Noëlle qui attache sa robe avant de nous enlacer toutes les deux en essayant de consoler la pauvre petite chose qui fond dans mes bras. Elle demande :

  • Ça va aller les filles ? Il ne faut pas être triste comme ça. Tout va bien se passer. On va y arriver. On va aller de l'avant. On va de l'avant ! Fini les pleurs, on a des hommes à rendre heureux, d'autres à qui pardonner. Que dis-je ? On les rend heureux. On leur pardonne. On les aime.

Maintenant je me sens vraiment dans la famille, dans le clan, à tout partager, en toute confiance, à consoler, à se faire consoler. La consolation. Simple et puissante. Efficace. Le maire nous observe. Il se demande ce qu'il se passe.

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