Dans ce monde étrange, où le temps ne s’écoule plus comme avant, j’avais un choix à faire chaque matin. Chaque journée était un luxe que je devais acheter, un prix à payer pour continuer à respirer, pour continuer à voir la lumière du jour. Mais le prix n’était pas celui qu’on pensait. Non, ce n’était pas de l’argent, pas de la monnaie. C’était quelque chose de bien plus précieux : un souvenir. Un souvenir effacé, arraché de ta mémoire, comme un livre dont on brûlerait une page sans que tu puisses jamais la retrouver.
Le marché était simple : tu achètes ta journée, mais tu perds quelque chose d'important. Le souvenir d’un rire partagé avec un ami, la sensation de la première neige sous tes pieds, peut-être même un amour oublié. On ne savait jamais ce qu’on perdait. Et plus tu achetais de journées, plus il devenait difficile de savoir ce qu’il te restait.
Je vivais dans cette routine. Un matin, je me levais, je payais ma journée, et je laissais un souvenir derrière moi. Une part de moi disparaissait à chaque instant, mais je me disais que je ne pouvais pas m'arrêter. Parce que s’arrêter, c’était mourir, n’est-ce pas ? Mais mourir était facile, au fond. Le plus dur, c’était de vivre… sans savoir ce qu’il te restait.
Aujourd’hui, encore une fois, je me suis levé. Une nouvelle journée, une nouvelle transaction. J'ai regardé le compte de mes souvenirs. Si je le voulais, je pouvais acheter plusieurs jours d’un coup. Un par un, les souvenirs s’effaçaient, tout simplement. Mais j’ai hésité. Cette fois, il y avait quelque chose de différent. Ce n’était pas la fatigue de la vie, ce n’était pas le manque. Non, c’était un sentiment étrange, comme si quelque chose en moi se rebellait.
J’ai regardé la lueur du matin, le soleil se levant à l’horizon, et je me suis demandé : « Est-ce que ça vaut vraiment la peine ? » Est-ce qu’une vie sans souvenirs peut vraiment être vécue ?
J’ai décidé de ne pas acheter la journée. Juste une fois, juste pour voir. Et là, la douleur est venue. Ce n’était pas la douleur de la fin, mais celle d’une existence sans passé. C’était le vide, le néant. Un instant, un tout petit instant, j’ai eu l’impression de perdre la seule chose qui me restait : moi-même.