Chapitre 31 - Felix

4 minutes de lecture

19 avril – 18 heures 17

Restaurant Kurumaya

Suhua est en larmes devant moi.

Et je comprends immédiatement pourquoi elle a peur de tomber amoureuse de moi.

J’ai flirté, j’ai joué, j’ai taquiné… sans savoir qu’elle avait peur de ce qui pourrait arriver. Surtout qu’on va devoir se séparer dans huit mois.

Je déteste le connard qu’est son père et qui lui a fait croire pendant quatorze ans que tomber amoureuse ne lui servirait à rien, la blesserait.

De quoi j’aurais l’air, à lui dire « je t’aime » alors qu’on doit se séparer en décembre ? Je ne veux pas devenir une personne qui la blessera.

Je ne veux pas qu’elle se souvienne de moi comme du con qui l’a quittée.

Le serveur pose nos assiettes.

- Mademoiselle, vous allez bien ? demande-t-il en japonais.

- Ne vous inquiétez pas, merci, réponds-je au serveur.

Il s’incline et repart. Je serre la main de Suhua. Elle me lance un regard, la lèvre inférieure ressortie.

- Felix… On va où, après ?

Hein ?

- Euh, à Fukuoka, la ville principale de l’île de Kyūshū.

- Il faut prendre l’avion ?

J’opine du chef.

- Nous allons retourner à Tokyo en train, pour aller à l’aéroport Haneda. Il y a une heure quarante de vol.

- D’accord.

- On restera pour le mois de mai et le mois de juin sur l’île de Kyūshū, avant de prendre l’avion pour l’île de Hokkaidō.

Suhua hoche la tête et commence à manger son riz cantonais. Je lui demande si je peux rappeler Karina et elle accepte.

Ma grande sœur arrive. Elle ne dit rien quand elle voit les larmes de Suhua et s’installe pour manger son plateau de sushis.

- J’espère que ce n’est pas toi qui l’a faite pleurer, souffle-t-elle en japonais.

Suhua claque ses baguettes et relève la tête vers nous, énervée.

- Arrêtez de constamment vous faire des confidences en japonais ! Je ne comprends rien, j’ai l’impression de ne pas exister. Felix, tu as dit que tu ne me laisserais pas de côté.

J’entrouvre les lèvres. Je ne cherche pas à me justifier.

- Je suis désolé.

Elle est triste, c’est normal qu’elle s’énerve. Je ne lui en veux pas. Et puis, Suhua a raison : elle est mise de côté chaque fois que je parle en japonais avec Karina.

- Toi aussi, tu fais des fausses promesses ? souffle Suhua.

- Non.

- Bon, vous voulez que je retourne faire caca pour que vous terminiez votre dispute d’amoureux ?

- On n’est pas amoureux, claque Suhua. Et ça ne risque pas d’arriver.

Mon cœur s’arrête. J’essaye de me persuader qu’elle dit ça juste sous le coup de la colère, mais peut-être qu’elle le pense réellement.

Karina me lance un regard. Je tourne la tête vers la droite, évitant les yeux de ma sœur.

* * *

Suhua installe correctement son futon pour dormir. Je viens d’avoir une discussion avec ma sœur pour lui dire d’arrêter de parler de ma relation avec mon amie.

Je suis devant la porte ouverte, et j’observe Suhua. Je toque doucement à la porte de la chambre pour demander la permission d’entrer.

- C’est ta chambre, répond Suhua.

Je viens m’asseoir sur mon lit et retire ma veste. Je profite du fait qu’elle ait le dos tourné pour remplacer mon pantalon par un jogging très large et mon débardeur par un sweat accordé.

- Même pour dormir, tu trouves le moyen d’être stylé, dit-elle en s’enroulant dans sa couverture.

- Je suis toujours stylé.

Suhua sourit et s’assoit à côté de moi.

- Je suis désolée de m’être énervée.

- Ce n’est pas grave.

- Mais j’ai juste peur d’être abandonnée, laissée de côté.

Elle se remet à pleurer. Je ne sais même pas quoi faire. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais même pas si elle veut que je parle.

Qu’est-ce qu’elle attend de moi ?

Suhua se met face à moi et pose son front sur mon épaule. J’ignore mon cœur et me concentre sur elle.

- Suhua…

Elle s’avance et s’assoit sur moi, ses jambes entourant mon bassin. Elle laisse sa tête dans mon cou et pose ses mains dans mon dos.

J’hésite avant de déposer doucement mes mains sur sa taille et de la serrer contre moi, mon visage dans ses cheveux.

Quelques minutes après, elle s’arrête de trembler et s’éloigne de moi, les joues rouges.

- Désolée. Et merci d’avoir accepté de…

Elle fait des gestes aléatoires avec ses mains.

- Me faire un câlin.

Je lui souris.

- On dort ?

Elle hoche la tête et retourne dans son lit, séchant ses larmes. Je demande son autorisation avant d’éteindre la lumière.

Suhua pousse un petit soupir fatigué.

Allongé, je me tourne vers le mur. La vérité, c’est que j’ai adoré tenir Suhua contre moi, et que je le ferai tous les jours si je le pouvais.

Seulement, si je suis prêt à lui dire que je l’aime, je sais que ce n’est clairement pas le bon moment. Pas alors qu’elle vient de raviver le souvenir de son père parti, et de sa mère lui disant que l’amour ne sert à rien.

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