Chapitre 68 - Suhua

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7 novembre – 15 heures 03

Yokohama

Je lâche la main de Felix pour taper le code de mon portable et je vais dans l’application d’appel pour tenter de joindre mon frère. Il ne répond pas, alors je téléphone à Lia. Cette dernière décroche à la deuxième sonnerie.

- Allô, Suhua ?

- Lia ! Tu es avec Suhui ?

- Il dort. Il n’est que huit heures en France. Tu vas bien ?

Je pousse un soupir de soulagement. Je suis contente de savoir qu’ils sont encore ensemble et que la dispute de la dernière fois a été réglée.

- Ça te dérange de me le passer ?

- Non, pas de problème. Eh, Suhui, réveille-toi.

J’entends le bruissement des draps et mon frère qui baille. Felix me jette un regard et je hoche la tête pour lui signifier que tout va bien.

- Suhua? lance mon frère d’une voix ensommeillée.

- Ah, Suhui. Tu vas bien ?

- Ouais. Et toi ? Tu es où ?

- Je vais bien, je suis à Yokohama.

- Ok, tant mieux. Bon anniversaire, p’tite sœur. Ça va, avec ton copain ?

Je rougis légèrement.

- Oui. Et avec Lia, ça s’est réglé du coup ?

- Oui. Tu vois bien. Tu appelles pourquoi ?

- Je voulais savoir si tu avais des nouvelles de Maman. Vu qu’elle a arrêté de me harceler…

- Elle me parle, mais jamais de toi. Je t’avais dit qu’elle avait laissé tomber.

- Ok. Bah… Salut.

- Juste pour ça, sérieux, Suhua ?

- Ah, je prends des nouvelles !

Suhui rit à l’autre bout du fil.

- Ok. Allez, salut, p’tite sœur. Profite bien de ta journée. T’as vingt-trois ans, bientôt la retraite.

Je l’insulte en mandarin puis je raccroche.

Felix demande si c’est bon ou si j’ai quelqu’un d’autre à appeler, et je l’informe que tout est ok.

- Tu ne préviens pas ta mère que tu rentres dans deux mois ?

- Pourquoi faire ? Elle le verra bien quand j’arriverai à Rochefort-en-Terre.

- Ok.

* * *

Felix et moi sommes assis sur une terrasse, le soleil se couche. Je sirote un cocktail à la cerise tandis que mon petit ami boit son habituel mocktail. Il a dû batailler pour l’avoir, car il n’en faisait pas à la carte, mais Felix a insisté en disant qu’il était prêt à payer plus cher. L’argument a fait mouche.

- J’ai un dernier cadeau pour toi, lance Felix.

Je hausse un sourcil, intriguée, tandis que mon petit ami récupère quelque chose dans la poche à l’intérieur de son gilet noir. Ce mec a des poches partout, mais c’est moi qui tiens son téléphone. N’importe quoi.

Felix me tend le livre que j’ai regardé tout à l’heure dans la boutique de peluches et je relève les yeux vers lui.

- Je ne l’ai jamais lu, en fait. Je l’ai acheté le jour où Robin a débarqué en pensant à toi, et j’ai paniqué quand tu l’as regardé tout à l’heure.

- Merci, Felix.

J’attrape sa jambe entre les deux miennes, faute de pouvoir lui faire un câlin. Je m’amuse à bouger ses pieds jusqu’à ce qu’il me dise d’arrêter parce que ça va abîmer ses chaussures.

- Ah, il fait bon, soupiré-je.

Les derniers rayons du soleil caressent ma peau. Il fait plutôt chaud pour une soirée de novembre, mais c’est agréable.

- Le beau temps mettra Karina de bonne humeur.

Pile quand Felix dit ça, une rafale de vent souffle et des gouttes de pluie commencent à tomber. Une averse violente arrive, détrempant rapidement mes vêtements.

Pourquoi est-ce qu’on a choisi une terrasse extérieure ?

Felix et moi nous levons et mon petit ami me propose de rejoindre l’hôtel pour le repas du soir. De toute façon, il y a des restaurants dans le hall, alors j’accepte.

On prend le métro et je suis très heureuse de trouver une station juste en face de l’hôtel. La pluie tombe encore plus fort, l’eau dégouline sur mon visage et trempe mon jean, ce qui n’est pas très agréable.

- S’il pleut sur la mer, le niveau d’eau monte ? demandé-je quand nous sommes à l’abri.

Une petite flaque se trouve autour de Felix et moi. J’entends la pluie fouetter les portes et les vitres, et elle est tellement forte qu’elle coule, lisse, sur les fenêtres, sans aucune goutte distincte.

Je retire mon béret et l’essore, tout en attendant la réponse à ma question.

- J’en sais rien. Je crois que le niveau d’eau de mer monte de deux millimètres par an. On a de la marge avant de se retrouver noyés, Suhua.

Nous montons dans notre chambre en passant par l’ascenseur dont le sol en moquette aspire toute l’eau qui coule de nos corps. On débarque dans notre pièce, et sans réfléchir, nous allons prendre un bain.

À deux.

Je m’enfonce dans l’eau brûlante jusqu’au menton, mes mèches de cheveux flottant à la surface, quand je réalise que je viens de me jeter dans un bain avec Felix.

Le pire, c’est que c’est drôle.

Ça va, c’est qu’un bain. Vous avez déjà couché ensemble, je te signale, Suhua Liu.

Je me détends, profitant du bain chaud. Felix observe attentivement mon visage, un léger sourire aux lèvres. Quand je dis « quoi », il me sort :

- Rien. C’est juste que depuis ce matin t’as du sucre glace sur le coin des lèvres.

- Hein ?

Je ne peux même pas me lever et vérifier si l’information est vraie. Je sors ma main de l’eau et frotte ma bouche puis constate que, oui, j’avais du sucre glace. J’éclabousse Felix.

- Pourquoi tu ne m’as pas prévenue plus tôt ?

- Je sais pas. Je trouvais ça mignon !

Felix sourit, et soudain je me pose une question existentielle.

- Eh.

- Quoi ?

- Tu penses que… que t’aurais été heureux si on s’était jamais rencontrés ?

Felix me fixe, sûrement étonné que je dise un truc sérieux. Il se perd dans des réflexions, je le vois à son regard vide. Je stresse un peu, mais je me dis que ça ne sert à rien puisqu’on s’est rencontrés et donc que sa réponse n’aura aucune influence sur le présent.

- À vrai dire… Avant qu’on ne se rencontre, j’avais ma vie à Kyoto et j’allais à Tokyo voir Karina une fois de temps en temps. Je voyageais à Paris, Séoul et d’autres villes pour voir comment avançaient les constructions des immeubles de mon père… Bref. Ma vie était… pas triste, mais je m’épanouissais pas non plus, quoi. Je veux dire, y avait des moments où j’étais heureux, évidemment. Mais j’étais un peu… vide. Quand dans la gare tu m’as dit « fais-moi visiter le Japon », je me suis dit « pourquoi pas ? J’ai rien d’autre à faire. » Je voulais changer un peu mon quotidien. Donc… oui, j’aurais été heureux, mais beaucoup moins qu’en étant avec toi.

J’opine du chef.

- Et… Tu te souviens de quand t’es tombé amoureux de moi ? Vraiment amoureux, pas juste un crush. Parce que je suppose que la tour de Tokyo c’était le début des sentiments. Quand est-ce que tu t’es dit « je l’aime » ?

- Le rooftop à Ginza. Et toi ?

Je souris.

- Au décollage de l’avion pour Fukuoka. Quand tu m’expliquais comment rester chic en été sans crever de chaud. Une preuve que même si je t’embête, je suis tombée amoureuse de toi pour ce que t’es.

Je ris, mais Felix me regarde avec sérieux. Il se racle la gorge et passe sa langue sur ses lèvres avant de sortir :

- Je sais que ça peut paraître bizarre parce qu’on est dans un bain, c’est pour ça que je te demande l’autorisation, mais je peux te prendre dans mes bras ?

Mon cœur s’emballe. J’opine timidement du chef, et l’eau fait des petites vagues quand Felix m’attire contre lui. Il enfouit son visage dans mes cheveux mouillés et dépose un baiser dans mon cou.

- Je t’aime.

Je jette un regard à sa tête – enfin ce que je distingue de sa tête, c’est à dire ses cheveux – et souris.

- Je t’aime aussi.

* * *

Nous prenons notre repas avec Karina et Robin, et quelque chose a changé entre eux. Je ne saurais dire quoi. Peut-être le fait que Robin jette pleins de petits regards à Karina. Ou le fait que leur épaule sont collées.

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