Premier Sang
- Désolée... On est désolés, c'est un malentendu... On a cru que vous aviez pris notre ami en otage... On est...
- Vous êtes les Morfales ? demanda le chef.
- Ah, euh... répondit Dysill, étonnée. Ah, bah euh, oui. C'est nous. Comment est-ce que vous savez ça ?
Kebos ordonna à ses hommes de baisser leurs armes.
- Un ami de longue date nous a prévenu de votre passage... Mais je ne pensais pas que ce serait si tôt.
- Oh chic ! C'est sûrement Esvet ! dit Dysill à Keldan, qui aidait Lurian à se relever.
- On l'appelle le Coyote, par ici. Il nous a aidé, il y a longtemps, alors nous lui devons une fière chandelle...
- Ca veut dire qu'on peut récupérer notre argent ?
- Hélas, non. Le Clan Gyteps vit en bonne partie des larcins. Mais vous pouvez rester ici pour la nuit.
- Et mince... dit-elle.
- C'est déjà une fleur que nous vous faisons. D'étranges personnages rôdent dans les environs, ces derniers temps. Un homme d'Andar cherche quelque chose par ici.
Dysill prit un ton bien plus sérieux et réfléchi.
- Un homme d'Andar ?
Dysill, Keldan et Lurian prirent place au milieu des festivités après que Kebos les ait invité à le faire. Peu à peu, ils firent connaissance avec le Clan Gyteps, cette tribu des montagnes vivant à l'écart de tous et dont personne n'entendait jamais parler. Ils avaient beau être des voleurs, ils semblaient se tenir à des valeurs plutôt honorables.
La cérémonie eut lieu, et les trois étrangers qu'étaient les Morfales assistèrent à la danse qu'Anhour préparait. Dans celle-ci, elle "affrontait" un garçon et une fille de son âge. Keldan avait déjà bien bu et sympathisait avec l'entraîneur des jeunes garçons, Ptah. Lurian montrait un tour de magie à une floppée d'enfants émerveillés par ses talents.
Dysill restait près du chef Kebos et de sa fille Anat, elle se demandait bien ce qu'était le rituel auquel ils assistaient.
- Que fait-elle, chef ?
- L'Hamasa, dit Anat, la fille du chef et mère d'Anhour.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Comment l'expliquer ? C'est la manière de nous battre de notre clan, mais l'Hamasa n'est pas un art martial. C'est une chose qui nous permet d'extérioriser et matérialiser nos pensées, mais ce n'est pas un art. En avoir une bonne maîtrise est essentiel pour vivre ici.
Anhour bloquait chaque coup de ses assaillants et semblait représenter une idée différente à chaque mouvement qu'elle faisait. Parfois, elle semblait plus défensive, parfois, elle semblait plus aggressive.
- Vous pourriez me l'apprendre ? demanda Dysill.
- Je regrette, dit Kebos, mais seul le Clan Gyteps a le droit d'apprendre l'Hamasa.
- Ah dommage... Il aurait fallu que je sois une Gyteps, alors...
- Il ne vaut mieux pas, en fait, dit Anat.
- Ah oui, pourquoi ? Tout le monde à l'air heureux, pourtant.
- Faire partie du Clan Gyteps nous lie à ses montagnes, nous ne pouvons pas partir.
- Vraiment ? Même si vous essayez ?
- Oui. Quelque chose nous en empêche. Si l'on quitte cette vallée, une sorte de pression s'installe en nous, et on ne parvient plus à aller plus loin. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé.
- Et comment ça vous est arrivé ?
- Tu n'as pas à le savoir, répondit sévèrement Kebos. Cela fait partie de notre histoire, et tu n'appartiens pas au clan.
- D'accord... pardon, chef.
Anhour termina sa démonstration et tout le monde vit la détermination dans ses yeux. Sa mère et son grand-père partirent la féliciter. Ptah expliqua à Keldan qu'aujourd'hui, Anhour pouvait être considérée comme une adulte, mais que la vie d'un membre du Clan était rythmée par de nombreuses cérémonies qui devaient confirmer ce statut d'adulte et d'homme ou de femme forte. En fait, dans le Clan Gyteps, on n'avait jamais fini de devenir adulte, de quatorze à soixante ans.
Akhnum, Anhour et Bès sympathisèrent avec les Morfales, au point ou Keldan et le jeune Akhnum dansaient et buvaient ensemble à la fin du repas.
- T'as le droit de boire, à ton âge ? demanda le Porteur.
- Bah oui, j'ai déjà onze ans... Pas toi ?
- Onze ans ? Ce pays, c'est un vrai délire, dit Keldan.
- Au fait, faut que je te rende ta bourse, je me sens mal de te l'avoir piqué, honnêtement...
- Mais non, garde-là, mon pote, c'est rien... Tu pouvais pas savoir ! dit-il en rôtant d'ivresse.
- Allez, steuplé... Reprends-là, mon vieux !
Tout le monde s'était couché, à l'heure où Anat et Dysill restaient près du feu. Anhour s'était endormie sur les genoux de sa mère.
- C'était fou, son truc, là... Elle est taquée, en plus, lui dit Dysill.
- Si elle était réveillée, elle te dirait "Plus qu'hier... Et moins que demain !" dit-elle en riant, la voix cassée d'avoir trop chanté.
Dysill s'allongea pour être plus près du feu.
- Son père serait fier de la voir devenir ce qu'elle est. C'était un homme très fort, et très honorable.
- Il est décédé ?
- Non, il est parti, avant même qu'il ne sache que j'étais enceinte d'Anhour.
- Je croyais que vous ne pouviez pas quitter la région.
- Il n'était pas d'ici...
- Je vois.
- Parfois, j'aimerais bien qu'il sache qu'elle est ici. J'aimerais qu'elle puisse le renoontrer. Ca compte tellement pour elle qu'elle est entrain de devenir une des meilleures guerrières du village, rien que pour l'impressionner, alors qu'elle ne l'a jamais vu. Elle dépasse même les garçons.
- Ca, je comprends...
Dysill se leva.
- Si je vous disais qu'il y a peut-être un moyen pour vous de sortir d'ici, vous réagiriez comment ?
- Oh, je serais heureuse. Surtout pour les petits. Le monde est de plus en plus grand, à ce qu'on nous rapporte. J'aimerais qu'ils voient ça. Pourquoi cette question ?
- Pour rien... Bonne nuit, Anat.
- Bonne nuit, Dysill.
Le lendemain matin, l'aventurière se leva de bonne heure, elle sortit un instant et se rendit compte que Keldan et Lurian n'étaient plus là et que leurs affaires avaient disparu. Elle se dépécha d'empaqueter ses affaires et embrassa le front d'Anat avant de courir vers le chemin qui menait vers le Nord de la chaîne de montagnes : la Vallée de Lahlay, située entre Lahba et la région du Laydom. Après avoir couru un instant, elle trouva les deux compagnons assis sur des rochers, leurs sacs sur le dos. Ils étaient entrain de parler, Keldan essayait de déchiffrer ce que disait son compatriote. Il semblait troublé.
- Qu'est-ce qu'il se passe, les gars ?
- Je sais pas, je comprends pas trop... Lurian dit qu'un type nous suit. C'est lui qui l'a enlevé pour l'interroger.
- C'était qui ?
- Il ne sait pas trop... Il n'a pas bien pu le voir avant de s'enfuir. Mais il a essayé de le torturer. En tous cas, il en a après nous. Il faut qu'on se tire le plus vite possible.
Les frissons qui s'étaient emparés de Dysill la veille, lorsqu'Anat lui avait parlé d'un homme Andarien, se réveillèrent.
- Comment ça ?
- Je crois bien que c'est quelqu'un qui cherche Gath. Mais personne ne sait qu'on est ici, à part Stroker.
- Vous n'avez rien dit à personne, quand vous êtes partis de chez vous ?
- Non, rien. J'aurais bien aimé que ma famille sache, mais je n'ai mis personne au courant. Tu penses que Stroker a pu parler ?
- Non...
- Et toi, tu n'as rien dit à personne, rassure-moi ?
Dysill n'osait pas répondre.
- Dysill ?
- En fait, il y a bien quelqu'un d'autre qui sait, pour Gath.
- Quoi ? T'avais promis de ne rien dire à personne ! lança Keldan, indigné.
- Non, écoute, je... Je savais pas encore... C'était avant la prison... Et...
- Et alors qui ? Qui est à nos trousses ? Quelqu'un de dangereux ?
- Peut-être... s'inquiéta Dysill. Peut-être même quelqu'un de très, très dangereux.
- Et merde... Dommage qu'Esvet soit plus avec nous. Qu'est-ce qu'on fait ? On l'affronte ?
- Si il a capturé Lurian si facilement, je pense que c'est pas le genre de type qu'on affronte... Il faudrait qu'on rentre au village et qu'on demande à Kebos s'il peut nous aider.
Un membre du Clan Gyteps s'approcha d'eux. Celui-ci avait un large tatouage sur le torse et de longs cheveux noirs attachés.
- Vous partez si vite ? Revenez au village, on vous donnera au moins de quoi manger pour la route !
Dysill rejoint l'homme.
- Pardonnez-nous notre impolitesse, on rentre... On devait juste...
- Dysill, écarte-toi de lui ! hurla Keldan.
- Hein, quoi ? dit-elle en regardant son ami.
Dysill sentit soudainement sa main s'engourdir et quelque chose d'étrange couler dans ses veines. Elle se retourna et vit que l'homme avait de larges crocs et venait de la mordre. Sa peau était desséchée et dans ses yeux se trouvait une bien trop large pupille pour un être humain normalement constitué. Il détacha ses cheveux.
- Ah, tu m'as vite reconnu, dit-il.
- Je suis pas expert, mais ton tatouage, il ressemble pas du tout à ceux d'un Gytep ! Ces caractères sont anciens, mais on peut y lire quelque chose, contrairement à ceux du Clan.
- Ah oui ? Alors dit-moi, dit-il en souriant et se léchant les babines. Qu'est-ce qu'il est écrit ?
- "Ensh'Idai"...
- Bingo.
C'était Moord, le serviteur d'Ensh'Idai. Alors que Dysill craignait le retour des hommes de Darren, c'était lui qui les avait suivi, et Keldan ignorait comment c'était possible. Dysill s'effondra sur le sol, paralysée et le village était déjà à quelques kilomètres. Cette fois, il n'y aurait pas de choix. Il leur faudrait se battre.
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