Loyauté
Deux hommes drapés d'or et de noir marchent dans le sable chaud. Ils traversent le désert depuis ce qui semble être des jours. Ils doivent être en quête d'un peu d'eau.... ou d'un peu de chair...?
- Hâte-toi, Moord. Le soleil se couche.
- Attendez une seconde, s'il vous plaît... répondit le garçon d'une quinzaine d'années. Je crève de chaud.
- Moord, ne joue pas à ça. Tu crèveras d'autre chose si tu continues de te plaindre.
- Pardonnez-moi, Seigneur Ensh'Idai, répondit-il noyé de sueur, et pas seulement à cause la chaleur.
Mais quelques dunes plus tard, Ensh'Idai et Moord aperçurent une immense tente située près du fleuve. Du haut de la dune, on pouvait déjà y lire "Relais du Désert".
- Ah... Se réveilla Moord. Le carnage va pouvoir commencer.
- Tiens-toi sagement, Moord. Et prends ton mal en patience. Si on doit vraiment récupérer l'homme en question, nous devons être plus diplomates qu'à l'accoutumée.
Plus ils s'approchaient du coin de repos, plus ils se rendaient compte que celui-ci était silencieux. Il n'y avait pour ainsi dire que trois chameaux attachés près de l'endroit, et il devait sans doute s'agir d'animaux de location. Bien sûr, une panthère des sables se trouvait dans une cage à côté de la tente. Il était de coutume pour les habitants du désert de Fasach d'en avoir une. Moord jeta un regard à la créature et celle-ci se coucha. Curieusement, l'entrée était fermée, et contrairement au reste de la tente qui était de toile tendue, ces deux portes étaient en bois. Les deux hommes frappèrent à la porte, non sans avoir remarqué qu'ils n'entendaient pas grand chose. Une voix s'éleva de l'autre côté.
- Oui ?
- Pardonnez-nous, seigneur, nous sommes assoiffés. Pouvons-nous nous reposer ici jusqu'à demain matin ?
Des pas se rapprochèrent et un homme ouvrit la porte qui donnait sur une grande pièce qui comptait de nombreuses tables et divans. A l'intérieur se tenaient deux hommes accoudés à un comptoir, servis par le troisième qui venait d'ouvrir.
- Ah bé... Oui. Enfin, c'est fait pour ça, qua' même, héhé ! répondit lE gérant des lieux. C'était un petit homme sympathique et potelé qui devait souvent accompagner ses clients lors de tournées.
"Seigneur ? pensa-t-il. Ch'ais pas qui c'est, ceux là, pour m'appeler seigneur..."
- Merci de tout coeur.
Ensh'Idai s'assit au comptoir et commanda deux verres d'eau fraîche. En les servant, l'homme croisa le regard de Moord et frissonna un instant, avant de baisser les yeux pour ranger le pichet d'eau.
Derrière le rideau qui servait de séparation entre la pièce à vivre et le bar, on entendait quelques rires. Ensh'Idai ne s'interrogea pas longtemps sur leur nature, puisque l'homme du bar y répondit directement.
- Ah, c'est les p'tits, ça ! Ma p'tite famille ! Faites pas attention, on les entends moins quand il y a plus de monde !
Ensh'Idai sourit sincèrement à l'homme.
- Comment ils s'appellent ?
- Hekill et Yord pour les p'tits merdeux, et ma gentille bonne femme, c'est Frieda. Et vous, étrangers, c'est comment ?
- Ensh'Idai, et voici mon compagnon, Moord.
- Pas bien commun, ça... Vous êtes d'où ?
- De loin. Vous ne connaissez pas.
- Dites toujours, j'en ai eu ici qui venaient de...
- Vous ne connaissez pas.
L'homme commençait à trouver la conversation étrange. Mais après tout, il avait vu passer de nombreux voyageurs, parfois bien plus étranges. Dans le doute, il allait s'éclipser un petit instant.
- Hekill ! Viens, mon garçon ! dit-il en appelant son fils. Excusez-moi, je vous laisse aux soins d'Hekill, je vais aller préparer vos couches.
- Non, nous n'avons pas le temps.
- Comment ça, pas le temps ? Vous avez bien dit que vous restiez pour la nuit, non ?
- J'ai menti. Il faut que je vous pose des questions, Sassyr Rashnir.
L'homme sembla paralysé.
- Navid, Robhert... Rentrez chez vous les gars, lança-t-il aux hommes du comptoir.
- Quoi ? répondit Navid. Bah pourquoi ?
- Fait ce que je te dis. On ferme tôt, ce soir.
Les deux hommes étonnés finirent leur verre avant de laisser un peu de monnaie sur la table. Ils sortirent et reprirent leur route, laissant les trois hommes seuls. Le jeune Hekill entra alors dans la pièce.
- Oui, p'pa ? lança le petit garçon en salopette.
- Non, rien, retourne avec ta mère. Ne sortez pas.
- Bah, pourquoi ?
- Fais ce qu'on te dit.
Confus, l'enfant retourna auprès de sa mère. Sassyr regarda Moord et Ensh'Idai avec un regard enragé. L'homme qui avait l'air si doux ne comptait visiblement pas se laisser faire.
- Je savais que ça arriverait. Qu'un jour, vous viendriez me chercher.
- On n'a pas besoin de se battre, vous savez. Si vous nous en dites assez, on vous laissera tranquille.
- Je la connais, votre astuce. Mais ça marchera pas.
- Dommage, dit Ensh'Idai en se levant.
Une terrible aura envahit Sassyr, la toile de la tente manqua de s'envoler et le sable tourbillonna autour des lieux pendant un instant. Il tendit la main vers le sol et une tempête de sable envahit la pièce. Celle-ci vint se concentrer en une masse autour de sa main et se transforma en pierre, prenant la forme d'une sorte de marteau grossier qu'il empoigna. Il le lança à toute vitesse sur Ensh'Idai, mais Moord se plaça sur sa trajectoire et subit le coup de plein fouet dans le plexus et s'écroula.
- Ah, pu-tain ! cria-t-il en déployant son aura noire et visqueuse. Puis il fondit sur son adversaire qui forma un énorme mur de pierre devant lui. Ensh'Idai l'eut à peine touché que la matière noire qui l'envahissait avait complètement anéanti le mur. Il se tourna vers Moord qui se tenait le ventre en se relevant.
- C'est lui ? demanda Moord.
- Non ! Vraiment pas ! lui dit Ensh'Idai, furieux.
Au moment où il se retourna vers l'homme, il reçut une chaussure en pleine figure. C'était Frieda, la femme de Sassyn qui venait de lui envoyer.
- Oh, chic, ça ! dit Moord en libérant lui aussi son Qwer, qui faisait se déssecher sa peau et acérait ses dents. Il se jeta sur la jeune femme avant de la mordre violemment à l'épaule. Celle-ci se mit en baver, en proie à des délires.
- Frieda ! hurla Sassyn, qui s'était caché derrière le comptoir pour préparer une attaque.
Mais Frieda ceda à ses convulsions, sa peau devint violacée et nécrosée puis elle s'effondra, morte de douleur.
- Frieda...! dit-il à peine distinctement, l'horreur de la scène l'empêchant presque de respirer. Putain de saloperie, tu vas...!
Mais à peine eut-il le temps de finir sa phrase qu'Ensh'Idai fondait sur lui, lui envoyant un violent coup imbibé de matière noire, ce qui eut pour effet d'effacer complètement la partie supérieure de son corps, comme si elle n'existait plus du tout.
Moord se tourna vers les deux petits garçons qui venaient d'entrer dans la pièce. Tous les deux étaient pétrifiés de peur et de douleur, et rien qu'en regardant les yeux vides et jaunes de Moord qui les fixait, ils savaient ce qui les attendait.
- Non, Moord... dit doucement Ensh'Idai.
Le serpent se jeta de toutes ses forces sur les deux garçons, salivant et souriant, dans une immonde frénésie de cannibale assoiffé de sang. Mais il fut interrompu brusquement par un coup de genou d'Ensh'Idai a la tête qui le fit passer au travers de la toile de tente. Il sortit pour l'attraper par le col et le plaqua contre la cage de la panthère endormie.
- Je te l'ai déjà dit, enragea-t-il. Encore, et encore. Pas les gamins. Tu comprends, putain de dégénéré ? C'est clair ?
La panthère se réveilla et s'approcha pas à pas de Moord, dont elle aurait bien scalpé un petit morceau.
- T'as failli en buter un, ordure... Si j'avais pas été là...
La panthère s'arrêta un petit instant, comme pour vérifier si elle pouvait bien sauter pour attraper le dos ou le crâne de Moord.
- Réponds, petite merde !
- Je vous demande pardon, seigneur, demanda sincèrement Moord, qui repris son apparence initiale. C'est dans ma tête, vous le savez bien...
Ensh'Idai jeta un coup d'oeil aux enfants dans la tente, encore tétanisés. Il reposa Moord, et à l'instant où tous les deux s'écartèrent de la cage, la panthère bondit pour se retrouver à nouveau toute penaude.
- On y va. On a une clé à trouver.
Et ainsi continua le voyage de Moord et d'Ensh'Idai, deux ombres qui parcouraient la terre en ne laissant derrière eux que le chagrin et la mort. A la nuit tombée, ils montèrent leur campement.
- C'est vraiment craignos ce pays... Encore un échec, en plus... lança Moord.
- Tu ferais bien de t'habituer, parce qu'on risque d'y rester un moment, on a encore quelques candidats ici.
- M'enfin, ça devrait pas être bien long. Depuis qu'on est là, on a croisé aucune police, aucune garde. Ils sont feignants et laxistes, dans ce patelin... J'en sais quelque chose, c'était un peu pareil, chez moi... On en est pas loin, d'ailleurs.
- C'est vrai que quand j'y pense... Khenas, c'est encore moins militarisé qu'ailleurs. C'est ce que j'appelle du gâchis. Autant de terrain, autant de moyens... et surtout, pouvoir déléguer tout ce pouvoir et ne rien en faire... Si on avait autant d'hommes qu'eux, notre quête serait achevée depuis bien longtemps.
- Vous y avez déjà pensé ?
- A quoi ?
- A prendre le pouvoir ici ! Vu ce que vous pouvez faire, personne ne pourrait vraiment s'opposer à vous. Et puis, les gens d'ici, ils connaissent pas le Souffle, aucun Qwer, aucune Arcane, rien ! Ce serait un jeu d'enfant, non ?
- Raconte pas n'importe quoi. L'Ordre de Fer nous en empêcherait.
- Mouais... Mais sérieux, imaginez... "Le Roi Ensh'Idai", ce serait pas mal, non ?
- Comment veux-tu qu'ils m'obéissent ? Je suis pas d'ici.
Ensh'Idai remarqua alors que Moord mettait de l'alcool sur un énorme hématome qu'il avait au plexus. Il avait sûrement dû se casser quelque chose. C'était la marque du marteau de pierre qu'il avait encaissé à la place d'Idai.
- Pourquoi tu fais des trucs comme ça ?
- Quoi ?
- Prendre des coups pour moi.
Ensh'Idai récupéra la bouteille d'alcool de médecine pour en boire une gorgée. Il continua.
- Parce que je te préviens, je te donnerais rien de plus. Pas de paye, pas plus de bouffe, rien.
- Je sais bien, Seigneur.
Ensh saisit un monocle dans sa poche et commença à examiner la blessure de Moord. Il saisit des bandages dans son sac et commença à les enrouler autour de son torse.
- Mais vous m'avez pas tué quand j'étais petit, alors je peux pas vous laisser vous faire tuer, c'est normal, non ?
Ensh'Idai ne répondit pas, il était trop occupé à soigner son compagnon.
- J'y pense souvent, moi. A ce que je ferais si vous mourriez.
- Oh, ça... Tu serais libre. Tu pourrais te balader, manger des gens...
- Justement. Je sais que c'est pas bien, vous savez.
- Première nouvelle. T'as un sens affuté de la morale, dis moi.
- Mais si vous êtes pas là pour me rattraper... Je sais pas trop ce que je pourrais faire.
- Non, moi non plus je sais pas trop ce que tu ferais.
- En tous cas, pensez-y. A Fasach, Khenas, ou ailleurs... Il y a peut-être un coup à jouer. Si on réunit les autres : Scott, Eman, Drogon, Childebrant...
- Oui, et Sullivan.
- Mouais... Si on veut.
Ensh'Idai venait de finir d'enrouler Moord dans des bandages.
- Voilà. C'est fait, Moord.
Il se leva et regarda le ciel.
- Allez, il est l'heure de dormir, maintenant.
Equipé d'une armure de Dorma'Han, le tyran des terres du Sud errait maintenant dans les montagnes à la recherche de Nicolas Gath. Bien sûr, il avait aussi éliminé Edward Sica sans que cela ne lui pose problème. Mais avant de continuer ses recherches, il devait retrouver cet endroit. Celui où Sica avait éliminé Moord. Il le reconnaîtrait facilement. Pour ce qui est des traces, il était déjà arrivé au bout. Il ne lui restait qu'à sonder la zone.
Mais cela fut de très courte durée.
Lorsqu'un homme parcouru par le Souffle meurt, tout le fluide contenu en lui se déverse dans la terre. Il la rend particulièrement fertile et accèlère la pousse des végétaux. On reconnaît donc la tombe d'un homme du Souffle par les grandes plantes qui poussent dessus.
Des plantes comme ces deux grandes fleurs jaunes perdues au milieu de la forêt, poussant sur un petit tas de terre qu'Idai venait de trouver. C'était là que Darren avait enterré le corps du serpent qui fut jadis un petit garçon perdu.
- J'espère que ta folie est apaisée, Moord.
Son visage grimaça et quelques larmes amères coulèrent de ses yeux.
- Mais si tu n'es pas là pour me rattraper... Je ne sais pas trop ce que je vais faire.
Il arracha un morceau de tissu de sa précieuse manche noire ornée de blanc et d'or. Il se mis à genoux et l'attacha délicatement à l'une des fleurs dorées.
- La maison Idai te remercie.
Après cela, le tyran se leva dignement et essuya ses larmes.
- Pars en paix, fidèle serviteur.
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