Le Faiseur de Tempêtes.
Entouré de ses fidèles et de ses mignons, le Faiseur de Tempêtes entra victorieux dans son temple. Inconstants, ces adorateurs et lui guerroyaient sans autre raisons que le plaisir de se battre et de vaincre. Parfois, ils se battaient pour les plus faibles, parfois pour les plus forts. Ils combattaient pour combattre, ils n'avaient ni causes ni allégeances autre que leur vénération du dieu Guerre.
Et Guerre, c'était lui.
Le dieu traversa l'antichambre de son temple flanqué d'une femme à chaque bras, et d'encore une trentaine qui le suivait derrière comme une volée de poussins. Comme tout les soirs, s'était orgie pour lui. Il aimait voir cette masse se plier à ses désirs. Autrefois, paysannes, artisantes, ou noble dames, ces sottes ambitionnaient toutes de partager seule sa couche, et tentaient par tout les moyens de gagner ses faveurs et lui profitait du spectacle. Le Faiseur de Tempêtes se délectait de ses joutes, parfois à mort, pour sa personne. Seul son divertissement comptait. Ces sombres idiotes ignoraient qu'il les honnissait pour la légèreté de leurs mœurs. Quand il en avait assez de l'une d'elle, il l'offrait en pâture à ses fidèles.
Torse nu, arborant fièrement sa couronne brisée et ses cicatrices qui le défiguraient et le déformaient, Guerre leva un bras pour inviter ses partisans à l'acclamer et à festoyer. Qu'ils aillent chercher ripailles et boissons à sa gloire, qu'ils s'adonnent en son nom à ribouldinguer jusqu'à ne plus en vouloir ! Qu'il y ai des morts à son nom, même les jours sans bataille ! Qu'ils meurent ! Oui. Qu'ils meurent tous.
Guerre les honnissait tous.
Véritable fourmis soldats à ses ordres, le Faiseur de Tempêtes ne prenait même pas le temps de s'intéresser à ses fidèles. Il ignorait leur nom. Il ignorait ceux de ses frères, de ses sœurs d'armes et de ses catins. Ils n'étaient là que pour son plaisir. Le Faiseur de Tempêtes ne remarquait même pas quand l'un ou l'autre disparaissait et se fichait que se soit par désertion ou par décès. Guerre prenait des vies sans distinction.
En l'absence du dieu, le temple restait ouvert, que ses fidèles puissent l'adorer en tout temps mais pas son sanctuaire lui était strictement réservé. Tandis que les massives portes scellées de s'ouvraient pour lui, il leva les bras pour réclamer encore l'intensification des acclamations à sa gloire. Satisfait de son bain de foule, il entra.
Une odeur de charogne et de fer le prit immédiatement à la gorge, excitèrent ses pulsions. Guerre s'avisa du sang maculant nouvellement la pierre de son sanctuaire. Bien que cela aurait dû l'alarmer, il l'ignora et ne prêta pas plus attention aux bouts de corps déchiquetés qui traînaient en tout sens. Une autre odeur, feinte, à peine perceptible, mais toute aussi familière que celle de la mort chatouillait ses narines.
Ses yeux gravirent avec empressement les marches de son trône et se posèrent sur une jeune femme à la mine sévère qui l'y dévisageait. Une de ses putains cracha une algarade pleine de haine, mais il ne s'en d'abord soucia pas. Comme elle persistait, il la gifla, la projetant au sol. Son geste fut consacré d'une salve de holà amusé. Le Faiseur de Tempêtes se tourna vers ses mignons pour profiter encore de leur ovation et la nourrir un instant.
L'odeur de la colère de sa visiteuse le frappa au nez et il s'en nourris joyeusement, puis les notes plus feinte de sa nature divine lui parvinrent avant de laisser place à un parfum presque effacé qui mit fin à ses bravades. Il n'avait tout à coup plus tant le cœur à la provocation, il se tourna vers sa visiteuse et lui fit face.
Alors qu'il approchait, la jeune femme se leva du trône qu'elle s'était approprié et avança jusqu'au bord de la plate-forme de l'estrade pour l'accueillir. Le goût de l'ostentatoire et des gri-gri brillants de Guerre faisait pâle figure en comparaison de celui de sa visiteuse. Des pieds à la tête elle était couverte de bijoux et de pierres précieuses.
Nus, ses pieds étaient peints au henné, ses orteils et leur griffe étaient couverts à la feuille d'argent et des bagues-ongles en d'argent ciselé surmonté de pierre précieuses allongeaient encore leur silhouette. Des chaînettes d'argent rehaussée de pierres précieuses courraient sur ses chevilles et ses mollets avant de disparaître sous une robe bleu d'une soie si fine qu'elle en était transparente. Loin de dissimuler son anatomie parfaite, les broderies en fils d'argent et le bijoux bustier en écaille qui couvraient son corps en soulignaient encore d'avantage ses courbes divines.
Les bras et les poignets de la jeune femme étaient couverts de bracelets finement ouvragé et rehaussés de saphirs et de chaînettes d'argent. Ses doigts et leurs griffes étaient surmontés de bagues armures en argent délicatement travaillé qui les allongeaient encore. Les quelques rares centimètres carrés qui échappaient miraculeusement aux bijoux étaient peint d'arabesque au henné, leurs fresques étaient elles aussi piquetées de pierres semi-précieuses collées à même la peau de la jeune femme.
Si un seul de ses partisans faisaient un commentaire sur son physique parfait, pour l'exemple, Guerre le dévorerait vivant devant le reste de sa troupe.
Sous les bijoux, les dorures et les cicatrices, il la reconnaissait d'une autre vie.
Le dieu cependant ne prêta pas attention aux lignes qu'un autre jugerait parfaites et sensuelles de sa visiteuse. Il ne s'intéressa pas plus à la couronne de cornes pailleté à la feuille d'or, ni aux nombreux bijoux qui courraient là et sur le visage de la jeune femme. L'intruse, n'avait d'yeux que pour lui, des yeux d'un bleu froid de glacier fendu d'une pupille verticale de reptile. Les mêmes yeux que lui. Il se noyait dans ce regard qui brûlaient de colère contre lui. Guerre, tressaillis presque.
Malgré la haine et le mépris qui déformaient les traits harmonieux de son visage, il n'en restait pas moins familier pour lui. Il l'avait aimé. Au fond, il l'aimait toujours profondément.
Et, pour la première fois depuis longtemps, Guerre s'en retrouva si désarmé et démunie qu'il en resta muet.
Sa honte, et sa haine, l'empêchèrent de monter l'estrade et de prendre tendrement la visiteuse dans ses bras, de toucher ce visage aimé, d'enserrer contre son cœur cet être adoré.
D'être un père.
Sa culpabilité surtout.
La haine, la colère ; toute ces festivités, ces guerres pour guerroyer auxquelles il s'était adonné, tout n'étaient là que pour masquer sa honte. Et voilà qu'elle refaisait surface bien des années après, apprêtée comme pour rendre son implacable justice.
La déesse Future s'avança jusqu'au bord de sa plate-forme.
— Donne le lui.
Un ordre simple approuvé d'un tout aussi simple hochement de tête, mais qui révéla aux Faiseurs de Tempêtes la présence d'une seconde femme qui avait jusque là échappé à son attention.
Elle était tout aussi superbe, noble de port, royale même, et à peine moins versée dans l'ostentatoire que sa maîtresse, mais tout cela encore une fois échappa à Guerre. Cet autre visage, un jour familier, était déformé par un mépris et une haine à son égard égale à celle de la déesse.
Démunis, paralysé, il la regarda s'avancer vers lui. À la dernière marche de l'estrade, comme si elle craignait de s'éloigner trop de sa maîtresse, elle s'arrêta et attendis que lui, dieu de la Guerre s'en vienne à elle.
Sous l'odeur de fer qui teintait sa peau, il sentait les effleures un jour familière qui l'avait aussi aimé.
La mage tira d'un écrin qui pendait à son cou une minuscule fleur de myosotis fanée et la tendis au dieu ombrageux du combat.
— Elle t'as attendus jusqu'au dernier moment, révéla Futur courroucée.
Voilà que le Faiseur de Tempêtes était maintenant au cœur de la tourmente, sa tourmente.
Déchirée par la honte, sa haine craquait, le laissait vulnérable contre des émotions, des sentiments, des souvenirs, des pensées qu'il avait enfouis. Des amours aussi. Des temps plus heureux, même quand ils ne l'avaient pas été.
Guerre était désarmé.
Les souvenirs heureux d'un temps où il était un dieu de Paix l'assaillaient, remontaient le puits où il les avaient enfouis comme des créatures abjectes qui le menaçaient.
Il était aveugle et sourd à tout autre qu'à eux quatre.
— Tu n'es jamais venus, elle t'a attendus et tu n'es jamais venus.
Guerre ne sus quoi répondre. Ne sus quoi faire.
Le myosotis avait séché.
— Tu n'es jamais venus.
Le dieu ombrageux tressaillis, il ne sus quoi répondre. Que répondre ?
Il s'approcha lentement de la mage, mage de guerre avant qu'il ne soit Guerre. Dans un geste qui lui sembla infiniment lent et précautionneux. Tout ça parce qu'il avait peur. Il maudis, haïs sa peur, tempêta contre elle, mais s'y plia.
La mage avança sa main, la plaça au-dessus de la sienne avec milles précautions pour ne pas entrer en contact avec lui. La culpabilité réprima son envie d'effleurer d'une griffe la peau de la mage. Cette peau d'un être aimé. Combien de fois, cette peau avait-elle sauvée la sienne ? Ils s'étaient autrefois battus ensembles, côtes à côtes, versé le sang l'un pour l'autre, versé leur sang l'un pour l'autre, partager les mêmes repas sordides, connus les mêmes embruns, dormis sous les mêmes cieux, couchés sur les mêmes sols gelés. Aujourd'hui il n'était qu'un être qui lui inspirait le dégoût.
La mage posa délicatement le myosotis séché. Il était réel. Quelques grammes qui pesait des tonnes sur son cœur.
Quand l'Âge s'était achevé il n'avait jamais sus faire face à son épouse, à la perte de leur fils il les aimaient plus que tout au monde. Au début, pour ne pas faire face à sa culpabilité de n'avoir rien pus faire, il avait prétendu que tout cela c'était pour chasser les restes de l'empire, s'assurer que leur vie pour elle, pour leur fille, pour lui soit dans une paix assurée ; ensuite, ensuite, il s'était un peu plus perdus chaque jour par honte. Il n'avait sus lui faire face. Il ne lui avait jamais plus fait face. Il ne lui ferait plus jamais face. Sa femme et son fils n'étaient plus.
La douleur réveilla sa haine, elle l'enveloppa, chassa sa douleur, ses tourments, son deuil, l'enserra comme une couverture réconfortante entraîna le reste au loin. Il ne sentait plus que la haine. Il n'était que haine. Il était Guerre, le Faiseur de Tempêtes, il ne ressentait que la haine, il n'avait que mépris.

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