Chapitre 3

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Nous arrivons dans le bureau de Me Lomes. Je m’assois aussitôt, et m’aperçois que je suis le seul, les deux proviseurs me regardent l’air d’attendre quelque chose. Je me relève maladroitement alors que Legrand soupire.
- Je vous en prie, asseyez-vous.
À côté de moi, Enzo s’assoit sous le regard complaisant des deux proviseurs, et ça a le don de m’énerver encore plus. Encore une fois, il joue le rôle de l’élève modèle tandis que je passe pour un bouffon.

- Bien, alors, les modalités seront les suivantes : vous devrez constituer des groupes d’élèves de Zola et de Saint-Thomas, de filières mélangées ou non, nous vous laissons le choix.
Trop gentil.
- En quoi cela consistera-t-il ? Demande Enzo.
La proviseure sourit, comme si cette intervention divine était nécessaire pour qu’elle puisse poursuivre.
- Il s’agira d’un projet interdisciplinaire sur les grands enjeux du monde contemporain avec un objectif de conférence à courte échéance.

Gros blanc. Je regarde Enzo, qui semble tout aussi paumé que moi.
- J’ai pas compris.
Elle lève les yeux au ciel devant mon apparente imbécillité.
- En gros, vous devrez faire une restitution orale avant les vacances de Noël sur un sujet faisant appel à plusieurs discipline, parmi des sujets que vos professeurs vous proposeront.
- Comme un TPE ?
Elle semblait si fière de son projet, comme s’il s’agissait d’une idée révolutionnaire, que ma remarque lui coupe le souffle – littéralement, elle me regarde avec désespoir comme si je venait d’anéantir ses espoirs de poste au ministère de l’éducation nationale. Elle hésite quelques instants mais Legrand répond à sa place :
- Oui, c’est ça.
Là, elle le fusille du regard puis ses yeux se perdent dans le vague. En me concentrant bien, je peux presque voir qu’elle range mentalement la tenue qu’elle avait prévue pour l’Élysée.

- Nous attendons bien sûr le plus grand sérieux de votre part à tous et votre implication entière dans ce projet.
- Mais, dit Enzo, sauf votre respect, cela ne risque-t-il pas de nous demander beaucoup de temps, que nous ferions mieux de consacrer à notre apprentissage en vue du bac ?
Je hoche la tête. Le coup du bac, c’est parfait pour refuser ce projet tout en ne passant pas pour des glandeurs. Mais le proviseur contre cet argument :
- Cela ne semblait pas beaucoup déranger vos camarades tout à l’heure quand il s’agissait de manquer une semaine de cours.

Touchés. Au pire, je me dis qu’on pourra toujours bâcler ça, l’effort de participation devrait suffire.
- Bien sûr, un manque d’implication de votre part conduirait à une annulation de ce voyage auquel vous tenez tant, dit Me Lomes comme si elle avait lu mes pensées. Une implication de chacun, j’entends.
D’un coup, ce voyage ne me paraît plus aussi attirant. Vaut-il suffisamment le coup pour passer deux mois à faire semblant d’apprécier travailler avec les Saint-Thomas ?
- Bien entendu, cela aurait d’autres conséquences sur le reste de votre année scolaire.

Pas possible, cette femme lit dans mes pensées. Pour le vérifier, je me met à penser à une image horrible – cette fois où mon frère, passablement ivre, a entamé Les lacs du Connemara entièrement nu dans le jardin de la demeure familiale – mais elle ne prend pas un air dégoûté. Ou elle ne lit pas mes pensées, ou elle a un goût prononcé pour les reprises douteuses de Michel Sardou.
- Si vous estimez que cette investissement représente une perte de temps trop importante pour vos révisions, nous pourrions juger qu’il serait en conséquent de votre intérêt de limiter certaines activités non nécessaires pour le bac. Il serait bien sûr regrettable que certains des clubs de l’école doivent fermer leurs portes, mais nous le ferions pour le bien de votre éducation, bien entendu.

J’en reste bouche bée. Est-ce que cette vieille peau est vraiment en train de nous menacer de couper la vie étudiante ?
- D’autant, poursuit-elle d’un ton faussement peiné, que vous en seriez tous les deux particulièrement affectés.
Je ne rêve pas, elle est en train de nous menacer directement. Je ne me vois pas passer ma terminale sans l’équipe de handball, et Enzo ne semble pas enchanté non plus à l’idée de perdre son club – je crois qu’il dirige la troupe de théâtre, ou un autre truc de coincé du même genre. Comment je le sais ? Connaît ton ennemi, c’est la première règle de toute guerre. C’est l’unique raison pour laquelle je sais des trucs sur lui. Je comprends alors pourquoi ils ont demandé deux ambassadeurs : pas pour discuter, mais pour avoir quelqu’un d’influent à menacer.
- Mais la vie étudiante est importante pour notre bien-être à tous ! je proteste. C’est même capital pour certains d’entre nous, et je…
- Ce qui est capital, me coupe-t-elle, c’est votre bac. Mais bien sûr, rien de tout cela ne sera envisagé si votre implication est totale.
Enzo prend alors la parole.
- Je ne suis pas sûr que ce projet, bien que j’en conçoive tout l’intérêt, puisse être correctement abouti dans les conditions qui nous sont imposées depuis notre arrivée dans ces lieux.

Je suis impressionné par l’aisance avec laquelle il sort des phrases pompeuses. Ce mec a quelque chose dont je rêve : c’est un excellent orateur. Rappelez-moi de ne plus me moquer des gens qui font du théâtre.
- Je me permets de vous rappeler que nous autres élèves de Saint-Thomas n’avons pas reçu un accueil très chaleureux lors de notre arrivée forcée en ces lieux. Et depuis, les élèves d’Émile Zola ne cessent de nous rappeler à quel point il ne veulent pas de nous ici, en témoigne l’incident dont nous avons été victimes la semaine dernière.
Il me lance un regard avec un bref sourire, dont je comprends aussitôt la teneur : chacun pour sa peau, mec.
- Dans ces conditions, il me paraît difficilement concevable de pouvoir honorer un projet d’une telle envergure avec des individus qui ne sont pas disposés à travailler avec nous.

Je fulmine intérieurement. Ce salop est en train de faire passer sa bande d’abrutis pour des saints, persécutés par les vilains que nous sommes.
- Mais cela fait partie des conditions, monsieur Dervi. Mieux, c’est même l’un des objectifs, de vous apprendre à travailler ensembles. Je suis déçue que vous n’en saisissiez pas l’utilité.
Bim, dans tes dents. Il semble sur le point d’ajouter quelque chose, mais la cloche retentit et la proviseure se lève en nous montrant la porte.
- Voici un résumé sur ce projet, dit-elle en nous tendant des feuilles. Nous vous laissons l’annoncer à vos camarades, mais nous enverrons bien sûr un résumé par mail à chacun. Comme vous n’avez plus d’autres questions, cette entrevue est terminée messieurs.
De concert, nous nous levons et nous dirigeons vers la sortie.

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