Le collier de l'envie

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 Un mois passa.

 Avenant pénétra dans les jardins de Leslie Griffon. Celle-ci organisait un thé, avec quelques joailliers triés sur le volet et ses amies. Un air soucieux balafrait son visage de cinquantenaire. Elle regardait tout autour d’elle et se retournait sur chaque bruit suspect. Canaël était avec elle et lui faisait la conversation. Tous la complimentant sur le collier qui lui avait offert. Cela l’égayait un instant, puis elle retombait dans ses préoccupations.

 Avenant se tenait à son stand, riait avec les dames et jetait des coups d’œil discrets vers la dirigeante. La brise fraîche venait caresser les jupons et faisait frémir les branches des arbres qui poussaient à plus de quatre cents mètres du sol. La citadelle Hérissonne avait été érigée contre les attaques, il y avait fort longtemps.

 Avenant ramassa les pièces ocre et argentées qu’on lui donnait, et au beau milieu de la journée, il s’éloigna prétextant une folle envie de visiter les jardins des Griffon.

 Derrière une haute haie, il joua de l’ocarina. Le son de l’instrument sinua jusqu’aux oreilles de Leslie qui se raidit. Canaël n’entendait rien et tira sur sa main, mais sa grand-mère resta immobile. Les cristaux de roche pendus à son cou scintillèrent et la voix de l’ocarina se mut en des ordres.

— Raconte l’histoire de la belle aux cheveux d’or et fais part de ta jalousie et de ta malice.

 Leslie obéit sans protestation et s’approcha de ses convives.

 Elle fit tinter une clochette de quoi retenir toute l’attention et invita chacun prêt d’elle. Ses yeux étaient si vides, son teint si pâle.

 Les hommes et les femmes vinrent s’asseoir près d’elle, sur des tapis et des coussins disposés deçà delà.

— Il y a un peu plus de trente ans, alors que j’avais vingt-huit ans, le roi Grabon m’a fait devenir sa maîtresse. J’étais choyée comme un pur trésor. On me parlait comme à une reine. Lui offrant un fils qu’il n’avait jamais reconnu, j’espérais qu’il me demande un jour ma main. Les années ont passé et la femme aux cheveux d’or avait conquis son cœur. Elle était si belle, si étourdissante. Une fois vue, on ne pouvait pas l’oublier aisément. Grabon envoya des ambassadeurs pour la demander en mariage et elle n’accepta qu’une année plus tard. Je n’étais plus rien. Mon fils non plus. Célestéa avait tout pris, par sa jeunesse, sa richesse, ses paroles posées emplies de grâce. Plus qu’elle ne parlait, elle chantait. Seulement, je savais que son vieux mari n’était pour elle qu’une misérable erreur. Elle ne pensait qu’au serviteur, le bon et fidèle Avenant. Elle parlait de lui si souvent que cela irritait le roi. J’avais ma revanche. Et je corrompis cet homme qui jadis m’avait dit m’aimer. Je lui versais tout un tas d'horreurs sur sa dulcinée et sur son serviteur. Avenant fut jeté en prison. J’attendis que Grabon en fasse de même avec sa belle reine. Mais, il cherchait à l’engrosser et à attirer ses faveurs. Moi, je désespérais. Un matin, je m’étais déplacée jusqu’à la chambre royale de Célestéa. J’avais dans l’idée de la tuer. Mais je vis une servante briser sa fiole de beauté et la remplacer par celle qu’utilisait le roi pour tuer ses rivaux. Je n’avais rien à faire. Rien. Hélas, c’est mon roi qui but la fiole en pensant qu'elle retenait le nectar de la jeunesse éternelle. La rage m’avait envahie. Célestéa avait encore plus. Deux royaumes, un beau et jeune roi, l’amour. Aveuglée par une colère indescriptible, j’ai fait enfler la rumeur qui disait qu’elle avait tué le roi. J’ai rendu cette nouvelle plus laide, plus vile et me suis ralliée aux Jaret et aux Hourlt, des personnes qui comme moi avaient trop perdu. Nous les avons fait tomber. Célestéa est morte… Avenant, les rochers ont dû le transpercer. Les plus grandes familles se sont livré une bataille acharnée, sous nos directives. Quand il n’y eut plus personne, nous sommes arrivés comme des héros.

 Elle s’arrêta.

 L’assemblée ne savait que dire.

 Leslie se détourna de ses convives et marcha avec dans la main celle de Canaël qui ne pouvait croire ce qu’il avait entendu.

— Grand-mère, qu’as-tu ? Tu es si étrange. Réponds-moi, dit-il en la suivant. Est-ce que tu as vraiment fait assassiner cette reine ?

— Sage petit.

Leslie le porta dans ses bras, caressa sa joue. Il était si léger.

—Mon cœur bavait de noirceur. Encore aujourd’hui…

 Elle marcha avec lui, le regard lointain.

 Au bord du jardin-balcon, elle contempla la forêt à perte de vu.

 Elle serra l’enfant.

 Puis le lâcha.

 La voix de l’ocarina murmura ainsi dans l’esprit de Leslie :

L’innocence ne mérite pas d’être souillée, mieux vaut-il pour lui de partir avant que ton venin ne le contamine. Voici ma vengeance achevée.

 Leslie recouvra un instant de lucidité.

 Elle chercha Canaël autour d’elle, puis déporta ses yeux vers le marchand qui se tenait à côté d’une haie. Elle le regarda avec persistance, alors que la foule derrière elle criait le nom de son petit-fils.

— Avenant ? murmura-t-elle.

 L’homme sourit. Il avait eu assez de trente ans pour faire disparaître son visage aimable et gracieux.

 Il reprit l’ocarina et joua encore.

 La voix de l’instrument pénétra dans la tête de la femme et y déposa les dernières paroles d’Avenant.

— Je vous avais cru bonne de ce temps où nous batifolions quand déjà, vous n’aviez plus les faveurs de mon roi. Je vous ai encore cru quand vous me confiât vouloir du bien à Célestéa et que je vous confiai son amitié. Je vous ai remercié milles fois quand vous m’apportiez en cachette des mignardises ou quand d’un baiser chaste sur ma bague, vous me juriez fidélité. Vous répondrez de la justice comme vos complices, l’un au trou, l’autre mort. Adieu Leslie. Je vous laisse goûter au supplice que de perdre un être aimé.

 Avenant se mélangea à la foule qui cherchait le garçon en contrebas, mais à cette distance, on ne voyait pas même un pan de tissu coloré.

 Leslie ne bougeait pas. Les larmes coulaient sur son visage. Et avant qu’elle ne s’écroule en hurlant le prénom de son petit-fils, elle fut menottée par ses propres gardes.

— Es-tu satisfaite, Célestéa ?

 La créature s’étira devant Avenant.

— La vraie question est, es-tu rassasié ?

L’homme ne répondit rien et disparut dans les entrelacs d’escaliers.

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