Moulinsart, 2 septembre 1944

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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Tintin, Vladimir Poutine, Jean-Claude Van Damme, Spock et bien d'autres ...
Attention, c'est du lourd :-))))

Dans la nuit noire, la Lincoln Zephyr jaune, décapotée malgré la pluie battante, s'immobilise sur le parvis de l'imposante bâtisse. C'est en courant que ses deux occupants s'empressent de s'abriter sous le porche.

— Mille millions de mille sabords ! Il faut vraiment que je fasse réparer cette capote. Le mécanicien m'avait pourtant ...

D'un geste, son compagnon lui impose le silence tout en essayant de calmer le chien qui les accompagne. Il chuchote à voix basse :

— Silence Capitaine ! Milou est comme fou et ...

Le jeune homme pousse lentement le battant de la lourde porte.

— ... voyez ... la porte est ouverte.

— Tonnerre de Brest ! J'ai donné à Nestor sa soirée, et pour tout remerciement ce sagouin oublie de verrouiller la porte !

— À moins que ...

Passant la main sous le revers de son imperméable trempé, le blondinet saisit un pistolet. C'est à pas de loup qu'il pénètre dans le hall d'entrée, le canon de l'arme pointé devant lui. Le château est plongé dans le noir, seul un rai de lumière filtre sous la porte de la bibliothèque. Les deux hommes, avec la connivence qui caractérise les vieux complices, prennent place de part et d'autre de la porte, dos au mur. Le plus jeune tient maintenant son arme à deux mains, canon vers le haut. Même le chien est silencieux, il semble froncer les sourcils dans une attitude presque humaine, comme pleinement conscient du danger. D'un geste, l'homme armé fait signe au barbu qu'il va entrer. D'un coup de pied, il ouvre la porte à toute volée et d'un bond, se lance dans la pièce.

— Personne ne bouge !

Il tient les intrus en joue tandis que le chien s'avance vers eux en grognant.

L'homme, assis dans un des fauteuils de cuir épais, ne sursaute même pas malgré l'entrée fracassante. La jeune fille qui l'accompagne, elle, sous l'effet de la surprise, laisse choir le livre qu'elle tenait dans ses mains.

— Tonnerre de Brest, bougre d'ectoplasme, de quel droit vous introduisez-vous ainsi chez moi ?

Casquette de marin sur la tête, le Capitaine éructe et fulmine. L'intrus se veut rassurant. Il est plus petit que Tintin encore; Haddock, survolté, le domine d'une bonne tête. Le crâne de l'inconnu, chauve, contraste avec un magnifique collier de barbe blanche parfaitement taillée. Avec son maquillage outrancier et ses ongles vernis de noir, la jeune fille qui l'accompagne semble elle tout droit sortie d'un film de vampires. Le pourtour de son oreille droite est percé d'une multitude de petits bijoux en acier. À la base du nez, elle arbore un anneau métallique, à la manière de certaines peuplades primitives. Sa tenue relève d'une indécence sans nom. Une jupe si courte qu'elle laisse apparaître ses cuisses et un étrange maillot de corps à courtes manches et au motif indéfinissable, si moulant qu'il ne cache rien de ses formes ni des étranges tatouages qui couvrent son bras droit, son cou et son poignet gauche. Elle arbore une coiffure totalement improbable. Le côté gauche de son crâne est rasé si court qu'il ne subsiste qu'un fin duvet, le reste est coupé court, un peu à la manière "French Bob" des années 20, si ce n'est que la frange beaucoup plus longue vient courir en travers du front pour venir mourir sur l'oreille gauche. Le plus curieux, c'est ce mélange de couleurs qui émaillent sa blondeur de touches de rouge et de noir.

— Non mais hé! ho! ça va pas la tête ? s'écrie-t-elle. Tu vas ranger ton flingue !

— Vous, l'ectoplasme à roulette, silence ! Vous êtes ici chez moi !

L'intrus à la barbe blanche s'interpose.

— Calmons-nous voulez-vous ? Je comprends votre désarroi et votre colère. Laissez-nous s'il vous plait vous expliquer ...

— Il a raison Capitaine.

Le jeune homme range son arme dans son holster, prenant soin de la laisser bien en vue afin de dissuader les deux importuns de tenter quoi que ce soit.

— Merci Tintin.

L'homme à la barbe blanche se rassied, tandis que la jeune fille, elle, préfère rester debout, adossée aux rayonnages. Elle doit être plus menue encore qu'elle ne paraît. Juchée en effet sur d'étranges chaussures aux épaisses semelles et aux talons interminables, elle semble vouloir tricher sur sa taille. Son compagnon se jette à l'eau.

— Je sais que notre arrivée ici relève de manières un peu cavalières. Je vous prie de nous en excuser, c'est la nécessité et l'urgence de la situation qui nous les dictent. Je suis le Professeur Barabas.

Un silence l'invite à continuer.

— Je suis mandaté par ... disons une coalition ... afin de solliciter votre aide dans une affaire de la plus haute importance. Il y va de l'avenir de l'humanité et qui sait, peut-être même de la survie de l'espèce humaine.

— N'exagérez-vous pas un peu Professeur ? Et quand bien même, comment le Capitaine et moi pourrions-nous vous aider ? Retrouver une épave et un trésor au fond d'un océan est une chose, sauver le monde en est une autre (1).

— Je n'exagère en rien. Nous sommes au courant pour votre expédition sur l'épave de la Licorne. C'est d'ailleurs une des raisons de notre présence ici.

Haddock et Tintin échangent un regard. Si l'homme est aussi bien informé, il sait probablement que l'expédition était un échec et qu'au final, c'est ici même à Moulinsart que se trouvait le trésor. Sa découverte aura à peine suffi à couvrir les frais engendrés par l'aventure. C'est Tintin qui enchaîne :

— Vous vous dites mandatés. Mais ... par qui. Et d'où venez-vous ? En ces temps troublés, vous comprendrez que nous soyions ... disons ... prudents.

L'étrange jeune fille détourne le regard. Nerveuse, elle triture une petite poupée de chiffon que jusqu'ici, ni Tintin ni Haddock n'avaient remarquée. Peut-être est-elle plus jeune encore que ce qu'elle paraît. Barabas, lui, marque un temps d'arrêt, le silence se fait pesant avant qu'il ne reprenne :

— La question n'est pas tant de savoir d'où nous venons que de savoir ... de "quand" nous venons.

— Que voulez-vous dire ?

— Nous venons du futur, Tintin.

***

— Bougre d'extrait de crétin des Alpes, vous vous foutez de nous !

— Allons Capitaine, calmez-vous. Laissez parler le Professeur.

— Merci Tintin. Oui, je comprends votre surprise et même votre colère. Mais c'est un fait. La machine est dans les jardins du château, allez donc vérifier par vous même Capitaine ...

Tandis que ce dernier quitte la pièce en fulminant, le Professeur poursuit.

— Les Américains développent actuellement ... enfin, votre actuellement, j'entends dans votre présent ... ils développent donc une arme monstrueuse. Une arme à la puissance effrayante. D'ici un an, ils l'utiliseront par deux fois pour mettre fin à la guerre.

— Et ... y parviendront-ils ? s'inquiète le jeune reporter.

— Assurément. Mais ils ouvriront ainsi la voie à une ère de terreur et d'équilibre précaire. Durant près d'un demi-siècle, l'humanité craindra de finir à terme dans une sorte d'holocauste de feu qui au final aurait le potentiel de détruire toute vie sur terre. Sauf peut-être certaines espèces d'insectes particulièrement résistantes.

Tintin peine à appréhender l'horreur décrite par Barabas. Haddock, lui, est de retour. Une bouteille de wiskhy et des verres à la main, il bredouille :

— C'est ... que le grand Cric me croque et me fasse avaler ma barbe, il y a dans le jardin une sorte de cigare volant qui ... qui ...

— Allons Capitaine, calmez-vous.

Tintin se tourne vers le Professeur avant d'ajouter :

— Mais ... si vous êtes là et que, comme vous le prétendez, vous venez vraiment du futur, je peux supposer que cette apocalypse n'a pas eu lieu, n'est-ce pas ?

Tandis qu'Haddock s'emploie à remplir trois verres, le prétendu voyageur du futur reprend :

— Après ces cinquante années de ce que ma génération appelle la "Guerre froide", l'humanité a connu près de trois décennies d'une paix relative, souvent entâchée de crises locales. Mais en 2022, un événement est survenu qui attise les anciennes peurs et fait craindre le pire.

2022 ! Tintin accuse le choc. Dans près d'un siècle ! Haddock fait glisser un verre devant les deux hommes et porte le sien à ses lèvres. Il affiche une mine réjouie quand le jeune homme et le Professeur déclinent en arguant qu'ils ne boivent pas, siffle son verre et ramène à lui les deux autres. Mais la jeune fille est plus prompte encore.

— Et moi alors ?

Elle s'empare du verre et l'avale cul sec sous le regard sidéré du vieux marin. Elle le repose bruyament sur la table, en réclamant un autre. Le vieux loup de mer ne cache ni sa surprise, ni son admiration.

— Elle me plait bien, cette succédanée de zouave interplanétaire.

Tandis que l'ivrogne et sa nouvelle égérie s'emploient à vider la bouteille, Barabas poursuit son récit.

— Oui, en 2022, un certain Olric, sous prétexte d'un conflit somme toute régional, menace à nouveau d'employer cette terrible arme. Et tout laisse à penser que ce ne sont pas des menaces en l'air. D'autant qu'en presqu'un siècle, il a accumulé les progrès. Ces bombes, en 2022, ont une puissance 500 fois supérieure à celles lançées sur le Japon en 1945. Sans parler des vecteurs, bien plus rapide que l'espadon.

— L'espadon ?

— Ah oui, pardonnez-moi. Il ne sera inventé qu'après cette guerre-ci, une évolution magistrale des Messerschmitt à réaction allemands, capable de porter ce type de bombe loin et très rapidement. Quant à cet Olric, il a bien d'autres identités. En 2022, il se fait appeler Vladimir.

— Je ne vous suis que très diffcilement. Que vient faire là-dedans le voyage dans le temps ? Et que pouvons nous y faire, nous ?

— C'est ... extrêmement compliqué. Il faut, pour comprendre, voir le temps non pas comme une ligne ou même un cercle, mais plutôt comme une superposition d'univers possibles. Dans un de ces univers, les Terriens ont mis sur pied une "Patrouille" du temps. Dans d'autres, comme le mien, c'est moi qui ai mis au point cette machine. Les initiatives sont nombreuses. Mais devant la menace qui pèse sur l'humainté et sur initiative des Nations Unies, sous l'égide desquelles cette "Patrouille du Temps" a été créée, il a été décidé ... enfin, il "sera" décidé de fédérer tous ces efforts en matière de voyage temporel au sein d'une coalition. Une coalition temporelle.

— C'est insensé, reprend Tintin. Ces voyages sont impossibles et vous prétendez que plusieurs ... initiatives existent ?

— Tout à fait. J'ai inventé ma machine ... pardon, je vais inventer ma machine dans moins de dix ans, en 1951 précisément. Celle qui servira de vaisseau à la Patrouille du temps ne verra pas le jour avant l'an 3000. Mais Monsieur Wells, lui, a déjà inventé la sienne. En 1895.

— Mais c'est absurde ! Nous devrions alors en avoir entendu parler !

Haddock et la jeune fille ont déjà décroché depuis maintenant plusieurs verres. La bouteille touche d'ailleurs à sa fin.

— Vous comprendrez que le plus grand secret entoure ces voyages. En outre, la législation qui les régit tend à limiter au mieux les interactions entre les époques.

— Mais enfin, quelle législation ? Jamais je ...

— La résolution 8989679869599887676 votée en 3087 par les Nations Unies, mais je ne suis plus certain du numéro. On l'appelle de manière plus pragmatique la "Loi sur les voyages temporels".

— Mais en quoi pouvons-nous intervenir ?

— Eh bien disons que ... les choses n'ont pas tourné comme nous le pensions. Pour parler simplement, il y a eu un bug.

— Un beugue ?

— Oui enfin ... un grain de sable dans l'engrenage si vous préférez. Lorsque nous avons commencé à opérer ensemble, à utiliser toutes ces machines, tous ces vecteurs, et à nous croiser de manière inhabituelle sur 2022, d'étranges phénomènes sont apparus. Certains vaisseaux ne revenaient plus. Dans d'autres cas, quand ils revenaient, une partie de leur équipage avait tout simplement disparu. Ou avait dirons-nous ... fusionné. Comme si deux pilotes n'en faisaient plus qu'un.

— Vous voulez suggérer que l'un des deux avait ... "absorbé" l'autre.

— C'est plus complexe mais oui, c'est à peu près ça. Mon assistante ici en a fait les frais. Elle a effectué un saut avec son frère, à son retour, plus trace de ce dernier. Mais son caractère, sa psychologie, d'infimes détails semblaient influencés par celui de son frère, Bob.

— C'est ... c'est hallucinant. Mais je ne vois pas en quoi je pourrais vous aider. Je suis journaliste et mon ami est marin.

— Tintin, ce n'est pas seulement vous que nous sommes venus chercher. C'est votre ami, Tryphon Tournesol.

— Le Professeur Tournesol ? Mais ... mais c'est un original ! Il a bien mis au point ce petit sous-marin qui nous a permis de plonger sur l'épave de la Licorne mais de là à vous être d'une quelconque utilité pour régler votre problème de ... comment dites-vous encore ? Votre problème de beugue.

— Le bug. Il s'agit d'un bug. Tryphon n'a pas mis au point qu'un sous-marin.

— ...

— D'ici dix ans, il dirigera le projet "Objectif Lune". C'est lui qui rendra possible le voyage vers notre satellite. Il en sera, d'ailleurs. Et vous aussi, vous serez le premier homme à marcher sur la lune. Tryphon est un des esprits les plus brillants de l'humanité. Il inventera une machine à dupliquer les objets (2), jetant ainsi les bases de la téléportation qui permettra plus tard à Star Fleet de transporter instantanément des êtres comme vous et moi d'un point à un autre. Quelle que soit la distance.

— Star Fleet ?

— Oubliez. Vous comprendrez plus tard. Alors, allez-vous nous aider ?

(1) : Voir Le trésor de Rackham le Rouge
(2) : Voir "Tintin et le Lac aux Requins".

A suivre ???

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