29 décembre en matinée.

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Il faut un moment à Tintin pour comprendre ce qui lui arrive. Il écarte l'épaisse couche de tissu qui le couvre entièrement. Il fait plein jour. Cette douce tièdeur dans son dos ... enroulé autour de son cou, un bras, dont la main vient mourir sur son torse. Il reconnait le tatouage sur le poignet. Bobette ! Mais que fait-il là, allongé avec elle ? Milou, déjà, jappe de bonheur et tente de s'extraire du cocon de nylon, réveillant la jeune fille au passage.

  • Dieu merci, vous êtes réveillé. Vous m'avez fait une de ces peurs !
  • J'ai l'impression que je reviens de loin. Et que je vous dois une fière chandelle.
  • Comment vous sentez-vous ?

— J'ai connu pire.

La jeune fille se colle à lui, provoquant chez le jeune homme un trouble certain.

— Moi aussi, fait-elle. Pour tout vous avouer, je resterais bien encore un peu mais il nous faut nous lever. Nous devons établir le contact avant la nuit, et je n'ai encore aucune idée de la distance qui nous sépare du point de rendez-vous.

Elle s'extrait de l'abri de fortune, frissonne au contact de l'air froid. Tintin la regarde enfiler son treillis. Il détourne les yeux lorsqu'elle croise son regard.

  • Et n'en profitez-pas pour vous rincer l'oeil, lance-t-elle en plaisantant.
  • Ça ne me viendrait pas à l'idée, ment-il.
  • Brrrr ... ces vêtements sont glacés, nous avons intérêt à nous activer.

Tandis qu'il s'habille à son tour, elle consulte le GPS. Dans leur malheur, ils n'ont que modérément dérivé, quatre bonnes heures de marche et ils pourront peut-être atteindre le point de rendez-vous avant la nuit.

— C'est une ferme tenue par une certaine Zed. Elle sert de point de ralliement. Zed nous hébergera pour deux nuits et c'est chez elle que nous rejoindra l'équipe chargée de neutraliser Svetlana.

  • Vous les connaissez ?
  • Non, je ne les ai jamais rencontrés. Ni Zed, ni Black Mamba ...
  • Black Mamba ?
  • C'est le nom de code de l'agent chargée de neutraliser Svetlana.
  • On se croirait en plein film ...
  • Vous ne croyez pas si bien dire, Tintin.

Il leur faut moins de vingt minutes pour dissimuler les restes du parachute et les traces de feu. Après quoi, ils se mettent en route.

***

La ferme est totalement isolée. Où que l'on pose le regard, aucune autre habitation ne vient troubler la quiétude des lieux. Bobette et Tintin conviennent que ce dernier attendra dans l'ombre. Ce n'est qu'une fois le contact confirmé qu'il la rejoindra, inutile de s'y risquer à deux si piège il devait y avoir. Tintin se choisit une position à couvert, tout en veillant à rester à portée de son browning afin de pouvoir couvrir Bobette. La jeune fille s'avance seule, nerveuse. Quelle idée de les avoir affublés de ces treillis noirs, ça leur confère un air inquiétant et suspect avant même qu'il n'ouvrent la bouche. Elle s'approche de la porte. La sonnette. Deux coups brefs, un coup long, un coup bref, comme convenu. Une minute encore, et la porte s'ouvre. Mais c'est un homme qui apparaît. Habillé d'un polo rouge et d'une culotte noire, il est bien plus âgé que ce à quoi Bobette s'attendait. Et manifestement, ce n'est pas Zed. La dévisageant de haut en bas, l'homme s'adresse à elle en anglais.

  • Can I help you ?
  • I'm looking for Zed.
  • Zed is dead, baby, Zed is dead ...

Devant l'air déconfit de Bobette, l'homme se fait affable.

  • Manitoba, fait il.

Le code ! Un sourire de soulagement égaye les traits de Bobette. Enfin ! Elle va pouvoir prendre un peu de repos. Elle lui répond :

  • Karamako.

Elle fait signe à Tintin et bientôt, les deux amis s'engagent dans la demeure qui, bien que modeste, leur semble aussi accueillante que le plus beau des palais.

***

— Zed est décédée la semaine passée, fait Joe, emportée par la Covid. Elle m'a laissé ses instructions. J'attends Black Mamba demain en fin de matinée, elle ne restera pas, mais elle voulait vous rencontrer. J'ai pour mission de vous conduire à la capitale, Szohôd, le 31 en fin d'après-midi. C'est tout ce que je connais de l'opération, si ce ne sont cette armoire garnie d'habits de soirée dans votre chambre et cette voiture de rêve dans ma grange. Je ne vous serai donc pas d'une très grande aide, mais vous pouvez compter sur moi pour exécuter cette tâche qui m'a été assignée.

— C'est plus qu'il n'en faut, fait Bobette. Je suis curieuse de rencontrer cette ... Black Mamba. Morane ne semble pas la porter dans son coeur.

Après leur nuit mouvementée, Tintin et Bobette se laissent doucement glisser dans la quiétude d'une soirée douce et agréable. Joe s'avère être un cuisinier hors pair. Il leur a préparé du Szlaszeck klèbcz micz bolëtzts , la spécialité syldave. Tintin s'étonne, ils sont en Bordurie après tout.

— Nous étions enfants quand nos parents se sont établis en Syldavie, fait Joe. Père était ingénieur et travaillait sur un projet d'autoroute. C'est ce qui l'a amené à rencontrer le Roi Muskar XII. Père s'est pris d'affection pour la Syldavie, il n'a plus jamais quitté le pays jusqu'à sa mort, il y a une trentaine d'année. Lors de la troisième guerre borduro-syldave, en 2014, cette partie du pays a été annexée par la Bordurie. Zed et moi avons décidé de rester, la ferme était toute la vie de mère et est devenue la nôtre au fil des ans. Mais notre coeur est demeuré syldave.

— J'ai bien connu Muskar XII, fait Tintin (1).

Le coup de pied de Bobette sous la table lui fait prendre conscience de sa gaffe. C'est la jeune fille qui sauve la situation, tournant la remarque à la plaisanterie.

— Oui, il connait bien Elvis et le Père Noël aussi, fait-elle. Il paraît qu'ils ne font qu'un.

Tous trois éclatent de rire. Joe, s'emploie à ouvrir une bouteille de Szprädj, le très réputé vin rouge Syldave, et invite Bobette à servir le plat. Au moment d'ôter le couvercle de la cocotte, cette dernière s'exclame :

— Holalaaa, qu'est-ce que ça sent bon. C'est quoi exactement ?

— C'est un peu comme un pot-au-feu, à la mode syldave, avec des champignons, répond Joe.

— Oui mais la viande ?

— Ah ... c'est du klèbcz (2).

Bobette blémit. Mais Joe éclate de rire.

— Hahaha ... je plaisante bien sûr.

Il peine à se retenir.

— Hahaha ... c'est du boeuf bien sûr. Le plat tire son nom d'une légende sur son origine, il n'y a pas plus de chien là-dedans que de lait dans ce vin. Hahaha ... Bobette, si vous aviez vu votre tête !

Son fou rire est communicatif, et bientôt les trois amis rient de bon coeur. La soirée est légère et délicieuse. Au bout de la deuxième bouteille de vin, les trois amis décident qu'il est grand temps d'aller se coucher.

(1) Voir "Le Sceptre d'Ottokar"

(2) Le syldave présente de nombreuses similitudes avec le patois bruxellois. Or, en bruxellois, le "clebs" désigne un chien, généralement un chien de rue. Bobette ne peut manquer de faire le rapprochement.

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