Ferme bionique pour créature de chair
Je suis né et j'ai toujours vécu dans la Galaxie de la Roue de chariot. Ironique, quand on y pense, car je suis l'une de ces "Araignée-à-quatre-pattes" des vieilles fermes bioniques. Je n'ai rien de mécanique, mais bon, vous savez comment sont les capricieux...
Ma cage se trouve à côté de l'aile est de la propriété, sous le moulin. Imaginez alors le bruit auquel mes tympans se heurtent chaque jour. De plus, ce machin est une véritable antiquité ; toutes les semaines, un gars de la MORT (Macchabées Organisés dans la Restitution Tonnerre) vient rafistoler le grand rouet.
Il apporte toujours son énorme marteau - honnêtement, je ne sais toujours pas comment il réussit à le tenir avec trois doigts anthropoïdes manquants. L'outil a une tête immense et doit peser une bonne vingtaine de kilos, à la façon dont il le porte. Ceci sur du métal, ça fait un barnum monstrueux ! Deux ou trois heures à hurler que l'on stoppe cet enfer, ça vous casse la voix, j'en sais quelque chose ! Eh puis, je crois que je deviens de plus en plus dur de la feuille, comme disent les humains.
Je crois que mon maître aime me savoir souffrir. Oh, il vient bien me crier dessus quand je demande un peu de liberté hors de ma boite à gros barreaux sous prétexte que je le rends dingue avec mes "glapissements criards", mais il ne fait jamais rien pour arranger les choses.
Il dit souvent que les sons qui sortent de ma longue gueule font l'effet d'un poignard que l'on planterait dans les oreilles. Des beuglements pointus et tranchants comme des lames effilées et aiguisées la veille. Au contraire, moi, j'aime ma voix. Difficile de lui donner des détails, mais je la trouve très chantante et c'est aussi ce que me disent mes semblables. Quoi qu'il en soit, mon maître la hait au point de me museler. Malgré mes résistances, il arrive toujours à ses fins.
En général, il me bâillonne lorsqu'il a de la visite. Souvent, ce sont ces hideuses fillettes. Elles ne sont pas méchantes - elles me donnent même à manger -, elles ont juste des têtes qui ne me reviennent pas.
L'une d'elles a toujours deux serpents velus dans le dos et deux grands ronds qui bouge sans arrêt sur la face. Elle a un truc dessous, comme des naseaux difformes (Je me demande si elle n'a jamais cherché à consulter un véto...). Ses dents aussi sont inexplicables, elles ont quelque chose d'illogique. Plates, vous dis-je, elles sont plates, carrés (sauf deux pointus) et blanches comme mes céréales. J'ai bien essayé de les manger une fois, on confond vite ce genre de chose, mais ça n'a pas plu à mon maître qui m'a remis ma muselière enlevée pour l'heure du repas. Depuis, cette petite humaine reste loin derrière ses amies - tant mieux, je n'ai plus à supporter sa sale tronche.
Les deux autres se ressemblent autant qu'elles diffèrent de la première. Je crois qu'elles sont de la race de mon maître, mais j'ai parfois du mal à identifier les Struggles des Qurwakts.
Elles ont des mâchoires ballonnées comme mes cuisses, jusque sous leurs naseaux, fendus en biais. Dedans, il y a deux autres trucs gonflés, comme l'humaine a sous le museau, entièrement noirs et qui bougent quand elles parlent. Au-dessus de la colline qu'elles portent sur le visage, on peut voir de près deux trous noirs qui me soufflent parfois un truc visqueux dans le cou lorsqu'elles me montent dessus. Quand je les emmène en balade (contre ma volonté, vous l'aurez deviné), elles sont toujours obligées de serrer leurs quatre membres filandreux respectifs autour de mon abdomen. Quitte à m'étouffer !
Quant à leurs yeux, ils sont un peu comme les miens : une croix blanche ou grise, selon l'humeur. J'ai cru voir une fois un point noir se balader au centre, mais je n'en suis pas sûr. Et enfin, elles sont couvertes d'une couleur marron craquelée, un peu comme de la merde de Ponybee. Vous voyez ? Mais si, la chose que les humains ont créée à partir de leurs créatures terriennes. Enfin, l'une de choses. On sait toujours où elles sont passés, elles défèquent partout ils vont. C'est... marron... et craquelé... De la merde de Ponybee !
Pour revenir à ces "balades" de gaminerie, il faut savoir que mon maître a la fâcheuse tendance de me tenir les rênes par devant. Il marche à quelques pas de moi, en tirant des coups secs à chaque fois que je ralentis. Deux fillettes, plus probablement des Struggles, sur votre carapace, ça pèse au point de vous faire toucher le sol. De nature, mon ventre en est à ras, c'est vrai, mais bon sang ! Mes pattes sont longues et fortes, mais ce n'est pas une raison pour me faire souffrir !
Et si seulement, ça s'arrêtait là ! Non, bien sûr, puisque la seule raison pour laquelle j'ai été acheté il y a de cela... dix... douze ans ? c'est pour le profit que je peux apporter. Ah, mais oui, vous la savez déjà : comme je l'ai dit plus tôt, je suis une "Araignée-à-quatre-pattes" des vieilles fermes bioniques. Les fermiers des bêtes mécaniques ne gagnent plus autant qu'autrefois, d'après ce que l'on m'a raconté, alors pour continuer à exercer sans problème, il leur faut travailler au noir.
Une fois par mois, en moyenne, je suis loué par des voyageurs (interstellaires ou non) ou par des gamins fugueurs (et aisés ou voleurs, c'est évident) en quête d'aventure. Je fais de nombreux voyages de planètes à d'autres, rencontrant différentes espèces, d'autres chevauchés... Quoi ? J'ai de la chance ? Mes loueurs sont exécrables ! Je ne leur sers vraiment que très peu, la plupart du temps, je reste enfermé dans une soute ou un aéroport comme d'autres races d'animaux chevauchés avec qui j'échange. On me montre alors à certaines personnes qui prennent instantanément peur. Ils hochent la tête à mes loueurs et s'en vont en courant peu de temps à près. Je n'ai jamais compris leur manège...
Sur le chemin du retour, je suis souvent électrifié par leurs bâtons bleus. J'ai perdu le compte des décharges que j'ai reçu depuis bien longtemps ! On profite souvent des moments où je suis ligoté pour me faire pâtir. Et j'ignore toujours si mon maître est au courant ! Sûrement. Mon instinct me le dit.
Hein ? Si mon maître me monte ? Mais bien sûr ! Quand ce fainéant veut rejoindre l'autre bout de la propriété, voir les reconstitutions des vaches terriennes par exemple, je suis instantanément désigné présent ! Avec son embonpoint, ce n'est pas mieux que les deux fillettes. C'est d'ailleurs l'une des rares fois où je le vois - enfin, le sent sur mon dos - à quatre pattes. D’habitude, il se tient toujours sur ses deux pattes arrières - ça ne le rend pas plus rapide, mais plus présentable. Monsieur veut paraître gentleman ! même quand il n'y a personne.
Maintenant que j'y pense, il a bien trois petites mandibules sur la colline de son visage. C'est peut-être bien un Qurwakt... Je n'y ai jamais vraiment réfléchi, car j'ai souvent du mal à identifier les Struggles des Qurwakts (comment ça, je me répète ?).
En plus, son terrain n'est pas si grand ! En quelques minutes de trot, je joins les deux bouts. Il pourrait faire le chemin seul, mais non, puisque c'est un feignant !
Ah, et j'allais presque oublier ! Quand il manque d'animaux porteurs (il vient d'en faire commande ou autre), je dois l'aider aux champs ! Il m'accroche alors une grande charrette autour de la carapace et me traine à la corvée. Il ramasse d'abord les quelques céréales naturelles qu'il fait pousser, puis m'emmène aux immenses serres (une bonne vingtaine) où il détache les plantes mécaniques des perfusions. Il y a tout le temps un truc vert et poisseux qui tombe sur le sol. J'en reçois même sur l'arrière-train lorsqu'il les met dans la charrette.
Et donc voilà ! Ma conclusion est : je hais mon maître. Bah oui, ne me regardez pas comme ça, je viens de tout vous raconter !
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