Chapitre 3 Frisson
Sarah est réveillée par la vibration insistante de son téléphone. Elle entrouvre les yeux, légèrement désorientée par la lumière blafarde de la chambre d’hôpital. L’écran affiche un nom familier :
”Bridget”.
Elle décroche d’une voix encore enrouée :
— Allô…
— Sarah ! Enfin, tu réponds… Comment tu te sens ?
Le ton chaleureux de Bridget lui fait du bien, mais Sarah soupire en regardant le plafond.
— Fatiguée… Mais ça va.
J’ai hâte de sortir d’ici.
— Je me doute. Ils t’ont donné une date ?
Sarah secoue la tête, bien que Bridget ne puisse pas la voir.
— Ils font encore des examens, j’attends les résultats.
— Probablement la semaine prochaine. Si tout va bien.
Un silence complice s’installa, juste le temps que Bridget souffle :
— Tu me fais peur, tu sais.
— Je sais… Mais ça va aller, Bridget.
— J’espère. J’aimerais tellement être là avec toi.
— Je sais. Mais rien que de t’entendre, ça me fait du bien.
— Tu as besoin de quelque chose ?
Sarah ferme les yeux un instant. Bridget habite toujours à Long Island, elle ne peut pas venir, mais juste le son de sa voix lui suffit déjà.
— Non, merci. Juste parler un peu avec toi, ça me fait du bien.
— Est-ce qu’il va te falloir un protocole ?
— Je ne sais pas encore, le médecin devrait m’en parler demain, ils auront les résultats des analyses ce matin, il va consulter un collège de cancérologues pour voir la meilleure des choses à faire.
L’opération à été plus longue que prévu, il ont dû prélever plus de choses, et il y à eu un souci avec l’anesthésie. Je ne suis remontée que tard dans ma chambre.
Bridget sourit à l’autre bout du fil comme pour rendre ce moment moins grave.
— Tu me tiens au courant dès que tu sais quelque chose ?
— Promis.
— D’accord. Repose-toi, ok ? Je vais essayer de venir quelques jours à ton retour à la maison.
Sarah acquiesce en silence, un petit sourire aux lèvres.
— Fais comme tu peux Bridge, je sais que tu as beaucoup de travail et que ce n’est pas facile pour toi de trouver ce temps.
— Tu sais que je suis là quoi qu’il arrive Sarah…
— Merci pour ce soutien, ça me fait du bien de pouvoir compter sur vous toutes mes amies.
Elles continuèrent à échanger quelques mots, parlant du quotidien, du temps à Long Island des petits plaisirs simples. Un instant de normalité, loin du chaos.
— Quoi qu’il arrive, je viendrai cet été, comme d’habitude. Prépare-toi, car je compte bien t’embarquer avec moi pour une virée au bord de l’eau !
Un sourire se dessina sur le visage de Sarah.
— Ça me donne une raison de tenir le coup.
Bridget rit doucement à l’autre bout du fil.
— Exactement. Tiens bon, ma belle.
Elle raccroche doucement avec son amie, cette conversation lui a redonner une perspective, elle passerait un moment ensemble aux beaux jours.
Le silence de la chambre d’hôpital s’installe à nouveau autour d’elle, mais son esprit vagabonde, loin des murs froids.
Dans la soirée, le médecin fit son entrée, pour l’informer sur son état.
Elle fit un drôle de rêve cette nuit-là.
Sarah se revit, quelques jours après sa crémaillère, assise face à Joe à la terrasse de ce petit restaurant chaleureux. Le soleil, en train de se coucher lentement à l’horizon, les enveloppait d’une lumière douce, presque irréelle. Les rayons dorés se mêlaient aux ombres de la fin de journée, jetant des reflets délicats sur la table en bois et créant un halo autour de lui. Joe, dans son regard, portait une sorte de sérénité qui la fascinait, comme s’il était parfaitement à sa place en ce moment précis.
Elle avait revu Joe quelques jours après sa fête, ils avaient bavardé un peu et il lui avait offert un café chez lui. Et puis, l’invitation à dîner était venue presque naturellement, comme si tout s’enchaînait sans qu’il y ait de vraie hésitation. Sarah avait accepté, attirée par la manière dont Joe semblait s’intéresser à elle, comme si chaque mot, chaque geste, était chargé de sens.
Le samedi suivant, elle s’était préparée avec soin, choisissant une robe longue qui flottait autour de ses jambes avec légèreté. Ses cheveux, laissés libres dans un chignon défait, encadraient son visage et laissaient s’échapper quelques mèches qui se perdaient dans son cou, ajoutant à son allure une touche de naturel. Elle se trouvait belle, et ce sentiment de confiance la réconfortait. Quand elle s’était regardée dans le miroir, elle avait vu une version d’elle-même pleine d’espoir, prête à découvrir ce que cette soirée pourrait lui offrir.
Joe, de son côté, l’attendait avec un regard plein d’admiration lorsqu’elle arriva à la terrasse du restaurant. Il n’avait pas besoin de mots pour lui faire comprendre qu’il la trouvait splendide.
Il avait commandé du champagne, une bouteille qu'il avait choisie sans hésiter, comme s’il connaissait déjà ses goûts mieux qu’elle-même. Chaque mot qu’il prononçait semblait pesé, réfléchi, mais avec cette aisance presque déconcertante. Elle le regardait, se demandant comment il pouvait paraître si à l’aise dans ce qu'il disait, comme si tout était calculé avec une précision qui, aujourd’hui, lui semblerait presque effrayante.
Il avait tendu son verre pour porter un toast, un sourire charmant sur les lèvres :
“À nous, à tout ce qui vient”.
Et elle, sous la chaleur du soleil couchant, avait levé son verre en retour, un sourire sincère éclairant son visage, heureuse de partager ce moment avec lui, sans aucune arrière-pensée.
— C’est tellement…
Elle avait cherché le mot, mais tout lui semblait un peu trop grand, trop intense pour décrire ce qu’elle ressentait:
— C’est parfait ! Avait-elle fini par dire.
Elle était sincère, mais à cet instant, elle ne savait pas que tout ce qui semblait parfait autour d’eux n’était qu’une illusion fragile.
Le serveur leur avait apporté des plats simples mais délicieux, des mets qui embaumaient l’air de fines herbes et d’épices. Mais c'était les échanges avec Joe qui captivaient son attention. Elle se souvient de la chaleur de sa voix, de la façon dont il parlait de ses projets, de ses rêves, comme si tout était déjà écrit. Un peu comme s’il lui offrait un aperçu de son monde, un monde dans lequel elle se sentait de plus en plus attirée, bien que tout semblait se dérouler à une vitesse effrénée. Il était lieutenant chez les Marines, seul, divorcé, et rêvait d’avoir des enfants. Ces mots avaient résonné dans la tête de Sarah.
Au moment où le soleil disparaissait enfin derrière l’horizon, l’atmosphère semblait se transformer, comme si la nuit apportait un nouveau rythme à la conversation. Les ombres s’allongeaient, enveloppant tout autour d’eux d’une douceur étrange, presque apaisante. Elle avait voulu rester là, à cet instant précis, figée dans cette bulle de calme.
Mais maintenant, tout cela semblait lointain, comme un rêve dont les contours se sont effacés avec le temps.
Sarah se souvient de ce moment précis.
Un petit frisson avait parcouru sa peau, une intuition sourde, une étrange sensation qu’elle n’avait pas su définir.
Ce n’était pas une alerte, mais quelque chose dans son ton, dans sa manière de poser les choses, avait semé un grain de doute. À ce moment-là, elle ne l’avait pas écoutée. Peut-être que c’était trop tôt, ou peut-être qu'elle n’était tout simplement pas prête à voir ce que ce dîner avait réellement annoncé.
Elle aurait voulu revenir en arrière, se glisser dans cette version d’elle-même, naïve et confiante, elle aimerait pouvoir la prévenir, lui dire de se méfier, de voir les failles, les fissures.
Mais il n’y avait pas de retour possible. Si seulement elle avait su à ce moment-là ce qui allait se passer.
Elle se redressa dans son lit d’hôpital, la douleur se mélangeant à l’amertume et à l’incompréhension. La Sarah de ce soir-là, assise dans ce restaurant, était si pleine d’espoir, d’illusions naïves.
Alors, elle ferma les yeux, une nouvelle détermination prenant racine en elle. Il est peut-être trop tard pour la Sarah d’avant, mais il n’est pas trop tard pour celle qu’elle est devenue. Et si son corps était brisé, son esprit, lui, refusait de se laisser emporter par la mort.
Annotations
Versions