Jade - 2

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J’éteins mon réveil. Bordel. Aujourd’hui, c’est la rentrée. Douche, habillage, brossage de dent. J’attrape mon sac, je sors. Je lève le nez. Il va pleuvoir. Les fars du bus sont au bout de la rue. Pile à l’heure. Le chauffeur me dit bonjour. Je l’ignore. Je m’affale au fond.

Le bus se remplit. Les autres savent que le fond est à nous. 10e arrêt, Lucas monte. Il se laisse tomber à coter de moi, grogne un bonjour, passe son bras autour de mes épaules. Je le laisse faire, même si au fond, je m’en fous.

— Je pense qu’on sera dans la même classe.

Je ne lui réponds pas. On en sait rien. Je ne comprends pas pourquoi il veut être avec moi. Il dit qu’il m’aime. Qu’il n’aime que moi. Ça me fait une belle jambe. Au quotidien, ça ne change rien. Il me serre un peu plus fort. Il est chaud. Je peux pas dire que je n’aime pas, mais… Je sais pas. Je n’ai pas envie de me blottir. Or on a envie de se blottir non ? Il m’attrape le menton et m’embrasse. Ses lèvres ne sont pas douces. Il ne fait pas froid et pourtant elles sont rêches. Pleines de crevasses. Je garde la bouche obstinément fermée. Ce matin, je ne veux pas qu’il mette la langue. Il comprend, alors il se redresse. J’aime ça chez lui. Il comprend mon silence.

Le bus s’arrête. Il pleut des cordes. Bordel de merde. Lucas m’attrape la main et me tire pour sortir. Il s’arrête devant la grille. Il fixe les barreaux rouges de rouille. C’est sa deuxième terminale. Sa dernière. Qu’il la réussisse ou pas.

— Je veux pas M. Harnois en math.

— T’es con ou tu le fais exprès ?

— Quoi ?

— Y a que lui.

— Merde.

Lucas fait demi-tour. Je lui lâche la main et entre pour me mettre à l’abri. Je m’approche des tableaux d’affichage du hall. Seconde, Première, ah ! Terminale. Je ne cherche pas longtemps. Terminale S1, prof principale, Madame Renart, math. Ah. Je fais demi-tour. Pas besoin de courir je sais où est Lucas. Il attend la navette retour sous la pluie.

— Ce n’est pas M. Harnois.

— Vrai ?

— Vrai.

— C’est qui ?

— Renart, une nouvelle.

— Ah ! Terrible ! Elle voit pas le danger celle-là.

Je lui emboite le pas. Il monte sans hâte jusqu’en 203. On est en retard. Je sais que Lucas s’en fout. C’est un principe chez lui. Jamais arriver en cours à l’heure. Quand il ouvre la porte, je vois qu’il y a une nana assise sur le bureau. Elle nous demande si on a un mot de retard. L’audace. Elle est prof ou quoi ? Lucas dit non et on s’installe.

La nana descend du bureau et vient vers nous. Elle est pas bien grande.

— Bonjour Lucas. Bonjour Jade.

— ‘jour, lâche vaguement Lucas.

— Recommencez votre entrée s’il te plait. Je ne pense pas que votre intention était de manquer de nous manquer de respect, mais sait-on jamais ?

Je pince le bras de Lucas avant qu’il ne l’envoie chier. Oui, c’est bien la prof. Merde. La boulette. J’ai pas envie de me prendre la tête le premier jour. Elle a raison, nous sommes en tort. Je me lève, Lucas me suit et on sort.

— Qu’est-ce qui t’prends, me demande Lucas tout bas.

— On va la laisser tranquille pour son premier jour.

— s’tu veux. Mais qu’elle me fasse pas chier.

— Elle est petite, elle doit compenser quelque part.

Lucas hausse les épaules. Je ne pense pas qu’il m’ait compris. Il m’embrasse et frappe à la porte.

— Bonjour, vous êtes en terminale S1 ?

Elle est con ou elle le fait exprès ?

— Apparemment.

— Bien, entrez. À l’avenir, tâchez d’être l’heure s’il vous plait, à moins que vous ayez un mot de la vie scolaire. Interrompre un début de court est toujours dérangeant, pour vos camarades comme pour moi.

C’est ça. Compte sur nous. Lucas émet un vague grognement. À mon avis il s’en cogne.

— Jade, tu veux bien enlever ton bonnet s’il te plait ?

Ça y est, elle m’emmerde. En quoi mon bonnet la dérange. Je me retourne, braque mes yeux dans les siens. Ils sont verts. Sombres comme une forêt d’hiver. Pourtant ils sont chaleureux, souriants. Cette nana sourit avec les yeux.

— Est-ce que je vous demande d’enlever vos chaussures ?

Je l’ai dit plus durement que ce que je voulais. J’entends Lucas ricaner. OK, j’avais dit qu’on la laisserait tranquille. Mais mon bonnet. C’est mon style, comme un bracelet, un pull, une paire de godasses. Je ne comprends pas cette obsession pour les couvre-chefs à l’intérieur.

— Je ne suis pas contre des règles d’habitation, cependant je ne suis pas sûr que tu veuilles que tout le monde ôte ses chaussures.

Je pince les lèvres pour ne pas sourire. Lucas me donne un discret coup de coude. C’est bien envoyé comme réponse. J’enlève mon bonnet.

— Merci Jade.

Le reste du cours est long, chiant. Paperasse, organisation, règlement. Je me balance sur ma chaise et cale mes genoux contre la table. J’attends que ça se termine. Lucas s’est endormi. Je sens sa main sur la cuisse se contracter au rythme de ses rêves. Ça n’a pas l’air de déranger Renart. Elle jette régulièrement un coup d’œil dans notre direction, mais elle ne dit rien.

Renart. L’ironie. Ses cheveux roux doivent être ancestraux. Je ne peux pas la quitter des yeux. Elle m’intrigue. Elle a réveillé Lucas d’une pression d’épaule lorsqu’elle a commencé son cours. Je l’ai vu prêt à râler, mais son sourire l’a fait taire illico. Incroyable. Elle a rendu Lucas presque attentif. Malgré sa tête d’enfant, elle s’impose à la classe avec un naturel déconcertant. Discours calme, explication claire. L’année ne s’annonce pas si merdique que ce à quoi je m’attendais en me levant.

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