Premier ingrédient : l'idée

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Il s’agit de la base, du point de départ, du déclencheur de tout ce qui suit. On n’écrit pas sans avoir, au préalable, une idée. On doit avoir envie de parler de quelque chose. Et pour bien en parler, tout le reste va devoir être élaboré, autour, comme une vaste mosaïque, pour mettre cette idée en valeur.

Ici, tout le monde veut être original. Nombreux sont ceux qui pensent que, comme l’idée est le cœur du récit, il s’agit du principal élément à soigner, et finalement, qu’une bonne idée est la clé d’une bonne histoire. Mais une idée, aussi excellente soit-elle, ne sauvera pas un mauvais livre.

Bien entendu, l’originalité est un atout, mais à mon sens on ne doit pas la rechercher à tout prix, on ne doit pas tout sacrifier sur l’autel de la nouveauté. Un bon polar, classique mais plein d’ambiance et peuplé de personnages typés, peut faire un récit particulièrement savoureux sans forcément miser sur son idée. Surtout, il faut savoir s’inspirer. Cela suppose que l’on se nourrisse ailleurs, que l’on consomme des œuvres produites par d’autres. Je parle ici d’œuvres au sens large, bien sûr, ce peut être dans d’autres genres que les vôtres, et même dans d’autres disciplines, le cinéma, le dessin, la musique… Mais il ne faut pas hésiter à lire avant d’écrire. Il ne s’agit évidemment pas de faire du copié-collé, aussi plus vous lirez, plus vous goûterez à des mets différents, plus vos possibilités s’élargiront. Ceci est d’ailleurs valable pour tous les ingrédients de l’alchimie.

L’idée peut consister en des choses très diverses. Celle à laquelle on pense d’emblée, c’est une idée d’histoire ; vous songez à une situation particulière, à un dilemme ou un conflit particulier que vous désirez raconter. Mais le champ des idées possibles ne s’arrête pas là. Il y a les concepts (ex : et si notre monde était une réalité virtuelle… Ou si les sorciers vivaient cachés parmi nous et qu’un gamin de onze ans se voyait convoquer par une école de magie), il y a les personnages (Sherlock Holmes : un surdoué excentrique résout des mystères. Et même des duos de personnages, si on lui adjoint Watson, qui fait un bon contrepoids), il y a les mélanges de genres (The time traveler’s wife : romance/fantastique, on peut trouver aussi de l’historique/fantasy, cyberpunk et steampunk sont des mélanges devenus genres…), il y a aussi les idées de forme (Dracula : une histoire narrée au travers d’échanges de lettres et de journaux intimes, comme des indices rassemblés par un auteur en quête de vérité, donnant ainsi un ton hautement crédible au récit. Ou Memento et ses deux moitiés d’histoires, l’une en marche avant, l’autre en marche arrière). Parfois, tout tourne autour d’un mystère, d’une chute, d’un twist final, comme c’est souvent le cas pour les nouvelles ou le policier.

Une idée peut toutefois être le point de départ d’une grande œuvre, si elle est bien traitée. Ici sur Wattpad, on trouve par exemple le CMOB et son mélange génial de policier et d’humour, Chevalier Larouille et son improbable western spaghetti médiéval, qui associe mélange de genres et idée de personnage, Cody et son fabuleux concept de Tour aux possibilités infinies…

La règle veut que l’on choisisse une idée, et une seule, pour ensuite la traiter à fond, se focaliser dessus, en tirer tout le jus. Ça semble logique. Trop d’idées associées se dilueront inévitablement les unes les autres. On ne songerait pas à concocter un cocktail à base de dix fruits, dix sirops et dix alcools différents. On risque de gâcher l’essence des idées par un amalgame trop hétéroclite.

Et pourtant…

La position de Laurent (c’est moi)

Comment est-ce que je me place par rapport à cet ingrédient ? Eh bien partiellement en hors-la-loi.

En effet, je suis un peu victime de ce risque tout juste évoqué : mon petit esprit foisonne d’idées, pour l’essentiel des concepts, mélanges de genres et éléments background. Comme je n’ai ni le temps, ni le courage de consacrer un récit à chacune, j’ai tendance à vouloir les rassembler, à les associer, à traiter, donc, plus d’une idée à la fois.

Bon, c’est probablement une erreur, je sais. Ça me pousse à produire des récits denses, parfois un peu confus, vastes, certes, mais au détriment d’une certaine efficacité narrative. Néanmoins, ce qui est valable pour le grand tout est valable aussi pour ses parties constitutives. C’est-à-dire qu’avec un bon dosage, si l’on sélectionne des idées qui s’harmonisent, si on les équilibre, il y a moyen, je pense, d’obtenir un très bon résultat. Comme Larouille, évoqué précédemment, qui exploite à merveille son mélange de genres et son personnage, comme Watchmen, qui propose une galerie de personnages, un concept époustouflant, une audacieuse construction découpée du récit, et parvient ainsi à créer quelque chose de jamais vu auparavant. Certes, on connaît l’uchronie, certes, les super-héros existaient déjà, certes un récit entrecoupé de flashbacks où se dissimulent les indices, ça a déjà été fait… mais l’association bien dosée de tout cela produit un chef d’œuvre inégalé et probablement inégalable.

Si la stratification des idées est un exercice difficile, si la complexité d’écrire l’histoire s’en trouve multipliée, en cas de réussite, on s’assure d’obtenir un résultat tout à fait singulier, à la saveur rafraîchissante. Il convient probablement de hiérarchiser ses idées, d’en choisir une ou deux comme centre sur lequel se focaliser et de laisser aux autres un statut secondaire, d’évoquer des possibilités et de laisser le reste à l’imagination du lecteur. Mais là encore, le dosage du traitement des idées secondaires est régi par un équilibre particulièrement délicat : pas assez traitées, le récit donnera une impression de creux et de superficialité, trop traitées, la dilution rendra le propos confus.

Donc, plus personnellement, étant donné mon esprit en ébullition, ma fainéantise proverbiale et mon penchant pour ce genre de récits aux multiples facettes, qui jonglent brillamment avec diverses idées, c’est très exactement vers ce type d’histoires que je m’oriente lorsque j’écris. Je ne brille pas par l’originalité de mes idées prises séparément, mais je tente de proposer des associations intéressantes.

Concernant ma méthode de travail, avant de songer à écrire, j’ai des idées qui me trottent dans la tête, parfois longtemps. Je dois leur trouver un angle d’approche et, comme je l’ai évoqué, il s’agit parfois d’un amalgame de plusieurs idées. Pas toujours évident de trouver par quel bout les aborder.

Je jette ces idées sur le papier (à la main, pas sur pc). En général, ça prend la forme d’une phrase ou de quelques lignes pour décrire la ou les idées, puis pour chaque aspect qui me vient à l’esprit, chaque enrichissement ou option d’enrichissement, car on en est encore au stade de la recherche, rien n’est arrêté.

Par exemple :

-Concept fantasy post-apocalyptique.

-Un monde en plein déclin, en pleine débâcle. Petit à petit rongé par un mal cataclysmique inéluctable. Des pans entiers du monde volent en éclat, la nature se décrépit pour laisser la place à d’immenses déserts parsemés de ruines. Hormis dans de rares havres, la loi du plus fort règne.

-Prétexte pour raconter les aventures de voyageurs égarés dans cet univers violent, en quête de survie et d’eux-mêmes. Épisodes assez courts, immédiats, dépeignant le monde et les personnages par petites touches et donnant des éléments de réponse peu à peu, au gré de voyages « d’oasis en oasis », chacune avec son organisation propre.

-Ce qui a provoqué le déclin :

etc…

Ceci est un extrait de pré-approche comme j’en ai fait des dizaines. Je pense que ça donne une idée du processus. Au départ, c’est plus un amas d’idées que je tente ensuite d’harmoniser et de relier les unes aux autres. Je démarre souvent du background, d’un univers plutôt que d’une histoire ou des personnages. J’imagine un monde dans lequel je voudrais voir un récit se dérouler. Bien que ce soit un tort, un autre de mes défauts (j’en ai beaucoup, c’est pas facile tous les jours). J’expliquerai plus tard, concernant l’ingrédient « background », qu’il est idéal d’élaborer son contexte en fonction de l’histoire que l’on veut raconter. Mais je m’aperçois que je respecte assez peu mes propres règles. Peut-être ai-je un problème avec ma propre autorité.

Pour ce concept-ci, la fantasy post-apocalyptique, voilà plusieurs années qu’il me tournait dans la tête. J’avais déjà fait cette première ébauche à plusieurs reprises, sans être suffisamment satisfait pour songer à me lancer. Mais au fur et à mesure que de nouvelles idées venaient, évoluaient ou disparaissaient, l’ensemble a pris une forme qui me convenait mieux et a fini par devenir une matière première exploitable.

Ce mode de travail est une constante pour moi. J’ai toujours procédé ainsi. Je fais plus ou moins de même pour d’autres aspects du récit, tels que l’élaboration des personnages et de l’univers, et même pour mes autres activités, comme la conception de jeux de rôle et de plateau. Le faire au stylo ou au crayon est également un avantage. Il est plus facile de relier les idées associées, de compléter par des flèches, de barrer les idées à délaisser (tout en en conservant une trace), d’ajouter des notes dans la marge, de faire un schéma ou un dessin…

En conclusion, ne sacrifiez pas tout à votre idée de départ. Parfois, il vaut mieux la laisser muter, changer, évoluer en fonction de votre intérêt, car c’est vous qui allez devoir écrire ensuite. Et c’est toujours un bon réflexe de laisser à une idée un temps de gestation, la digérer un peu, y resonger de temps à autres afin de l’affiner et de savoir sous quel angle l’approcher. C’est d’autant plus vrai si vous désirez tenter la périlleuse expérience de stratifier plusieurs de vos concepts géniaux.

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