Chapitre 1

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 Mes pieds battent le sol comme s’il était fait de braises. Je dois aller plus vite, plus loin. Je fonce sans même savoir où je vais. Des regards se tournent sur mon passage. Mes vêtements sales et déchirés sont plus voyants que je ne l’ai imaginé. Mais c’est bien la dernière de mes préoccupations.

Les rues défilent tandis que j’avance. Les immeubles me toisent de leur hauteur. Je suis telle une petite souris qui se faufile dans un labyrinthe où chaque partie ressemble à la précédente. Je prie pour ne pas être revenu sur mes pas. Il faut que je m’éloigne, encore. Je cours à en perdre haleine, la douleur dans mes jambes n’est pas suffisante pour m’arrêter. Ce n’est pas la volonté qui meut mon corps, mais l’instinct de survie. L’adrénaline dans mes veines aide mes muscles à supporter l’effort. Depuis combien de temps est-ce que je cours ? Pas assez longtemps, c’est une certitude.

Je traverse une route où la circulation est si dense que je manque me faire renverser par une voiture qui hurle son mécontentement. Un passage entre deux boutiques me permet de lui échapper. Je file à tout à allure comme si un chien enragé me poursuivait.

Puis, à la sortie de la ruelle, un homme coupe ma trajectoire, je n’ai pas le temps de l’esquiver. Le choc est brutal. Mon corps l’entraine dans ma chute. Ma tête cogne si fort contre la sienne que je me sens tout de suite étourdi. Mes genoux se fracassent contre le sol, puis mes coudes. Je reste étendu, le souffle court, tentant de comprendre ce qui vient de se passer.

Un chien aboie, une foule se rassemble autour de nous. Fuir est le seul mot d’ordre qui tourne dans ma tête, rapidement balayé par la douleur lancinante de mon crâne. D’ailleurs, tout mon corps me fait souffrir. Une pluie lourde s’abat brusquement sur moi ; mes vêtements sont si trempés qu’ils dégoulinent.

Le chien – un border collie au pelage gris tâché de noir – manifeste toujours sa colère envers moi. Je remarque son harnais où est situé une poignée. Puis mon regard tombe sur l’homme que j’ai renversé. Assis par terre, il masse sa tête, les yeux dans le vague. Une femme l’aide à se relever et me fustige aussitôt :

« Ça va pas la tête ? Il faut vous faire soigner ! »

Je reste figé, incapable de bouger ou de dire quoi que ce soit. Mes pensées s’accrochent à une seule idée : partir loin d’ici dans un endroit où jamais personne ne me retrouvera. Mes yeux scrutent chaque visage, chaque geste qui se dirigerait vers moi.

Les protestations du chien se renforce encore tandis qu’il avance vers moi. Mon sang ne fait qu’un tour, va-t-il m’attaquer ? Il ne montre pas les dents, mais le poil hérissé sur son dos ne m’inspire pas confiance.

« Alpha, ça suffit ! gronde la voix de ma victime. Au pied ! »

Son compagnon à quatre pattes s’exécute, mais le regard bicolore de celui-ci reste posé sur moi comme une menace. Je remarque alors une canne blanche à côté de moi. Il me faut un peu de temps pour faire le lien entre elle et le maître du chien.

Les regards sur moi se font plus lourd. Ils me jugent, peut-être même que certains me reconnaissent ? Je me remets sur mes pieds, ignorant la douleur qui irradie chacun de mes muscles. Je balaye d’un coup d’œil les alentours, cherche une échappatoire, mais la foule qui me fixe me paralyse.

« Vous pourriez vous excuser, non ? » reprend la femme d’un ton sec, les poings sur les hanches.

Elle s’avance vers moi pour saisir la canne et la glisse dans la main de son propriétaire. Ses yeux ne me quittent pas. Puis elle secoue la tête, grimaçant de dégoût, et s’assure que l’homme va bien.

« Ça va, merci, répond-t-il en posant sa main sur la poignée du harnais. Plus de peur que de mal. »

Son sourire semble rassurer tout le monde, et la foule se disperse peu à peu. Je n’ai pas bougé, le cœur battant, comme si j’attendais la punition qui va avec ma maladresse.

« Vous êtes toujours là ? me demande l’homme.

  • Euh… O-Oui.
  • Vous allez bien ? »

Je le dévisage : ne serait-ce pas à moi de poser cette question ? C’est vrai qu’en nous observant tous les deux… j’ai l’air bien plus amoché que lui. Il se tient droit, à juste brosser ses vêtements pour retirer les saletés qui s’y seraient incrustées et se frotte encore un peu la tête. Moi, mes coudes et mes genoux sont en sang, je peux le voir à travers le tissu qui s’est déchiré sous l’impact. Mes membres sont foudroyés par la douleur et il me faut rester courbé pour l’atténuer.

« Qu’est-ce que vous essayiez de fuir ? Les flics ?

  • Les… Les flics ?
  • Oui, vous courriez bien pour une raison, non ? C’était un peu trop rapide pour un jogging.
  • Je… euh… un démon. Ou peut-être plusieurs.
  • Rien que ça ! rit-il. Vous êtes sûr que ça va ? »

Il m’adresse un sourire forcé, comme s’il avait pitié de moi. Je l’observe en silence. Ses yeux n’ont pas l’expression habituelle du commun des mortels. Ils sont tournés dans ma direction, mais ne se pose pas sur moi.

« Vous allez bien ? » répète-t-il plus doucement.

Je suis trempé jusqu’aux os, mon corps entier me picote, brûle, j’ai faim et le froid m’enlace de ses bras glacés. Ah, et des démons sont véritablement à mes trousses. Vais-je bien ?

« Dites… Ça ne me regarde pas, mais… vous avez besoin d’aide ? Je peux contacter quelqu’un pour vous ? Un ami, de la famille ?

  • J’en ai pas.
  • Vous habitez loin ? »

Je ne réponds rien. Lui expliquer ma situation me vaudrait un nouveau sourire de sa part.

« Très bien. Je vais y aller alors. Prenez soin de vous, d’accord ? »

Sa voix prend l’accent de la tristesse. C’est tout ce que je lui inspire. Il tourne les talons avec son chien et je soupire. De soulagement ? De fatigue ? Je ne sais pas moi-même. Ma course folle a pris fin et je ne sais toujours pas où me cacher. La nuit ne va pas tarder à tomber, et trempé comme je suis, elle pourrait m’être fatale.

« Hé ! Ce n’est pas dans mes habitudes mais… si vous n’avez pas d’endroit où aller, vous voulez venir chez moi ? Au moins pour cette nuit. Et demain, on essaye de vous trouver de l’aide ? »

Je n’en crois pas mes yeux. Ni mes oreilles. Je le toise sans savoir quoi répondre. La proposition est trop belle pour être vraie, n’est-ce pas ? Et même si elle ne ferait que repousser l’inévitable, j’ai besoin de repos.

« Pourquoi vous voulez m’aider ? Vous ne me connaissez pas, lui fais-je remarquer.

  • Vous avez l’air d’en avoir besoin.
  • Quoi ? C’est tout ?
  • Oui. Ce n’est pas suffisant ? »

Même si je ne le connais pas, il m’inspire confiance. Quelqu’un à qui vous faites du mal bien malgré vous et qui vous tend la main par la suite, ça ne court pas les rues ! Certains seraient encore à me hurler dessus pour leur être rentré dedans, mais lui s’en contrefiche.

« Alors, vous vous décidez ? Vous venez ? insiste-t-il.

  • D-D ’accord, mais… je n’ai rien à vous donner en échange.
  • Je ne vous demande rien. »

Ses lèvres s’étirent puis il me fait signe de le suivre. Nous faisons quelques pas ensemble et il se présente :

« Je m’appelle Tony. Et vous ?

  • Is… Remington. »

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