L'ascension
Sa route se poursuit. Il arrive aux pieds du versant de la montagne. De là où il est, le sommet est invisibilisé par les nuages.
En les observant, il se demande s’il pourra seulement les traverser. Peut-être que son monde a tant changé et que le ciel est devenu si interdit aux hommes, qu’il se défendra de le laisser traverser le manteau céleste.
Mais la graine, qu’il sent désormais jusque dans son canal carpien, lui dit tout ce qu’il a à savoir.
Il est appelé vers les hauteurs.
 Le premier pas est toujours le plus difficile. Il trouve la force de poser le second et il s’engage dans l’ascension. Il veille à demeurer sur les sentiers battus qui rendent la route moins pénible, leur tracé sinueux aplani le sol et lui épargne d’écorcher plus encore ses pieds sur les roches torturées qui saillissent du versant.
Les minutes deviennent des heures. Les vents contraires épuisent ses forces tandis que le pénitent courbe l’échine pour être moins exposé.
Il grimpe. Ses cuisses brûlent, il sent le germe continuer de remonter dans son bras. Il se gratte l’épaule, pour la première fois de sa vie, il sent ses veines à travers sa peau, comme si elles étaient enlacées.
Ce n’est pas désagréable, c’est une sensation de chaleur qui se diffuse dans sa chair. Elle l’aide à faire face au vent qui pousse si fort que ses os en refroidissent.
Il ose lever la tête et le pénitent découvre qu’un plateau ponctue l’ascension.
Le plafond de nuages est à plusieurs kilomètres encore.
C’est trop loin.
Il attrape d’une main le rebord du plateau. Ses doigts tâtonnent jusqu’à ce qu’ils s’accrochent à une pierre assez solide pour qu’il puisse se hisser. Il n’est pas suffisamment lourd pour que ses muscles pourtant émaciés ne le portent. Il se soulève jusqu’à ce qu’il arrive sur le sol et se roule sur le dos, exténué.
Au-dessus, les nuages ne sont pas plus clairs. Il inspire et l’air agresse ses bronches qui s’affinent, à mesure que la chaleur le prend tout entier.
Sa gorge est encombrée, et quand il expire, son souffle libère des pétales écarlates.
Prises par le vent, elles disparaissent dans la vallée en contrebas.
Son corps partiellement engourdi, il se redresse péniblement. Le pénitent regarde le plateau, et au centre, trouve une tente à moitié éventrée. S’approchant de cette dernière, son palpitant s’accélère, si quelqu’un d’autre que lui était sur cette voie, peut-être est-il encore…
… d’un coup d’œil, il découvre un pied malingre et grisâtre qui dépasse de l’ouverture. La peau à même les os et les tendons, cela fait longtemps que cet homme a rendu l’âme, seul.
Aux côtés du cadavre desséché, des emballages de batteries de gros volumes et des conserves rouillées et désespérément vides, raconte une fin de vie entre survivalisme et démence.
Que pouvait-il bien faire de ses batteries ?
Il s’est arrêté. Se dit le voyageur en contemplant le chemin à gravir. Une vive douleur au niveau de la clavicule lui rappelle le processus qui ne ralentit pas.
Il doit poursuivre. Courageusement et au mépris de la croissance du germe, il poursuit l’ascension. Son regard croise de bien curieuses traces sur le versant. Des empreintes de pieds bien lourds, marquent encore le sol.
En relevant la tête, entre deux rochers, il croit apercevoir une silhouette.
Il plisse les yeux, et prie la lumière que cette fois, il trouve vraiment quelqu’un.
Mais une douleur, plus vive encore que la précédente, le fait serrer l’intérieur de son coude. Il souffre tant qu’il a l’impression qu’une plaie béante est en train de s’élargir.
Il retire sa main et contemple sa peau.
Le pénitent découvre que cette dernière se soulève. Cette boursouflure emporte avec elle une veine épaisse, qui semble enfler elle aussi.
Une seconde passe…
… et de la chair éclos une fleur.

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