Mathilde-1 (version 0.6)

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« Mais là, je suis occupé. PAS VRAI, LES GARS ?… YEEAAAAHHHH ! »

Ça, c’est mon con de mec, plus connu sous le nom de Max : le team leader de l’équipe de sport. Il se tape l’une des plus jolies filles de l’école (moi), on ne s’est plus vus depuis ce midi et la seule chose qui l’intéresse à la soirée de Lalye, ce sont ses copains et le billard… comme d’hab, j’ai envie de dire.

Voyant que je n’arriverai à rien avec lui, je sors du living par le patio qui donne sur l’immense jardin de la propriété de luxe. Pour se payer une baraque pareille, le père de Lalye ne doit pas défendre que des gens bien ! En outre, je me demande comment Lalye a pu le convaincre de le laisser organiser cette fête, ce n’est pas un homme facile.

Et en parlant d’hommes faciles, sur quel idiot vais-je jeter mon dévolu ?

Je scrute la piscine, le bar, les transats et l’abri de jardin qui sert d’aquarium pour les fumeurs. Tout est rempli. Partout et à perte de vue, des gars du collège, allant des boutonneux de première qui doivent découvrir le goût de l’alcool pour la première fois jusqu’aux doubleurs de dernière année frimant avec leurs clés de bagnoles tout juste reçues de « Papa Maman ».

Mais commençons par le basique, j’ai soif.

Lalye a fait installer plusieurs bars dans son jardin, dont un près de la piscine. Pour l’atteindre, je fais le tour en regardant les garçons qui trainent dans l’eau. L’un d’eux me demande :

« Eh, Mathilde, tu viens te mouiller ? »

Son visage me parle. Je crois qu’il est en sport avec Max, je crois qu’il est aussi idiot que Max et je crois qu’il y a six mois, après que Max me l’avait présenté, je l’avais bloqué dans un coin pour m’amuser avec son engin.

Je lui réponds par la négative d’un geste de la main car les mecs sont comme de bons livres, on est toujours un peu déçu à la seconde lecture. De plus, je n’aime pas la concurrence des autres filles, dont certaines sont plus dévêtues que moi.

Arrivée au bar, je me sers un curaçao-citron dans un gobelet en plastique, paille comprise ; et directement, j’aspire une large gorgée de cette boisson à la teinte bleue des plus jolies.

Waouw, fort l’alcool ! Faudra que je fasse gaffe si je veux rentrer chez moi en un morceau.

C’est alors que je vois près de la porte d’entrée une longue tignasse verte bien connue.

« Mais c’est Ed ! » m’étonnai-je.

Ed est un gars de ma classe que plus personne n’a vu depuis mardi. Il est geek, gay, maigre, sans muscles et fait partie des gamins qui aiment jouer aux cartes durant les récrés. Je l’observe marcher au loin et remarque que son avant-bras gauche est plâtré, exactement ce qui nous avait été annoncé. Et bien qu’en temps normal, ce bras cassé ferait un très bon angle d’attaque pour le séduire, je ne suis pas de taille à lui virer sa cuti aujourd’hui. Ce soir, visons simple.

Mais je suis interrompue dans ma recherche par le premier massacre de la soirée.

Slip inside the eye of you mind

Au son de cette phrase bien connue d’Oasis, les chanteurs en herbe, tels des oiseaux qui gonflent leur plumage lors de la parade nuptiale, bombent leur cage thoracique afin de démolir Gallagher avec classe. Mon cul contre le bar et la paille en bouche, je regarde s’égosiller les plus idiots de l’école dans de vaines tentatives de drague. Et le pire dans l’histoire, c’est que cela marche, certaines filles se laissent embrasser sans difficulté. Peut-être ne suis-je pas encore assez bourrée pour voir en cette destruction vocale un art musical.

En sirotant ma boisson, je me fais tout doucement à l’idée que cette soirée sera merdique et qu’il n’y aura rien d’intéressant à se mettre sous la main. Mais ça, c’est avant que j’aperçoive Sean au loin.

Sean, c’est le mec de Haha (pas son vrai nom mais tout le monde l’appelle ainsi). Enfin son mec… j’ai entendu dire qu’il y avait de l’eau dans le gaz. Dommage pour elle et bon pour moi.

Il est d’un blond naturel et a toujours eu un style vestimentaire à l’opposé de Max. Par exemple, ce soir, il porte un large t-shirt en coton noir avec des dessins cabalistiques africains bien visibles ; sans oublier ses bracelets en cuir autour du poignet. Mais surtout, depuis quelques semaines, Sean s’est aussi fait sculpter des pics dans les cheveux, ce que je trouve très mignon ! Et c’est même depuis ce moment-là qu’il m’intéresse. Avant… ben avant, je le classais comme sa copine, dans les gens bizarres et de passage.

Le blondinet se dirige d’un pas décidé vers l’abri de jardin et c’est une excellente idée, il n’y a pas meilleur endroit qu’un aquarium pour se rapprocher ; Max ne sait pas ce qu’il perd à refuser toute once de drogue.

Je termine mon verre et me mets en marche, laissant les chanteurs en herbe détruire tout ce qui arrive à leurs oreilles. Les premiers pas sont durs, l’alcool faisant effet, mais en un sens tant mieux, j’espère que Sean est dans le même état, cela simplifiera les préliminaires.

Chez Lalye, tout est riche. Cela pourrait être le slogan, voire la devise familiale tellement l’argent coule à flot ici. Même l’abri de jardin de la taille d’un appartement modeste vaut une fortune rien qu’en design, reflétant largement la décadence de la lignée. Les tondeuses et râteaux ne sont pas à plaindre.

À peine la lourde porte en teck ouverte qu’une épaisse fumée grise à l’odeur alléchante m’envahit.

Je respire à pleins poumons, éveille mes sens et accepte avec gratitude l’entrée du nirvana.

« LA POOORTE !!! » que tout le monde me crie.

« Oui, 30 secondes ! »

Je referme et j’avance.

À ce que je vois, les drogués se sont bien organisés : le matériel de jardin est à l’écart pour permettre à qui veut de s’assoir en tailleur autour des chichas et autres pipes. À l’exception de la fumée qui ne peut pas s’échapper, on dirait presque l’intérieur d’un tipi indien.

Je m’abaisse un peu et regarde les visages. Que des mecs évidemment, dont beaucoup de jeunes qui aimeraient bien tenter leur chance avec moi. Cela se voit à leur tête de chien baveux fixée sur mes formes, sans parler des fellations mimées. C’est le problème quand on est la seule fille dans un aquarium ; les trucs de beaufs on connait, et comme j’en ai l’habitude, je n’y prête pas attention et me rapproche des fumeurs du fond où se trouve mon camarade de classe.

« Tiens, Sean ! » lançai-je innocemment.

Il ne me répond pas, pas grave. Je m’incruste de force entre un autre garçon déjà bien déglingué et lui.

« Qu’est-ce que tu fais de beau ? » continuai-je.

Il me regarde enfin. Ses yeux rouges sont explosés. Au lieu de me parler, il me souffle un vaste nuage de fumée que j’inspire profondément.

« Je ne savais pas que tu fumais », ajouté-je.

— Max t’a laissé tomber ? dit-il d’un ton sarcastique.

— Non, mentis-je. Il est au billard, mais j’avais envie de voir d’autres personnes. »

Silence.

Un joint tourne, je le prends et inspire à fond sans me rendre compte que c’est un pur. La montée me fait très vite descendre, et je remercie intérieurement le ciel d’être assise.

Pour Sean, il faut que je trouve une autre approche. Ce garçon a toujours été un silencieux, et bien qu’entre lui et Haha, ce n’est pas de l’eau mais du plomb qu’il y a dans le gaz à ce que je peux ressentir, ce n’en sera pas pour autant plus facile. J’ai envie de lui dire d’arrêter de penser à elle et que je suis là pour lui… du moins pour ce soir, mais je ne suis pas sûre que cela fonctionnera.

« Cela te va bien, les pics, lui dis-je.

— Merci, me répond-il d’un ton évasif. »

Grrr, aide-moi au moins un peu, Sean.

Me vint alors l’idée qu’il suffit de ne pas parler mais d’agir. Je tire un grand coup sur le joint, je rapproche mes lèvres des siennes pour pratiquer une soufflette, espérant qu’il fasse de même et… il ne veut pas et m’évite. Mince…

« Qu’est-ce que t’essaies ?

— Rien ! Pourquoi ?

— Oh putain, Mathilde, trouve-toi un mec qui veut ! »

Il se lève furibond et s’en va tout en n’oubliant pas son petit boitier noir, une sorte appareil photo style compact.

Moi, je reste un peu hébétée sur le moment, ne comprenant pas grand-chose à la situation.

Heureusement, l’idiot d’à côté qui m’a passé son joint cinq minutes plus tôt me rappelle à la réalité.

« Joe, enchanté. Ton coup du soir vient de s’en aller, il semblerait qu’il ne reste plus que moi. »

Joe ?!? Mais qu’est-ce que t’essaies, Ducon !

Je me lève et sors rapidement en répondant : « Allez vous branler, bande de puceaux ! »

J’entends leur rire dans mon dos mais je m’en fous, c’est Sean qui m’intéresse. Je ferme la porte et cherche du regard ma conquête. Malheureusement rien, il a disparu de mon radar.

Pfff, je la sens mal cette soirée ! En plus j’ai la tête qui tourne et une envie de dégobiller : l’alcool et le joint, pas bon ménage, surtout que dans la précipitation, j’ai avalé de la fumée. Mon estomac gargouille et je ne peux plus me retenir. J’ai à peine le temps d’aller près d’un arbre derrière le cabanon que je vomis tout ce que j’ai ingurgité depuis quelques heures. C’est bleu, c’est liquide et ça contient des petits morceaux.

Va me falloir des tictacs, pensai-je en m’essuyant la bouche.

Des gens me regardent bizarrement et sur l’instant, j’espère juste ne pas être la première de la soirée à me vider ainsi.

Ce n’est plus une impression, cette soirée est merdique.

Plus la nuit avance et plus je cherche une excuse pour m’en aller. À ma montre, il est maintenant 1 heure 20 du matin, moment où ma vessie décide de me lâcher.

Assise confortablement dans les luxueuses toilettes de l’étage, je scrolle les vidéos et photos de la soirée qui ont déjà été mises sur le groupe Facebook de l’événement. Il est marrant de constater l’écart de ressenti entre les réseaux sociaux et la réalité. Même moi, qui apparais sur certaines d’entre elles, j’ai l’air de m’éclater alors que dans les faits, c’est tout autre chose et pour plusieurs raisons.

Premièrement, je n’ai rien chopé, et quand je ne chope rien, je bois. Et plus je bois, moins je suis désirable. Ma tête repousserait n’importe quels beaux gosses si eux aussi n’étaient pas saouls.

Ensuite, si je résume : Sean a disparu, Freak m’a emmerdée, Aline s’est mise en spectacle, Lalye a fait une crise existentielle et Max m’a complètement oubliée ; ce dernier préférant s’amuser avec ses « potos » comme il dit, et participer à des concours de biceps. Je me tape ce mec parce qu’il est musclé et en soirée, il passe plus de temps avec ses muscles qu’avec moi. Allez comprendre !

Me regardant dans le miroir, je suis exténuée. C’est décidé, j’ai assez fait acte de présence, je rentre à la maison, merci pour tout, Lalye.

Pour cela, je commande un Uber qui sera au coin de la rue dans quinze minutes. Parfait pour moi, juste le temps de prendre mes affaires et de déguerpir. De toute façon, je ne comptais pas faire la bise à tout le monde. À quoi bon ?

Sur le chemin extérieur, une engueulade un peu plus bruyante que le reste m’interpelle.

« Mais je l’avais déposé là ! Il n’a pas pu disparaitre. »

Garry, un type maigre, aux lèvres plus qu’humides et à la vision délétère, fait une crise. C’est un ami de Freak, pour les avoir vus discuter plus tôt dans la soirée, mais même sans cela, j’aurais pu le deviner.

Je n’ai pas tout compris, mais il semblerait qu’un sac contenant leur « trempette » ait disparu et qu’il y en a pour une petite fortune. Ça, quand on ne surveille pas ses affaires !

Je continue mon chemin et m’apprête à rejoindre la rue quand je reçois un message important d’Uber : 30 minutes de retard.

Putain, quand je disais que c’est une soirée de merde.

Je vocifère à voix haute, puis me calme. Des jeunes s’arrêtent de s’embrasser pour me dévisager. En temps normal, je leur aurais dit d’aller se faire voir, mais j’en ai même plus la force. Comment s’occuper pendant 30 minutes ? Boire ? Attendre seule dans le noir ? Mmmm, j’hésite.

C’est alors que des pics blonds passent à travers le couloir servant de ponton entre la maison principale et l’appartement secondaire se situant au-dessus du garage.

« Qu’est-ce que Sean fabrique là-bas ? » me demandé-je.

Il se cache ? Pourquoi ? Il n’y a rien par là.

Je réfléchis : attendre 30 minutes seule dans le noir tout en restant sur un échec, ou réessayer avec Sean ?… Allez, j’y vais.

Je re-rentre, prends l’escalier central de la demeure, croise des gamins à moitié habillés avec mon prénom écrit sur le ventre (merci Aline !), et enfin, je traverse l’allée de l’aile droite. Dieu, que cette maison est grande, et encore plus sous l’effet de l’alcool et de la drogue.

J’arrive au ponton, essoufflée pour avoir un peu couru. Les fenêtres de part et d’autre me montrent un panoramique de la soirée. Dans le jardin, la foule est maintenant plus éparse qu’il y a quelques heures, sans doute à cause de la désertion des plus jeunes qui sont rentrés chez eux. Pour ceux qui restent, leur état de délabrement s’est aggravé méchamment.

Je ne peux m’empêcher de sourire en observant Garry et ses amis se disputer pour leur sac manquant. Vus du dessus, ils sont comme des rats qui courent après un précieux bout de fromage.

Mais trêve d’amusement, je pousse la porte en espérant être seule avec Sean.

Comparé aux autres pièces de la maison, cet appartement secondaire n’a aucun charme. Bien qu’il y fasse noir, tout est peint en blanc et pendant un instant, je me demande s’il ne s’agit tout simplement pas des privatifs pour les domestiques au vu du canapé, de la télé et même d’une petite salle de bain dont la porte est fermée. Mais cela manque de chaleur et d’objets personnels. Lalye est déconnectée, pas monstrueuse. Elle n’aurait pas été jusqu’à interdire toute possession à ses laquais. Faut pas déconner tout de même, c’est juste un appartement d’amis.

Je cherche l’interrupteur en tâtonnant, mais je ne trouve rien. Tant pis, je me contenterai de l’éclairage provenant des Velux.

Pour Sean, il est comme je l’espérais, seul, et même plus.

Allongé sur le lit, son appareil photo à ses côtés, il me fait penser à un gros bébé qui dort.

Lui aussi a un coup de pompe, et si je n’avais pas promis à mes parents de rentrer à la maison, je me serais couchée à côté de lui.

Je m’approche jusqu’à sa hauteur.

Avec ses bras croisés sur son ventre et son visage un peu crispé, on dirait qu’il médite profondément.

Un instant, je m’interroge. Non pas que le doute me traverse, mais je redoute une réaction brusque. Bronchera-t-il ou pas ? Me rejettera-t-il ou pas ? Il n’y a qu’une seule façon de le savoir.

Une dernière fois, je regarde autour de moi avant de me pencher et l’embrasser.

J’espérais qu’il se réveille immédiatement puis une fois la surprise passée, qu’il me prenne ici et maintenant. D’ailleurs, ça tombe bien, il y a un lit !

Mais, il ne bouge pas. Rien, nada.

Alors je glisse ma main dans son froc. Il l’a plutôt grosse, mais molle. Cela dure plusieurs secondes mais rien de dur ne vient.

Quand même, cela devient vexant, pensai-je. Il serait bien le premier.

Un bruit derrière moi me fait sursauter. Surprise, je me retourne, mais personne.

Je refixe Sean qui est toujours immobile et une montée d’adrénaline me permet, l’espace d’un instant, d’avoir les idées claires.

« Wouaw, je sais pas ce que tu as pris, mais cela devait être puissant », dis-je à voix haute.

Je récupère ma main et le laisse en paix, surtout que j’ai de nouveau envie de vomir.

Décidément, cette fête ne m’aura pas été d’une grande réussite.

Pour finir, je rentre sans dire au revoir à Max. De toute façon, pour le peu qu’il s’est occupé de moi ce soir… Puis on dort ensemble demain, alors…

Le lundi à l’école, la classe ne parle que de la soirée de Lalye, et elle aurait été la fille la plus heureuse du monde si elle était présente. Autre personne qui manque : Sean ; ce qui est dommage, j’aurais voulu savoir ce dont il se souvient. Est-il malade ?

En tout cas, Haha ne connait pas la cause de son absence, mais plus que cela, elle a l’air de s’en foutre, mais à un point….

C’est incroyable. Moi au moins j’ai un intérêt pour Max, il est beau et musclé, mais elle, on pourrait lui annoncer que Sean est mort, que son visage resterait de marbre.

Il faudra attendre mardi pour lever le voile sur ces absences.

Ce n’est pas tant celle de Sean qui m’inquiète (le concernant, c’est plus de la curiosité), mais celle de Lalye. Aurait-elle été punie par ses parents ? Non. Ne pas venir à l’école, ce n’est pas une sanction.

Je décide d’envoyer un message.

« Alors ? T’es malade ? »

Je regarde mon écran. Elle l’a lu et est en train de taper une réponse.

« Sean est mort, on a retrouvé son cadavre dans la grande chambre d’amis. »

Eh merde…

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