Fred-2 (version 0.6)

8 minutes de lecture

Mardi, 15 heures 45. Plus que quinze minutes de cours, et à moi la liberté. Sonne petite cloche, mon dealer m’attend. Et puis là, mathématiques, cela devient difficile. Non pas que le prof, monsieur Gilltot, m’ennuie, mais mettre de la trigonométrie en fin de journée… quel supplice. L’administration de l’école a encore bien construit les plannings.

« Bon, vous pouvez ranger vos affaires », annonça monsieur Gilltot.

« YES ! »

Monsieur Gilltot est un des enseignants préférés des élèves et c’est mérité, peut-être parce qu’il n’y a pas si longtemps que cela, il était à notre place. Il doit être âgé de quoi ? Vingt-quatre ou vingt-cinq ans, et avec son style « très mode » et même « très classe », je sais que certaines filles ne lui diraient pas non. On voit que c’est un amoureux de son travail et qu’il est prêt à tout pour faire plaisir à ses étudiants ; comme nous laisser partir quinze minutes plus tôt. Chapeau bas, Monsieur !

« Je vais vous remettre votre travail de maths de fin d’année. »

J’ai rien dit. Prof de m*.

Allez ! Cela va prendre des plombes. Faut que je prévienne mon grossiste…

Je sors discrètement mon GSM de sous la table et essaie de taper un message concis d’une seule main à chaque fois que l’enseignant a le dos tourné.

Ce travail est un devoir qui nous a été demandé il y a quelques mois. 80 % des points de la note finale en maths, tout de même. On devait vulgariser un sujet mathématique en une dizaine de pages. Qu’est-ce que j’avais pris encore ? Ah oui, les mathématiques dans l’architecture antique ou comment les Grecs ont utilisé certaines équations pour construire le Parthénon.

Là où c’est drôle, c’est que beaucoup l’ont bâclé, pensant que le 80 % était une blague. La première à tourner de l’œil est Mathilde. Probablement a-t-elle travaillé avec Max, son mec et accessoirement le type le plus idiot de tout le collège.

J’écoute leurs commentaires d’une oreille. La première dit qu’elle ne comprend pas pourquoi elle obtient 6/20, le second répond qu’il ne voit pas l’intérêt des mathématiques, les poids sont écrits sur les haltères.

J’ai un petit rictus en entendant les points de Mathilde, faut dire qu’on n’est pas les meilleurs amis du monde, loin de là. Un jour j’avais besoin d’un service, Mathilde connaissait mon ex Sandra, mais elle ne voulait pas m’aider. J’ai essayé de la persuader, mais impossible. Alors je l’ai menacée d’aller révéler à Max qu’elle le trompait avec son pote Seb. Elle m’a répondu : « vas-y », avant de rigoler de moi.

Sur le coup, j’ai pas compris, mais effectivement, Max est tellement idiot que quoi que je lui dise, il ne captait pas (ou ne l’acceptait pas). Par contre, Seb a saisi, et que trop bien. Je m’en suis pris une ce jour-là. On ne peut pas toujours gagner…

Haha a réussi, et assez bien d’ailleurs si j’en crois les félicitations du prof, tout le contraire de son mec Sean : pire note de la classe. Curieusement, cela l’emmerde. Il a pourtant l’habitude de rater… je crois.

Sean est un type bizarre, avec des hauts et des bas. Un jour il est quasi dépressif, et le lendemain hyperactif. Y a des pilules pour stabiliser les humeurs, il devrait en prendre. Enfin moi je dis cela, il ne m’a jamais trop saoulé. Par contre Aline, assise à côté de moi, est sa tête de Turc préférée.

J’arrive à envoyer mon message juste avant que monsieur Gilltot atteigne notre table. Il rend d’abord la copie d’Aline qui décroche un 10,5 sur 20. Elle sourit de joie tout en essayant de le cacher, mais personne n’est dupe. Tout le monde savait qu’elle s’inquiétait à propos de ce travail. Je me réjouis de sa réussite et la félicite.

Aline a toujours eu du mal pour tout, surtout pour faire accepter ses convictions. Elle est écolo jusqu’au bout des ongles, passant même quelques récrés à trier les déchets dans la cour. Ce n’est pas vraiment sa faute, j’ai rencontré ses parents à une soirée de remise de résultats, ouaw… Moi qui considérais Aline comme une écolo fanatique, c’est une PME comparée à ses vieux. Et cela ne s’est pas arrangé quand son grand frère est parti étudier à l’étranger, elle s’est sentie toute seule, voire abandonnée, jusqu’à ce qu’elle trouve en moi un substitut fraternel.

Curieusement, cela me détend de l’entendre se plaindre durant les récrés, c’est comme cela que j’ai appris pour son frère ou bien qu’elle faisait des crises d’angoisse concernant ce travail, sans oublier ce qu’elle pense de Max, de Sean, etc. On apprend tellement plus en écoutant qu’en parlant.

Je reçois ma copie : 14.

Après la fin de l’école, j’attends mon grossiste en beuh à l’une des entrées secondaires depuis plus d’une demi-heure. Malheureusement, il est dans l’impossibilité de se libérer et me demande par WhatsApp si c’est OK pour demain même heure. Je lui réponds que oui, mais râle d’avoir patienté trente minutes pour rien. Puis surtout, faudra que je me trouve quelque chose à fumer pour ce soir, c’est une question d’envie. Je me demande s’il ne me reste pas un paquet de beuh au fond d’un de mes tiroirs, à côté de mes capotes. OK, elle ne se sera pas toute fraiche, mais c’est toujours mieux que rien.

Je remonte l’école et arrive au bâtiment administratif. J’adore ce bâtiment. Il est construit dans un style « italianisant » mais que les années (et les conquérants) ont modifié en profondeur. Par exemple, une horloge a remplacé la fenêtre du dernier étage, sans parler de l’ajout d’une annexe. Enfin, la façade, conçue pour comporter de nombreuses petites fenêtres, a été modifiée par un large double vitrage montrant un escalier de carrelage anachronique parcourant les deux niveaux.

Comme j’ai un peu de temps, je décide d’aller voir les valves papier où se trouvent les données globales à l’établissement. Il existe bien une application, mais les informations sont spécifiques à l’utilisateur.

L’étage des dernières années se situe au deuxième dans le couloir de gauche. D’un côté, les postes permanents nécessitant un bureau fixe (les éducateurs et les secrétaires), et de l’autre, des postes « flex » pour les profs car ils sont plus souvent en classe qu’assis. C’est d’ailleurs là que nous sommes interrogés lors des oraux. En regardant la lumière sous les portes, je vois que seule celle du fond est occupée. Un cancre en retenue ?

Concernant les messages de l’établissement, rien de nouveau aux valves. Les étudiants doivent blablabla… voici la liste des élèves en retenue…. Je parcours le nom des élèves et il y en a quand même qui reviennent fréquemment, comme ce petit John de la 4e. M’est d’avis que c’est lui qui est dans le dernier cocon à gratter des feuilles de punition.

Je scrute l’heure et ne sais quoi faire… Aller au parc ? Je ne sais pas. S’il n’y a personne, je ne pourrai pas emprunter un joint. Retourner chez moi ? Pfff pas envie, trop tôt. Reste plus que le bar et les bières. J’hésite.

Je rentre dans un des locaux et vais admirer la vue qui donne sur un des terrains de foot de l’école. Deux clubs extrascolaires s’affrontent et au vu de la répartition des élèves, les verts gagnent. Cela bouge dans tous les sens et je suis un peu hypnotisé par ce mélange de couleurs, à tel point qu’il faudra un claquement de porte, probablement celle du fond, pour que je reprenne mes esprits.

Je m’attendais à voir passer un prof, ou ce fameux John de quatrième. Mais quelle n’est pas ma surprise d’apercevoir dans le reflet de la vitre une Mathilde occupée à rassembler ses cheveux en arrière, en toute hâte, comme si elle était pressée. J’ai juste le temps de remarquer qu’elle est toujours habillée de son short en jeans court mais par contre, elle n’a plus son pull, elle ne porte que sa chemise blanche dont les trois premiers boutons sont ouverts, laissant entrevoir un soutien-gorge rouge. Bizarre, il ne fait pas si chaud que cela.

Elle ne m’aperçoit même pas et sort en continuant à se recoiffer, je peux l’entendre descendre les escaliers précipitamment.

Je me remets à regarder le foot pendant quelques minutes. Ma concentration ne porte plus sur le sport mais sur ce que je viens de voir. Mathilde est sans doute une conne finie, mais elle est quand même bien foutue. Je penserai à elle ce soir…

Le bruit d’une porte qui s’ouvre de nouveau…

Max est tout de même un chanceux.

Les pas se rapprochent…

Sandra était pas mal non plus.

Les pas s’arrêtent.

Surtout sur les photos postées sur Facebook.

« Fred, qu’est-ce que tu fais ici ? »

Je me retourne, c’est monsieur Gilltot.

« Rebonjour Monsieur. Euh… (vite une excuse)… J’attends qu’on vienne me chercher dans 10 minutes. 

— OK. Mais normalement, tu ne peux pas être ici.

— C’est parce que j’étudiais, lui dis-je.

— D’accord. Ferme juste la porte derrière toi quand tu t’en vas !

— Oui Monsieur. »

Le prof veut s’en aller mais je l’arrête.

« Oh Monsieur ! Votre (j’hésite, cela fait bizarre à dire)… votre braguette est ouverte. »

Il se penche vers l’avant.

« Oh, merci », me répond-il en la remontant.

Mais ce n’est pas le seul détail qui me chiffonne. Il y a une heure, il était impeccable pour le cours de maths, et maintenant, sa chemise est dépenaillée, son jeans est coincé dans sa chaussette et… plein d’autres choses.

Pas de doute, Mathilde se tape un prof… bon à savoir, cela.

La soirée passe, la nuit aussi. De ma chambre (qui se situe dans le grenier de la maison), la lune éclaire mon lit sur lequel je suis en train de me toucher en pensant à Sandra — ou Mathilde, je ne sais plus ; probablement un mixte des deux. Sandra ne possédait pas de soutien-gorge rouge. Il m’arrive de temps en temps de sortir les photos d’elle nue qui ont été publiées sur internet, mais l’image de Mathilde en tenue négligée m’est largement suffisante pour aujourd’hui.

Une fois fini, je m’essuie et réfléchis à comment utiliser cette information. Cela me va me prendre toute la nuit, mais au petit matin, je savais ce que je voulais d’elle.

À l’école, j’arrive la tête pleine de projets. Il est facile d’avoir un plan, plus difficile qu’il soit sans accro, et Mathilde n’est pas du genre facile à dompter. Il faut que je sois un peu patient, juste un peu.

« Cool ! Tiens, je t’ai tout préparé, sors ton portable parce qu’en fait, il travaille par vagues. Et bientôt, ils vont fermer les inscriptions pour quelques mois. »

La voix provient de Sean qui discute avec Lalye. Sans m’en rendre compte, j’ai rejoint le grand chêne de l’école qui se situe non loin du bâtiment des admin.

Je voulais continuer mon chemin comme si de rien n’était, mais un détail retient mon attention. Sean n’a pas une position naturelle, comme s’il préparait un mauvais coup. Je le sais parce qu’on dirait moi il y a quelques années. À croire que je ne suis pas le seul à faire des coups fourrés de bon matin.

Allons voir…  

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire elekis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0