Haha-2 (Version 0.6)

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« Bon, vous pouvez ranger vos affaires. Je vais vous remettre votre travail de maths. »

J’avais pris quoi encore comme sujet ? Sur la lumière ? Oui, les mathématiques dans la réflexion lumineuse. En fait, c’était surtout parce que dans la liste proposée, y avait pas de thème intéressant. Heureusement, monsieur Gilltot a été gentil et m’a laissée prendre le sujet de mon choix.

En regardant autour de moi, je constate que la classe est plongée dans le calme, car beaucoup d’élèves sont dans l’espoir d’une réussite. Enfin, les résultats tombent, les grimaces et les sourires aussi, et à voir la tête de Mathilde, elle a raté… et son mec également.

Monsieur Gilltot s’avance vers la table où moi et Lalye sommes assises. J’ai 16 et ma voisine a 18. Il nous félicite pour le bon travail fourni et continue vers les suivants. Curieusement, la plus heureuse est Lalye, alors, que tout le monde sait qu’elle a payé un étudiant en ingénieur mathématique pour l’aider dans cette tâche, voire le faire en entier. Elle est si contente qu’elle en fait bouger la table, au point que je suis obligée de rattraper mon bic avant qu’il ne tombe. Soyons bonne joueuse et félicitons-la. C’est Lalye, elle est comme cela.

Je me retourne vers Sean, mon mec. Il a l’air dépité en voyant sa feuille. Dans le fond, je suis un peu triste pour lui car pour une fois, je sais qu’il avait travaillé. Et puis, il avait un objectif. S’il réussissait, il partait avec moi en vacances.

Il est spécial, Sean. En fait, j’avoue n’avoir pas compris pourquoi il s’était mis en tête de me draguer, on n’a rien en commun ; ou plutôt si, on a une seule caractéristique identique : on se fout des autres…

Ça s’est fait un midi après qu’il est venu s’assoir à côté de moi plusieurs fois sans aucune justification, et encore aujourd’hui, je ne trouve aucun motif à ce comportement, mais je ne voyais aucune raison pour le repousser. Alors, de commun accord, on s’est mis ensemble.

On ne se voit quasi jamais les weekends, on ne fait rien à deux, il n’est pas très photos, et je ne connais même pas ses hobbies. Mais il est touchant et je l’aime bien, juste que… j’avoue que nous deux, c’est un mystère.

Puis il y a quelques semaines, pour une raison étrange, il m’a demandé de m’accompagner dans un de mes « road-trip photo » durant les prochaines vacances.

« Parce que t’aimes la photo maintenant ? lui ai-je demandé. As-tu au moins un appareil photo ?

— J’ai mon GSM.

— O_o… Non, un vrai appareil. Un truc qui tient la route, comme les miens.

— C’est obligatoire ? Je peux simplement t’accompagner et t’attendre après la journée.

— T’es malade ?

— Non… Pourquoi tu penses cela ?

— Je sais pas. T’as un discours de cancéreux, comme dans les films.

— Oh, t’es co… »

Je ne sais pas ce qu’il avait, mais c’était la première fois que je voyais Sean avec une telle tête de chien battu. Rare que je me sente mal pour lui et là, c’était le cas. J’ai sorti de mon sac le Kodak noir que j’ai toujours avec moi (on ne sait jamais que je tombe sur un sujet intéressant, c’est bien connu, le hasard fait les meilleurs Pulitzer).

« Tiens ! Voilà ce que je te propose : c’est un appareil numérique. Amuse-toi avec et dans deux-trois semaines, on se revoit et on regarde tes clichés. Au moins, tu sauras si cela te plait. OK ? »

Il le prend et le regarde comme s’il venait d’adopter une créature extra-terrestre. Il l’allume, vise et… m’immortalise par surprise, ce que je déteste.

« Alors une règle : je ne suis pas ton modèle. Trouve autre chose ou tu ne viens pas. »

Il est étonné.

« D’accord. 

— Et pour info, le voyage coûte 1600 euros. Cela ira ? Tu les as ?

— Quoi ? Combien ? … Ah oui, quand même ! Je demanderai à mes parents, cela ne devrait pas poser de problème. »

Connaissant les parents de Sean, je les vois mal débourser une somme pareille, mais je n’ai pas approfondi.

« Et tu vas réussir ? En première sess, je veux dire. Parce que sinon, il va y avoir un conflit entre les examens et le voyage.

— Oui, je vais réussir. Pourquoi tout le monde croit que je vais rater ?

— Parce que… t’es sûr que t’es pas malade ?

— Nooooooonnn ».

C’est comme cela que je sais qu’il a travaillé. Malheureusement, à sa tête, cela n’a pas suffi. Pas grave, de toute façon, je suis pas sûre que je le voulais dans mes pattes en Grèce.

« Ouiiiiiii ! »

Tiens ! Aline a réussi.

Le lendemain midi, je mange assise sur le bord de la petite route. Sean m’y rejoint. Depuis la remise des résultats, il ne m’a toujours pas adressé la parole. Il s’assied et déballe son sandwich. J’avoue que pour une fois je suis un peu intriguée et, une fois n’est pas coutume, c’est moi qui entame la conversation.

« Je suis désolée pour ton travail de maths.

— Mmmm, quoi ? Oui oui. T’inquiète.

— Non mais, c’est dommage pour le voyage.

— Quoi ? Non, mais je viens.

— Comment ? Maintenant, t’as une seconde sess. Et les 1600 euros, tu les as ?

— T’inquiète je te dis…. Par contre, on peut se voir ce weekend ? Chez toi ou chez moi ?

— Euh… Se voir ? Pour… 

— Ben… Pour être ensemble, comme un couple. Moi, avec une fi… Enfin.

— On ne se voit jamais le weekend.

— Justement. »

On se voit jamais tout court, en fait ; à part de temps en temps pour le cul, mais comme le sexe m’emmerde, je suis plutôt contente quand rien ne se passe. C’est plus pour lui que je m’allonge ; et je pense que c’est pour cela que Mathilde restera un mystère pour moi.

« T’es sûr que t’es pas malade ?

— Je t’ai déjà dit que non. 

— OK. Viens chez moi quand tu veux. Je ne vois pas où est le problème. On fera ce que tu voudras. »

En fait, il ne s’est pas présenté de tout le weekend, prétextant une excuse en relation avec ses parents. Il me ment, mais cela m’arrange car les gens dans les pieds, c’est pas mon truc, même si c’est Sean. Ce que j’aime chez lui, c’est son absence ; s’il devient très présent, faudra peut-être qu’on se sépare. On verra comment il se comporte durant le « road-trip photo »… s’il vient.

Comme en ce lundi, nous avons congé pour raison pédagogique, je décide d’aller photographier la forêt qui se trouve non loin de chez moi. Des heures à attendre les biches et daims se montrer ; à shooter un sanglier et toute sa portée ; à me lever alors qu’il fait encore noir ; à choisir mes objectifs et préparer mon sac. Je pense que c’est cela que j’aime le plus : le silence et la patience.

Mardi, la journée est avant tout longue. Rien comparé au lendemain, mais c’est déjà un bon début. À côté de moi, alors que la porte n’est pas encore ouverte, j’ai une pile électrique : Lalye est surexcitée. Quand je lui demande ce qu’elle a, elle me répond : « Rien… tu verras. » Puis rajoute : « Ne fais rien ce weekend, j’aurai besoin de toi ».

T’es quoi ? Ma maitresse ? Je te jure, Lalye… En plus, j’ai un truc ce weekend… ou j’aurai. Puis de toute façon, je ne souhaite aucune obligation.

Sean arrive essoufflé peu avant l’ouverture de la porte par le prof. Il se dirige vers Ed pour discuter et lui montrer ce qui ressemble à son PC. En me voyant, il me fait bonjour de la main, mais rien de plus.

Ce devait être une journée morne et sans intérêt mais la dernière heure, celle de mathématiques, semble provenir d’une autre dimension. Monsieur Gilltot arrive avec dix minutes de retard sans autre explication qu’un « désolé », il fonce vers sa table et sans même ouvrir sa mallette, attrape une craie et annote au tableau plein d’équations. Si au début nous notions assidument, nous avons rapidement remarqué qu’il s’agissait de matières déjà vues et revues. Beaucoup d’entre nous se regardent, mais n’osent intervenir. Il était malade la semaine passée, semblerait qu’il le soit toujours aujourd’hui.

Après de longues minutes, obligé de nous distribuer des feuilles, il daigne se retourner. Entre alors en jeu Mathilde et son comportement des plus étranges. Elle met une telle énergie à vouloir montrer son GSM au prof, mon Dieu qu’elle s’y prend mal ! À part monsieur Gilltot, toute la classe l’a remarqué, spécialement quand elle manque plusieurs fois de faire tomber son appareil de la table.

Au bout de 40 minutes, soit 15 minutes avant la fin du cours. monsieur Gilltot nous libère sans autre forme de procès. Il est le premier à partir, suivi rapidement de Sean, d’Ed et de Mathilde.

Moi je range mes affaires comme tous les autres et sors de la classe. J’y retrouve tout le petit monde, à commencer par Mathilde qui gesticule et râle, comme si elle voulait absolument discuter avec le professeur et que Sean l’en empêchait. Cela a probablement à voir avec son GSM.

Concernant mon mec, après avoir discuté avec le titulaire du cours, son visage passe d’inquiet à souriant. Des quelques phrases que je comprends, il vient d’avoir une seconde chance pour son travail en jouant la carte de son portable défectueux, et cela a marché auprès du professeur de maths.

C’est vrai que son PC a eu plusieurs problèmes, faut dire que c’est un vieux bazar qui tourne à peine ; puis Sean est nul en informatique, il ne sait même pas comment mettre à jour ses applications sur son portable, toujours à demander de l’aide à Ed.

Peut-être viendra-t-il réellement en vacances avec moi. Enfin, s’il trouve les 1600 euros pour payer le voyage.

Je lui fais signe de la main et m’en vais.

Le lendemain matin, j’arrive juste avant que le premier cours de la journée ne commence. Pas de chance, mon bus a été pris dans un embouteillage monstre. Après m’être excusée auprès de la prof, je remarque que Sean aussi est en retard. Je me dirige vers ma place en saluant de la tête Ed. Il a l’air surpris, mais je continue comme si de rien n’était.

Je veux m’asseoir à côté de Lalye, mais mon bureau est envahi par ses affaires : un sac et une affiche emballée. Encore une de ses lubies, je suppose.

À la pause, Sean n’est toujours pas là. Je vais voir Ed.

« Salut, cela a été, hier ? »

Il est surpris.

« Quoi ? Oui, très bien. On n’a rien fait. 

— Vous n’avez pas regardé son PC ?

— Si si, c’est OK maintenant, il pourra travailler. Il est ici derrière moi, je vais le lui rendre aujourd’hui quand il arrivera. »

Le cours de maths arrive assez vite mais comme hier, le prof a quelques dizaines de minutes de retard et comme hier, il persiste à ne pas nous regarder. Il nous distribue un paquet d’exercices et nous dit de travailler en silence. Je veux commencer mais très vite, je me rends compte qu’il y a plus de pages qu’il n’y a de feuilles dans la cour. Il a dû tuer la moitié de la forêt amazonienne pour tout imprimer.

Au bout de quelques minutes, mis à part Aline, la plupart de mes camarades sont dans la lune et ne se soucient que très peu des exercices, prof compris ; et à mon étonnement, Mathilde est la seule à lever sa main pour poser une question.

Le prof la remballe, avant de se lever pour lui répondre, mais Mathilde n’avait aucune question. Comme hier, elle veut simplement montrer son GSM de manière maladroite. À force de pousser son GSM près du bord, elle va le faire tomber. Pourquoi elle… ? Oh, qu’importe.

La comédie s’arrête lorsque Sean frappe à la porte. Un instant, j’ai l’impression que cela arrange monsieur Gilltot mais mon mec, par son air morbide, m’inquiète. Comme s’il n’avait pas dormi de toute la nuit. Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ?

Normalement hier, Ed et lui ont tous deux travaillé ensemble pour mettre à jour le PC de Sean ainsi que pour installer un logiciel nécessaire au devoir de maths. Cela n’aurait pas marché ? Non, Ed m’a dit que tout s’est bien passé. Je me retourne vers ce dernier et je le sens tout aussi perturbé. Ils ont bousillé le matériel ou quoi ? Et il m’aurait menti ? Pourquoi ? En tout cas moi, je serais dans cet état si quelqu’un cassait un de mes objectifs.

Heureusement, la cloche sonne assez vite. Deux filles se lèvent en force : Mathilde poursuivant le prof dans le couloir en oubliant son GSM, elle qui a déployé une énergie folle à ce que monsieur Gilltot le voie ; et Lalye qui manque de peu de me bousculer en chopant son sac et son poster avant de se diriger vers Ed.

J’en profite pour copier les notes des cahiers de ma voisine. C’est fou, tout est tapé à la machine, comme si Lalye avait eu le cours à l’avance.

Silence.

J’entends parler au loin d’une action caritative.

Silence.

Fred discute à voix basse. Il se moque de Sean, comme d’hab quoi.

Silence.

Sean se lève, attrape Fred par le col et le tabasse.

Quoi ? Qu’est-ce qu’il lui prend ? Comme tout le monde, je regarde, étonnée, l’empoignade. Seule Lalye, toujours souriante, continue à afficher un poster au tableau sans se rendre compte de rien du tout. Mais plus que cela, le visage de Sean trahit un fort malaise. Première fois que je le vois comme ça.

« MAX ! Fais quelque chose ! »

La voix de Mathilde paniquée résonne de la porte de la classe. Elle montre du doigt son portable sur le point de tomber. Je pourrais me lever pour le ramasser, mais je n’en fais rien car je suis préoccupé par le comportement de Sean.

Max n’a pas non plus tout saisi. Toujours prompt à exposer sa force, il fonce pour séparer les deux bagarreurs sans se soucier de l’objet tant chéri par sa copine. Pire, en se hissant, il donne un petit coup dans la table, désespérant Mathilde qui n’a plus que ses yeux pour pleurer en voyant se précipiter sur le sol, vitesse grand V, son unique « amour ».

« ECOUTEZ-MOI ! »

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