Edward-3 (version 0.6)

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Nous sommes tous les deux nus et allongés au sol dans ma chambre. Je me dis que j’ai de la chance d’avoir une aventure avec tout ce que j’aime : pas idiot, androgyne et blond. Je tourne la tête, il fixe le plafond. Je m’attendais à un sourire, ou au moins à ce qu’il me regarde, mais rien. Je tends ma main pour le toucher, mais d’un coup, il se lève, se rhabille et s’en va.

Sur l’instant, je croyais qu’il allait simplement à la salle de bain, mais non. La porte d’entrée qui claque et surtout le silence qui suit me fait comprendre que je suis à présent seul dans la maison. À mon tour, je me lève, remets mon caleçon et mon t-shirt (je n’aime pas me trimballer nu chez moi) et descends d’un étage.

« Sean ? »

Seul le silence me répond.

Ma première réflexion est égoïste. J’aurais tant voulu un deuxième round, là maintenant, avec lui. Puis je pense à Sean et à l’état dans lequel il doit être, car jamais je n’aurais cru cela de lui. Jamais personne n’aurait cru que Sean, le « je m’enfoutiste » de la classe qui sort avec Haha, baiserait avec un homme.

Je retourne dans ma chambre récupérer mon GSM. Il faut que je l’appelle ! me dis-je. C’est peut-être sa première fois avec un mec et… C’est…

Son PC est toujours sur mon bureau. J’hésite à composer son numéro de tél.… Je suis trop curieux, cela ne me regarde… Oh merde, je viens de le sucer, je peux bien me renseigner un peu.

J’ouvre son PC portable et en moins de deux, je réaffiche tout son historique.

« Mmmm, il a bon goût, le cochon. »

Après plusieurs visionnages (évidemment, à des fins de compréhension), je commence à me faire une idée assez générale des fantasmes de Sean. Il y a autant de femmes que d’hommes, le tout un peu soumis (mais rien de violent). Les lesbiennes il kiffe, les garçons ensemble aussi. Enfin, tous et toutes sont du même type : normal et bien rasé. Pas de longs cheveux, ni même de coloration.

Un instant, je me prends à avoir du plaisir à imaginer Sean devant son ordi en train de se branler. Mon côté voyeurisme est comblé, mais tout de même, il me fait un peu de peine. On a tous des secrets, c’est ce qui nous fait tenir debout, ce qui nous donne une raison d’être fiers et là maintenant, Sean n’en a plus.

Après avoir mûrement réfléchi, je ne l’appelle pas, ni même ne lui envoie un message. Il faut que je lui parle directement, laissons-lui la nuit.

Mercredi matin, dans le couloir devant la classe, ni Sean ni Haha ne sont présents ; ce qui m’arrange un peu pour cette dernière car je n’aurais pu regarder dans les yeux la cocue de la classe. Pour Sean, connaissant ses parents, ils ne le laisseront pas chez lui et l’obligeront à venir s’inculquer, mais je me demande surtout dans quel état il va apparaitre.

Pourtant les minutes tournent et ils ne sont toujours pas là.

Haha arrive juste avant que les cours ne commencent. Elle s’excuse auprès du prof et va s’assoir. En passant, elle me fait un salut de la tête, que j’ai peine à lui rendre.

À 9 heures 20, ni Sean, ni monsieur Gilltot ne sont présents et la classe, par manque de prof, devient vite dissipée.

Haha surgit devant moi.

« Salut, cela a été hier ? »

Euuuuuhhhh… Merde, quoi répondre ?

« Quoi ? Oui très bien. On n’a rien fait. »

Mais quel con, qu’est-ce que je dis ! Autant lui avouer là et devant tout le monde.

« Vous n’avez pas regardé son PC ?

— Si si, c’est OK maintenant, il pourra travailler. Il est ici derrière moi, je lui vais lui rendre aujourd’hui quand il arrivera. »

Je la sens surprise, avant que mes pensées ne soient interrompues par les élèves qui trainaient dehors et qui maintenant rentrent d’un pas rapide, suivis de monsieur Gilltot. Comme hier, il déboule sans rien dire, mais au lieu d’écrire des inepties au tableau, il distribue à chacun d’entre nous de gros paquets de feuilles de révisions. De nouveau, nous nous regardons tous et ne comprenons pas grand-chose, mais qu’importe.

Comme beaucoup d’autres, je suis un peu perdu quand monsieur Gilltot nous dit qu’il est important qu’on ait tout fini avant la fin du cours mais, prenant mon mal en patience, je commence à répondre.

Au bout de quelques dizaines de minutes, Mathilde a une question et demande au prof de venir voir.

« Non ! » répond-il.

Woaouw, violent comme réponse. Monsieur Gilltot est lui-même surpris par sa réaction. Un peu obligé, il se lève et s’approche du banc de Mathilde, mais fait tout pour rester à distance convenable. Elle montre alors la question, ou son GSM, je ne sais pas. C’est d’un discret, j’ai l’impression de revivre la journée d’hier.

Sean interrompt la comédie de Mathilde en arrivant enfin. Il est tout blême comme s’il avait vomi, ou alors je me fais des idées. Il présente son journal de classe au professeur qui approuve sans regarder et lui dit d’aller s’assoir. Monsieur Gilltot rejoint aussi son bureau sous les yeux de Mathilde, déçue.

Pendant les minutes de cours qui restent, je regarde Sean qui s’est enfoncé dans ses bras sans relever la tête, et il faut attendre le son de la cloche pour que je puisse enfin libérer ma parole.

DRRRRRR…

À peine ce doux son de liberté résonne que le professeur a déjà pris la fuite, mais contrairement à hier, Mathilde s’y est préparée et le poursuit. Elle en oublie tout de même son GSM. Elle qui l’aime tellement.

Moi, je me tais, attendant patiemment que la prof d’anglais arrive (elle arrive toujours en retard). Lalye déboule devant moi avec un… ce qui semble un poster sous le bras.

« Dis, Sean » demanda-t-elle.

Sean réagit sans répondre.

« Quand aurai-je des nouvelles de l’association ? »

Mais qu’est-ce qu’il a fait ? Il n’aurait pas été jusqu’à inventer une association bidon pour que Lalye lui donne de l’argent ? C’est vrai que dans son historique, il y avait aussi des trucs associatifs. Arf, pourquoi j’ai surtout passé du temps sur les sites de cul ? En fait, probablement que la réponse est là, dans son PC. Dommage que je n’ai pas pris le temps de vérifier le reste.

Lalye quitte notre rangée de bancs pour se diriger vers le tableau, tandis que Sean retourne dans ses manches, mais c’est sans compter sur Fred qui en rajoute une couche.

Ce que je n’aime pas chez ce type, c’est qu’il passe son temps à profiter du malheur des autres pour arriver à ses fins. Pas le genre de gars à n’avoir que des amis. Je serais curieux de le voir se faire casser la gueule par une de ses victimes comme… maintenant par Sean !!!

J’ai du mal à le croire, mais Sean empoigne Fred de toutes ses forces, lui mettant des coups là où il peut. M’est d’avis que l’expérience d’hier l’a un peu changé. Il faudra attendre le retour de Mathilde qui demande à Max de les séparer pour que la classe se calme. Moi, je suis estomaqué. Sean a les yeux rouges qui piquent, il se sent mal, il a mal. Comme tout gamin perdu.

« ECOUTEZ-MOI ! »

Silence.

Tout le monde se retourne vers Lalye, même Max alors qu’il est entre Sean et Fred. Aline, un peu coincée contre la paroi, ne sait pas non plus où elle doit poser son regard, et Haha est surprise par l’attitude de son mec. Je pense que c’est la première fois de ma vie depuis que je la connais que je remarque sur son facies une émotion non neutre.

Seule Mathilde ne regarde pas, préférant pleurer son GSM qui a pris un coup.

La récré de 11 heures est toujours un peu spéciale. Certains s’en vont définitivement dans d’autres classes (principalement les options) ; d’autres veulent aller prendre l’air, ce qui est rarement mon cas ; sans parler du PC de Sean derrière moi, que j’ai un peu de mal à le laisser sans surveillance. Je pourrais le mettre sur son bureau mais s’il veut le récupérer, il devra au moins me parler. Il est parti comme une fusée, s’assurant que je ne pourrai pas le rattraper. Dans la classe, ne restent qu’Aline, Fred et moi, et Lalye qui s’approche.

« Tu viendras vendredi à ma soirée ? » me demanda-t-elle. Comme si j’avais que cela à penser.

« Je sais pas encore », répondis-je sous le regard d’Aline.

Lalye me tend un flyer (il s’agit de la même photo que le poster qui est encore attaché au tableau par des aimants) et quitte la classe sous le regard mi-surpris, mi-déçu d’Aline.

Aline et Lalye, c’est aussi quelque chose. Comment dire ? Aline est très écolo (un peu trop à mon goût) et Lalye a toujours pris cela pour de la pauvreté. Pourquoi réutiliser un récipient, si ce n’est que c’est parce qu’on n’en a pas les moyens ? Je pense que Lalye ne souhaite pas qu’Aline vienne à sa soirée, mais ne veut pas passer pour la méchante car la notoriété de la fille la plus riche du campus dépasse largement les frontières de la classe. Elle veut être philanthrope comme son père, mais n’en comprend pas la définition, espérant un retour sur investissement.

Je me lève et m’en vais aussi prendre l’air non loin. De toute façon, y a rien d’autre à faire pour l’instant.

À midi, je décide de trouver Sean. Je parcours ses endroits connus, la cafétéria, le resto-cantine ou simplement la pelouse du bas, mais rien. L’heure passe, je remonte la rue principale tout en réfléchissant à comment aborder la question. Je ne peux pas lui demander de front de choisir entre moi et Haha.

En parlant d’elle, je l’observe assis au loin à côté de… Sean. Putain, il mange avec ? Mais il n’a aucun respect pour elle… La colère m’envahit car il ne compte pas lui dire, voilà ce que je vois.

Ni une ni deux, je décide d’y aller, tant pis pour leur romance, mais j’estime qu’Haha doit connaitre la vérité. Ou plutôt, je dois savoir car rester dans l’inconnu m’est insupportable.

J’y vais avant… de freiner sec à mi-distance car Lalye est apparue devant eux deux. Qu’est-ce qu’elle….

Elle est loin et j’ai du mal à bien tout distinguer mais sous son bras, elle tient un paquet de flyers. Probablement qu’elle demande si Haha et Sean viendront à sa soirée, ce qui m’étonnerait mais bon…

J’attends qu’elle s’en aille.

Sean lève la tête.

Nos regards se croisent.

Il se lève et s’en va, très vite. J’hésite à le suivre, mais en le voyant quasi courir, je comprends qu’il ne veut pas discuter ici.

« Qu’est-ce que tu fais de beau ? » me demande Fred que je n’avais pas vu venir.

« Rien qui ne te regarde. », lui répondis-je. Il ne me lâche qu’au bout de cinq minutes et tant mieux, c’est la dernière personne à qui j’ai envie de parler.

L’après-midi est un des après-midi les plus calmes que j’ai connus depuis que je suis dans l’école : ni pluie, ni soleil, ni nuage, ni vent, et ni Sean qui a prétexté être malade et a reçu la permission de rentrer chez lui. Pas très dur, vu la tête qu’il avait. Dès lors les cours me semblent moroses, voire soporifiques.

À 15 heures 30, nous nous séparons de nouveau pour les options. Cette fois-ci, c’est moi qui m’en vais pour un bâtiment plus proche de la rue ouest : mon cours de solfège (ou de flûte, je ne saurais dire la différence). Nous lisons des pièces simples à haute voix, nous faisons de la dictée et… c’est tout.

J’en peux plus. J’envoie un message à Sean, puis un deuxième, puis un troisième. Je sais qu’il les a lus, mais ne veut pas répondre.

À 16 heures 20, la tête pleine de tournants, je prends mon sac (qui contient toujours le PC de Sean) et je rejoins mon bus, en bas de la rue. Quelle n’est pas ma surprise lorsque je le vois assis sur un des murets du carrefour… Il m’attendait.

Je m’approche de lui, tant pis pour mon bus.

« Alors ? lui demandé-je.

— Alors quoi ?

— Comment ça va ? Parce qu’il parait que tu es malade.

— Écoute, dit-il en sautant du muret, je… pour ce qui s’est passé hier.

— C’était bien, non ? l’interromps-je.

— Quoi ? Non, c’est pas cela. Je… c’était une erreur.

— Une erreur ? J’ai regardé ton historique. Y a pas d’erreur.

— T’as quoi ?

— Ben oui. D’ailleurs, tiens, ton PC. »

Je sors le portable de mon sac et le lui remets.

« Merci, mais…

— J’ai tout effacé, remis tout à jour et je t’ai installé un bon browser.

— Euhh… Merci. Mais Ed, cela ne changera rien. Je ne quitterai pas Haha pour toi.

— Et pourquoi ? Tu te fous de cette fille.

— C’est…

— Oh putain, ne me dis pas que c’était pas bien. On est en 2020, bordel.

— Quoi ? Non, j’ai pas dit cela. Juste queeee… j’en sais rien de ce que je veux. »

Je le regarde, étonné. Comment cela, il ne sait pas ? Cela m’avait paru très clair.

« Cela ne fait pas très longtemps et je ne me sens pas à l’aise. »

C’est vrai que les plus anciens sites gay dataient de quelques mois à peine, mais cela ne changeait rien au propos, je l’ai bien senti hier.

Me vint alors une question.

« Sean ? Pourquoi tu veux aller en Grèce avec Haha ? »

Il réfléchit un instant et je peux voir dans ses yeux qu’il ne souhaite pas répondre ; mais je ne lâcherai pas. Après un long silence, il me dit :

« Pour être sûr si oui ou non, cela me plait réellement d’être avec une fille… »

En une phrase, je me sens déphasé. Voilà la raison de son intérêt pour la Grèce, Sean veut se forcer à être… non gay ? Mais quelle connerie !!

« Tu vas payer mille six cents euros pour tester ta virilité pendant les grandes vacances ?

— Quoi ? Non… enfin…

— Et moi, dans tout cela ?

— Quoi ? Et toi ? »

?!?

« Ben ! Et nous deux. Il s’est passé un truc, que tu le veuilles ou non.

— Je sais.

— Non. Tu sais pas, ou plutôt tu ne veux pas savoir, répondis-je avec un peu de colère. Sean, je suis désolé, mais je ne vais pas attendre la fin des grandes vacances pour savoir ce que tu ressens pour moi.

— Laisse-moi un peu de temps, s’il te plait.

— Un peu de temps ? Et Haha ? Je sais qu’elle a pour habitude de se foutre de tout, mais là…

— Je vais lui parler. Promis. »

Derrière lui au loin, je remarque une silhouette connue, celle de Max. Qu’est-ce qu’il fout là ? Je n’en sais rien, mais probablement qu’il y a une salle de sport à proximité. Il nous regarde comme si nous étions des animaux et me demande par signe si tout est OK.

J’ai l’air de me faire agresser par Sean ou quoi ? Je lui fais un geste que tout va bien et Sean se retourne.

« Oh putain, qu’est-ce qu’il veut ce con ?

— Laisse-le. Puis il pourra nous séparer si l’on se bat. T’as fait fort ce matin.

— Quoi ? Avec Fred ? Mouais, je sais, mais lui aussi m’énerve. »

Un bus arrive et nous dépasse. C’est celui que Sean prend pour rentrer d’habitude… une heure plus tôt.

« Merde, il est déjà 17 heures, faut que j’y aille. »

Sean pend son sac et se met à courir vers le bus, il l’attrape de justesse et je le vois partir assis près de la fenêtre arrière.

Moi, ben… je marche seul, comme disait un chanteur, en regardant le ciel et me demandant ce qui va m’arriver. Tout me passe par la tête : quelle décision va-t-il prendre ? Comment va réagir Haha ? Comment vont réagir les autres de la classe ? Bref tout ça, j’y pense sans voir où je mets les pieds, comme par exemple sur un skateboard de gamin…

Trois jours de repos et pas école avant lundi prochain. Ordre du médecin.

Et il parait que j’ai eu de la chance car rien n’est cassé, seulement foulé. Pour ne pas avoir une déformation du poignet due à ma croissance non terminée, ma main droite est paralysée de l’avant-bras jusqu’à la paume de mes doigts par un plâtre de deux centimètres d’épaisseur. Je devrai garder cela un mois, autant dire que se branler va méchamment se compliquer. Maigre consolation, j’ai pu choisir la couleur du plâtre : j’ai pris « vert ».

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