Aline-5 (version 0.6)

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« Mmmm, Mathilde ! » s’exclame Fred en ouvrant les bras.

La fumée que je recrache m’empêche de bien voir, mais je peux au moins être sûre d’une chose : Mathilde a décidé de très peu s’habiller pour cette soirée. Elle se rapproche de nous d’un air désinvolte sous les regards de Garry et des autres. Curieusement, ils ne font pas de grands yeux, ou ne sifflent pas ; trop défoncés peut-être.

« Le freak et Aline… On ne peut plus vous séparer, vous deux », dit-elle en prenant mon joint de force comme si elle m’était supérieure. OK elle l’est, mais…

« On était séparés toute la journée, répondit Fred, vu que je n’étais pas à l’école. T’as pas remarqué ?

— J’avoue que ta vie m’intéresse peu. Par contre, ta mort un peu plus. Alors préviens-moi quand t’auras des nouvelles.

— Pas besoin de ça, on ne se verra plus l’année prochaine, je te rappelle. C’est notre dernière année, enfin pour moi.

— Mouais. Mais avec le bol que j’ai, on ira dans la même université.

— Si tu réussis ton travail de maths en seconde sess… »

Mathilde parait surprise. Comme si elle était prise d’un hoquet et qu’elle voulait couper l’herbe sous le pied de Fred, elle parle en inspirant.

« Comment cela ? J’ai réussi.

— Ah bon, curieux. J’avais cru comprendre la semaine passée que t’avais eu 6 sur 20 ».

C’est vrai que pour moi aussi, elle avait raté.

« Non, c’était une erreur. J’ai été voir le prof, il manquait un 1 devant quand ils ont encodé les points. Tu crois quand même pas que j’allais rater un truc aussi simple… je ne suis pas Max. »

Arrête d’insulter Max, connasse, pensé-je intérieurement.

« Mmmm, oui c’est vrai qu’il avait organisé une visite des copies. »

Ah bon ?

« Elle avait lieu mardi, n’est-ce pas ? Après l’école, vers 17 heures. J’y suis allé aussi… »

De quoi causent-ils ? Je n’ai jamais entendu parler de quoi que ce soit. Étais-je distraite tellement j’étais contente d’avoir réussi ?

J’attends la réponse de Mathilde mais au lieu de cela, ses pupilles se rétractent et ses sourcils deviennent menaçants. Pas de doute, la haine l’envahit.

Silence.

Après quelques secondes, Mathilde préfère tourner la tête plutôt que de répliquer, et comme je suis à côté, cela tombe sur moi. Elle me dévisage de haut en bas, d’un air dégradant.

« Toujours aucun goût pour les vêtements, à ce que je vois. Tu comptes skier, avec ton col roulé ? »

Je ne réagis pas. Puis c’est vrai que j’ai chaud là-dessous. Quelle idée m’a prise ?

Mathilde se retourne.

« Bon, je vous laisse. J’ai de plus gros poissons à pêcher. 

— C’est ça. Va jouer les salopes, le seul jeu où t’es sûre d’être première. »

Silence.

Tout le monde me regarde circonspect, Fred le premier. Garry, qui a été obligé de s’assoir pour tenir (comme ses amis) murmure : « Oups, ça devient intéressant !»

Je sais pas si c’est la beuh qui me donne de la confiance, mais y a un moment où il faut dire les choses comme elles sont. Mathilde est surtout la salope numéro un du bahut, et si elle n’avait pas un cul, elle n’aurait personne à qui parler. Enfin, elle ne m’a pas rendu mon joint.

« Qu’est-ce que t’as dit ? » me répond-elle.

Tous se retournent vers moi, attendant ma réponse ; même Fred qui est un peu surpris. J’hésite mais après tout, pourquoi pas ? Je serre les poings et puis d’un coup, je me lance.

« On sait tous pourquoi t’es ici ce soir, quel mec tu ne t’es pas encore tapé ?

— Qu’est-ce que cela peut te foutre ? T’es jalouse d’être moche ?

— Pas du tout, mais ton cul ne te permet pas tout. T’as un mec, alors pourquoi tu le trompes non-stop ? Max ne mérite pas cela. »

Silence, Mathilde ne répond rien. De prime abord, cela m’étonne ; alors je repense à mes mots, espérant n’avoir rien dit d’exagéré comme un truc raciste sans y faire gaffe. Mais non, j’ai dit pire que cela, et Mathilde et Fred l’ont bien saisi.

« Ow, c’est Max le problème ?

— Quoi ? Non, pas du tout », dis-je timidement, alors que mes joues rougissent.

Je suis idiote, elle va me massacrer maintenant. Pourquoi j’ai prononcé son nom, j’aurais pas dû…

« Tu le veux ?

— Hein ? »

Je relève la tête car je ne comprends pas.

« Je veux quoi ?

— Max. Tu le veux ?

— Non, enfin…

— Allez, arrête. Je sais très bien que tu craques pour lui. C’est pas très dur, chaque fois qu’il te parle en classe, tu baves. N’importe qui le remarquerait. Alors viens, je vais te donner ta chance. »

Mathilde m’attrape par le bras et m’emmène.

« Fred ! appelé-je à l’aide. 

— T’inquiète, je ne vais pas te séquestrer. »

Mais heureusement pour moi, Fred nous suit. Seul Garry et ses amis restent assis, nous regardant nous éloigner.

« Tiens, il est là. Tu le vois ? »

Mathilde me montre du doigt Max qui est en train de jouer avec Seb et Brian. Il a encore les cheveux mouillés, et quelques-uns de ses amis ont trouvé d’autres jolies filles pour les accompagner.

« Vas-y ! Va le draguer ! 

— Comment cela, le draguer ?

— Ben c’est pas compliqué, je t’autorise à aller draguer Max. Et si t’arrives à l’emmener dans une chambre, t’as ma bénédiction pour continuer.

— Non mais… »

Je regarde de nouveau Fred avec les mots « S.O.S » dans les yeux. Et c’est avec une joie immense que j’accueille son aide.

« Mathilde, je crois qu’on a compris, dit-il. 

— Toi oui, mais pas elle (elle se retourne vers moi). Tu crois que c’est moi le problème avec Max ? Tu crois qu’il y a un complot scolaire pour lui cacher tout ce que je fais ? Alors vas-y, va lui dire tout ce que tu veux, te gêne pas ; et après drague-le. T’en es capable, non ?

— Euh oui, dis-je pour ne pas me débiner, même si draguer n’a jamais été une de mes plus grandes forces. »

Mathilde a un petit rictus. Elle n’a pas cru à mon affirmation.

« Eh bien tu sais quoi, je vais même t’aider un peu. »

D’un coup, elle attrape mon col brun et remonte le tout vers le haut. Je sens le vent sur ma peau et en une seconde, je me retrouve une couche en moins sur le dos. Je remets mes lunettes en place et tousse, le choc thermique me donne une petite chair de poule qui disparait aussitôt.

« Ma pauvre, même ton t-shirt et tes sous-vêtements font pitié. »

Je baisse la tête et effectivement, mon t-shirt n’est pas repassé tandis que mon soutien-gorge blanc, visible à travers, est détendu. Je suis très loin du rouge pétant de celui de Mathilde.

Elle continue. Elle prend mon t-shirt et le boucle par le col avant de le coincer dans l’espace inter gorge. Mon nombril est à l’air et j’ai l’impression d’être… un peu plus Mathilde. Fred fait les grands yeux en tirant sur son joint.

« Voilà, c’est mieux. T’es toujours aussi dégueu, mais maintenant t’es une dégueu correctement habillée. »

Je ne dis rien. Elle me retourne et pointe du doigt son mec qui a une barre de snookers entre les mains.

« Vas-y, va le draguer, je t’en prie. »

Je la regarde dans les yeux.

« Quoi ? Madame a peur ? T’inquiète, il ne mord pas. Et je vais même te donner des trucs pour t’aider. Tu peux lui dire que je l’ai trompé avec Seb, son meilleur ami. C’est le type à côté en chemise. »

Quoi ?

« Fred est bien au courant aussi d’ailleurs. Et si tu veux lui présenter un argument, dis-lui que Seb a un problème à sa bite qui est plus que visible quand il bande. Seules les filles qui l’ont vu nu le savent. »

Un problème à la b…

« Et si t’arrives à le convaincre de venir jusqu’ici, je lui dirai que c’est vrai ; que je l’ai bien trompé et plusieurs fois. 

— Quoi ? Mais…

— Voilà. T’as toutes les infos pour qu’il me largue et après t’auras pas de mal à sortir avec. Et ne viens pas dire que je n’ai rien fait pour t’aider. »

Mathilde me pousse dans le dos en direction de Max. Je me retourne, mais la seule chose que je vois est cette connasse qui me fait des signes de la main pour continuer. Fred, à côté, tire sur son joint. En fait, j’ai comme l’impression qu’ils veulent discuter seul à seul.

Et puis moi… Pourquoi ce ne serait pas ma chance ? Là, maintenant…

Tout le monde peut être Mathilde. Je me suis toujours dit que ce n’était pas compliqué, montrons-lui. Je prends sur moi, j’avance les dents serrées et d’un coup les effets de la drogue ne me font plus rien, comme si mon corps savait que c’était l’instant, mon moment.

À l’intérieur, le bruit est de mise.

« Max ? » marmonné-je péniblement.

Personne ne me remarque. Une boule est placée dans l’un des trous du billard, tout le monde exulte.

« MAX ? » crié-je

Il se retourne enfin et me voyant, des amis à lui demandent avec un certain dédain s’il me connait. Quand même, faut pas exagérer, je ne suis pas une cafarde non plus.

À mesure qu’il se rapproche, je me sens quitter mon corps. Il y a un je-ne-sais-quoi qu’il n’y a pas d’habitude. Par exemple, ses vêtements, ou ses cheveux, est-ce l’humidité ?

Il se rapproche et me regarde muet, comme s’il attendait que je parle.

Ben oui, je dois parler, mais… je n’y arrive pas.

« J’aimerais sav… enfin… je…. Tu… t’as pas… »

Pourquoi ? Rien ne sort.

Je peux entendre derrière lui ses amis qui rigolent de moi, Seb le premier. Me vient alors les mots…

« Seb… Mat… Bi », mais rien. Juste Seb qui fait les grands yeux et qui se retourne vers les deux compères au loin.

« Pourquoi t’irais pas demander à Mathilde, elle a plus l’habitude de te comprendre. Tu sais, entre filles… »

?!?

« Mais je… ».

Je suis mise dehors presto par… Max. Je veux revenir et réessayer, mais je l’entends dire :

« Elle est gentille mais pénible. »

Une phrase, une seule, et je savais que Mathilde avait gagné.

Je retourne toute penaude vers Fred et « Miss-connasse-de-la-classe » en me sachant vaincue. Je n’attends pas autre chose qu’un châtiment horrible, à tel point que je n’ose même pas regarder Attila-la-Hun dans les yeux. Qu’elle me coupe la tête et qu’on en finisse.

« Tu comprends pourquoi maintenant ? me dit-elle. Il est con, très con. Tu pourrais lui montrer une vidéo de moi en train de coucher avec son père et sa mère qu’il n’y croirait pas. C’est… c’est un style… Alors, à moins que tu ne sois intéressée par ses muscles, oublie-le. »

Sa réponse me surprend, mais pas assez pour me remonter le moral. Je regarde derrière moi et vois mon rêve, pour ne pas dire fantasme, s’en aller. J’avais une chance et je l’ai laissée passer.

« C’est triste.

— Non, Aline, c’est Max et c’est comme cela et crois-moi, tu mérites mieux que lui. Mais si tu veux réessayer, te gêne pas. Je ne t’en voudrais pas ; limite, si tu y arrives, tu remonteras dans mon estime. »

Je ne dis rien.

« Bon, maintenant que c’est OK, je vous laisse, je vais “Jouer” les salopes comme tu disais. Oh ! Et Fred, je vais réfléchir à ta proposition. On en reparle lundi. »

Mathilde nous quitte.

Quelques secondes à peine après, je sens la main de Fred sur mon épaule. Sans trop comprendre pourquoi, je me lance dans ses bras telle une petite sœur voulant être réconfortée.

« Ça va ? » me demanda-t-il.

Je fais oui de la tête, même si j’ai les larmes aux yeux.

« Tu veux rentrer ? Je te raccompagne à ton vélo ? »

Je fais non de la tête et le regarde profondément. Il a l’air surpris.

« Je veux me bourrer la gueule et être défoncée. 

— Mmm, OK. 

— Oh et ça… »

Je lui arrache mon pull en laine brun et de toute ma rage, je l’envoie paître dans un buisson en criant : « J’EN AI PLUS BESOIN. »

Et puis trou noir.

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