3 - Levé du jour

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Heureusement pour moi une empreinte génétique partielle ne constituait pas une preuve suffisante pour m’arrêter. En tant que citoyen j’avais des droits et je les connaissais plutôt bien. Le grincheux le savait, il me lâcha donc la grappe après sa petite démonstration. J’étais sûr que sa petite mise en scène lui avait refilé la gaule à ce vieux pervers. Petite jouissance d’un misérable aigri par la vie et un boulot de merde. Ils me relâchèrent donc à l’aube, après quelques heures en cellule, le maximum légal, le temps que l’administration consigne toutes les pièces du dossier.

À peine sorti du palais, je portais machinalement une e-clope à ma bouche et en tirais une grande bouffée revigorante. Elle s’alluma instantanément. La fumée iodée et vitaminée s’engouffra dans mes poumons crasseux. Cela ne me suffisait pas, il me fallait quelque chose de plus fort pour me réveiller. Malheureusement j’avais discrètement largué mes dernières pilules de félicité dans le bar quand les pretobots me mirent le grappin dessus.

Mon datapad accrocha enfin un réseau et une tonne de notifications sans importance en provenance du Ret vinrent se sur-imprimer sur mes optiques. Des nouvelles de la gare spatiale avec l’Orient : nos drones gagnaient du terrain. Propagande de merde. Je les balayais machinalement d’un double battement de cils.

Le soleil se levait à l’horizon. De mon perchoir, en marche de marbre, je le voyais émerger de l’océan. Ses premiers rayons scintillaient sur les pieds de l’immense statue en transparacier de Iusticia qui se dressait fièrement au-dessus de moi sur l’immense frontispice juché sur quatre colonnes ioniques. Imposant. Cela me rappelait quelques poèmes, mais je n’avais pas le cœur à y songer. Un vent frais se leva et un frisson me parcourut l’échine. Je me réchauffais le bout des doigts avec la braise de l’e-clope.

Dans la large avenue en contre bas, cela s’agitait déjà. Cette foutue ville ne dormait jamais. Une foule servile sortait du transurb pour accomplir avec zèle leurs minables tâches quotidiennes. Voilà quel était le secret de notre société prétendument parfaite, tout reposait sur les frêles épaules d’une armée de zombies décérébrés et servils aux ordres du plus grand empire de tous les temps.

Une silhouette familière agitant les bras apparus au loin au centre d’un cercle de fumée. Ce bon vieux Titus était là. Je dévalais les marches quatre à quatre pour le rejoindre.

— Marcus, ils t’ont enfin lâché ces salauds ! Ils te voulaient quoi, bordel ?

— Écoute Titus, ce que je désire le plus pour l’instant, c’est poser mon cul dans un canapé douillet et m’avaler quelques speeds. Pourrais-tu faire ça pour moi, mon ami ?

— Hé hé, bien sûr ! Viens à la maison, j’ai tout ce qu’il te faut. Amicus certus in re incerta cernitur !

— A ce propos, hier, quand je t’ai quitté, je t’ai dit où j’allais ?

— Non, mais vu comme t’étais fait, t’as pas du aller bien loin, me répondit Titus d’un air sarcastique.

Nous rejoignîmes rapidement la station de transurb la plus proche. Nous étions en plein centre-ville de Nova Roma III, il y avait ici presque toutes les lignes qui se croisaient sur plusieurs niveaux. Titus habitait bien évidemment en lointaine banlieue dans un appartement qui tenait plus du squat que d’autres choses. Ici, il était a priori impossible de frauder. Les barrières de sécurité étaient hautes et imposantes, il y avait des portiques et des senseurs partout. Mais avec Titus, nous avions des Civ-Chip piratées pour passer gratuitement et incognito de ce genre de contrôle. L’opération chirurgicale était douloureuse, mais cela valait le coup quand, comme moi, on naviguait en marge de la légalité. Le problème était lié au fait que la puce règlementaire était implémentée à la naissance et le temps faisait que les chairs et les nombreuses fibres nerveuses de la nuque l’absorbaient littéralement. Mais après quelques semaines de convalescence et d’entraînement, il était possible de se concentrer pour activer mentalement la fausse ou la vraie identification. C’était un crime grave, mais indétectable tant qu’on ne me fendait pas le crâne en deux.

Les couloirs souterrains étaient bondés à cette heure ci. Un vrai labyrinthe de passages, d’escaliers, d’ascenseurs. Ici tout le monde se croisait, personne ne se parlait. Les seules idées qui dominaient étaient de se rendre le plus vite possible sur son quai, ne pas rater sa correspondance et trouver une place assise. Avec Titus, nous n’étions pas des habitués des lieux, nous dûment mettre en route nos assistants de guidage pour trouver notre chemin. Divers commerçant nous interpellèrent pour nos proposer leurs services ou leurs gadgets, mais le quartier n’étaient vraiment pas nos prix. Nous descendîmes rapidement vers notre ligne.

Les capsules à sustentation magnétique se succédaient à grande vitesse dans un souffle presque silencieux. Chacune de ces bulles de verre pouvait contenir cent voyageurs. Elles permettaient de rejoindre n’importe quel point de la ville en moins de dix minutes. La plupart des lignes étaient mixtes, à la fois souterraines et aériennes. En effet, les fondations de Nova Roma III reposaient sur un ancien marais asséché par les premiers habitants de la région, les indiens mexicas, avant leur colonisation par l’Empire. Le sous-sol local posait des limites à l’expansion souterraine, contrairement à sa sœur aînée sur le vieux continent qui était plus profonde que vaste.

Sur le quai de la ligne XXIII la foule était dense et assez uniforme contrairement à d’autres quartiers. Cela faisait longtemps que les habits n’avaient plus aucun intérêt pratique ou fonctionnel, non, ils servaient uniquement à se donner un style, à afficher une façade aux autres à l’instar de votre avatar sur le Retiolus Rex. À cette heure matinale, les capsules vomissaient des cohortes de fonctionnaires qui se dépêchaient d’aller accomplir leur devoir en tenues grises plastifiées rehaussées d’un liseré de couleur fluo aux extrémités des manches ou du col afin de marquer son appartenance à tel ou tel administration divine. De-ci de-là, des touches de couleurs venaient égayer cette marée morne. Une poignée de citoyens venus rendre des comptes ou espérer justice, quelques marginaux égards ou encore quelques info-marchands ou vendeurs ambulants d’insectes grillés.

C’est lorsque notre capsule arriva à quai que je les vis dans le reflet de l’immense paroi de verre poli du transurb.

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