5 - Poursuite

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Je jouai des coudes pour me frayer un passage dans la masse humaine. Pas le temps de s’excuser, je devais faire vite. La partie du chat et de la souris avait commencé. Je fis de grandes enjambées et me mis à courir. L’homme derrière moi s’élança également. Bien. Il fallait que je maintienne une certaine distance, assez pour qu’il me course sans trop réfléchir, mais pas assez pour je ne le sème. Ce ne fut pas un problème, il était rapide l’enfoiré. Plus que moi. Saloperie de jeunesse. Je dévalai les couloirs sans logique. Je ne cherchais pas à sortir, mais au contraire à m’enfoncer, à trouver un coin tranquille. Il se rapprochait de plus en plus, il n’était plus qu’à deux ou trois pas de moi. Pour maintenir la distance, je dus ruser. Un vendeur ambulant surgit devant moi, à la faveur d’un embranchement. Je l’attrapai par le col et l’envoyai valdinguer, lui et sa marchandise, dans les pattes de mon poursuivant. Des dizaines de poupées articulées à l’effigie des dieux se mirent en mouvement en percutant le sol. Il dut ralentir pour les esquiver sans trébucher, mais il contourna l’obstacle sans peine. J’entendis le pauvre homme gueuler en nahuatl dans mon dos en ramassant ses breloques. Je ne connaissais que quelques rudiments de cette ancienne langue locale, mais au ton employé je crus comprendre qu’il me maudissait sur plusieurs générations. Peu importe, je ne comptais pas avoir de descendance de toute façon, ce monde est trop merdique pour assumer cette responsabilité. Je continuai à descendre. Je dévalai un escalator en mode toboggan sur la rampe centrale en bousculant au passage un maximum de personnes, espérant qu’elles se rebellent sur mon poursuivant. Ce qui se produisit plus ou moins bien. Au fur et à mesure que j’avançais, il y avait de moins de moins de monde. J’approchais des couloirs les moins fréquentés du Transurb. Encore un effort et on serait dans un lieu intime, en tête à tête.

J’arrivai enfin sur un quai quasi désert. Il y avait juste un couple d’amoureux qui se bécotait sur un banc. La prochaine capsule était annoncée dans plus d’une heure. J’avais assez d’avance pour tenter ma chance. À bout de souffle, je me cachai derrière un distributeur d’e-clope. Je transpirais à grosses gouttes et mes poumons me brulaient à chaque inspiration. J’entendis les bruits de pas saccadés de mon adversaire déboulant à son tour sur le quai. Il s’immobilisa quelques secondes et repartit en marchant lentement. Merde, il était sur ses gardes, dommage pour l’effet de surprise.

Je vis le bout de du canon de son arme dépasser légèrement du montant du distributeur. Je reconnus tout de suite le modèle standard du pistolet à charge incapacitante de la Cohors Urbana. Non létal, mais très douloureux. De quoi me sécher sur place, la bave aux lèvres, les intestins en vrac. Sans réfléchir, je me jetai dessus avec tout le poids de mon corps. Mes mains agrippèrent les siennes tandis qu’il pivotait dans ma direction. Je réussis à dévier l’arme vers le plafond. Je le sentis lutter pour braquer son flingue vers moi, en vain, j’avais plus de force que lui. Il le comprit rapidement et me décocha un coup de genou dans les couilles. Je tressaillis sous l’impact et crispa mes poings. Une décharge d’énergie bleutée partit s’écraser dans un grésillement électrique quelques mètres au-dessus de la tête du jeune couple. Les éclairages et machines qui se trouvaient dans un rayon de cinq mètres grillèrent instantanément. Les amoureux sursautèrent et s’enfuirent en hurlant. Ils n’étaient pas passés loin du coup de foudre.

Le visage de mon assaillant était assez serein. Concentré, mais pas paniqué. Il était clairement entrainé à ce genre de situation, il savait parfaitement comment réagir. Il continua à me savater. J’avais beau être plus fort que lui, il était plus agile et en meilleure condition physique. Je regrettai presque mes nombreux excès et ma vie de débauche. Plus l’altercation durerait, plus elle tournerait à son avantage. Je sentis venir le moment où il allait avoir le dessus. Il dut le deviner aussi, car un discret sourire se dessina sur ses lèvres. En guise de réponse, je lui mordis le nez. Je serrai si fort que j’entendis le cartilage céder sous mes dents. Il hurla et porta ses mains à son visage tandis que je lâchais mon étreinte bestiale. Réflexe idiot et inutile, il venait de me donner l’avantage. Je lui crachai son propre sang à la figure, le percuta d’un vaillant plaquage à la ceinture qui le prit par surprise et le fit basculer en arrière. Il heurta violemment le sol avec ma masse en guise de presse. Il lâcha son arme qui glissa deux mètres plus loin. J’ajustais ma position avant qu’il n’eût le temps de reprendre l’avantage. Mes jambes bloquèrent les siennes et mes poings vinrent s’écraser à bon rythme contre sa mâchoire. Droite, gauche, droite, gauche. Il tentait vainement de se dégager de cette position inconfortable. Quand il en eut assez, je le choppai par le col.

— Qu’est-ce que tu me veux bordel ? Pourquoi tu me suis ? Lui hurlais-je dessus.

— Arrête, je t’en supplie ! bafouilla-t-il la bouche tuméfiée.

— Réponds et j’arrêterai !

— Je ne sais pas, j’obéis aux ordres. On m’a dit de te suivre, de consigner tes actes et tes rencontres dans mon rapport. Je n’en sais pas plus, j’te jure.

— Tu te fous de ma gueule ? Parle !

C’est alors que j’entendis plusieurs hommes dévaler les escaliers quatre à quatre. Putain, les amoureux ! Ils avaient dû donner l’alerte. Il fallait que je file. Je pris mon élan pour servir un des plus grands coups de tête de ma vie. Le choc l’assomma net. J’espérerais qu’il se rappellerait qu’il ne fallait pas faire chier Marcus.

Je sautai sur les voies et disparus dans l’ombre.

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