12 - Tabularium

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— Putain, mais ce n’est pas possible d’être aussi con ! C’est un critère de recrutement de l’administration impériale ou quoi ? hurlai-je à travers l’interphone.

— Monsieur Census, clamez-vous et restez poli s’il vous plait. Je vous dis que ce n’est pas possible, ce n’est pas ma faute, c’est le règlement, c’est comme ça.

— Mais vous me faites tous chier avec votre règlement de merde ! C’est ma mère bordel, j’ai le droit de savoir ce qu’il lui est arrivé !

— Certes, mais comme je vous l’ai déjà dit, son dossier est classé. Il est nécessaire d’avoir une accréditation niveau 4 pour y accéder et je ne suis habilité que pour le niveau 1…

— Et bien, bouger votre cul et allez me chercher un clampin connerie niveau 4 !

L’homme assis en face de moi laissait paraitre tout les attributs du petit fonctionnaire étriqué dans sa petite vie bien rangée. Cela se lisait sur son visage, bien que celui-ci se soit fermé au moment au je me suis mis à lui gueuler dessus. Le mien au contraire, dont je voyais le reflet, trahissait l’énervement mêlé à une méchante descente de trip. Mes traits étaient crispés, les yeux cernés, le teint grisâtre et mes joues viraient au rouge. J’avais encore une partie du cerveau engourdie, toutes les idées et les informations reçues ne s’organisaient pas encore de façon optimum et s’entrechoquaient parfois. La colère qui montait n’arrangeait rien. Putain, il m’a bien cassé les couilles celui-là ! J’ai dû attendre une bonne heure, remplir trois formulaires à la con et produire des copies de toutes les pièces justificatives pour finalement m’entendre dire « c’est pas possible monsieur, désolé… ». Ça ne m’étonne pas que notre Empire parte en couille tiens. On a du souci à se faire ! Je suis sûr que les Orientaux, eux, n’ont pas ce genre de petits connards de fonctionnaires tatillons de merde. C’est à cause de gens comme lui qu’on a perdu Luna !

Je me trouvais dans une vaste salle froide et impersonnelle. Une sorte de hangar à démarches administratives du Tabularium, les archives impériales. Les serviteurs de l’Empire étaient planqués, en ligne, le long d’un immense mur, dans de petits box individuels protégés des citoyens par une paroi en transparacier et un hygiaphone. Il y en avait peut-être une centaine qui s’étalait à perte de vue. Je poireautais au numéro XLII. Il y avait plusieurs centaines de citoyens qui attendaient gentiment leur tour, la plupart avec des dossiers sous le bras, ou des enfants en bas âges. Il y avait ici un parfait échantillon de la classe populaire, un ramassis de désœuvrés venu quémander une aide, une attestation, ou payer une taxe. Un bon paquet me jetait des regards curieux ou accusateurs au fur et à mesure que je haussais le ton.

L’homme en face de moi quitta son siège visiblement vexé et disparu derrière un panneau décoré d’une affiche de propagande sur la conquête spatiale. C’était la nouvelle lubie de l’Empereur qu’il finance à grand coup d’impôts. Quelques secondes plus tard, des inscriptions apparurent en surimpression sur la paroi qui me séparait de la chaise vide. Notre système de surveillance a détecté un outrage à un personne chargée d’une fonction impériale ou dépositaire de l’autorité impériale. L’amende forfaitaire s’élève a LX sesterces. Merci de choisir votre moyen de paiement : Débit direct Civ-Chip/Débit différé Civ-Chip.

Je retins mon poing de s’abattre avec rage sur la vitre, ce qui n’aurait pour effet que de faire gripper le montant de l’amende et de me briser quelques phalanges. Bandes d’enflures ! Je clique sur débit différé, mon compte étant aussi sec que les couilles de l’Empereur !

Quelques secondes plus tard, une femme en tailleur trois-pièces apparut, l’air sévère, dans le box. Elle s’installa sur la chaise sans rien dire, se connecta à l’ordinateur et daigna enfin m’adresser un regard.

— Monsieur, mon agent m’a prévenu que vous désiriez me parler. Je suis la responsable du service. Sachez qu’en temps normal, pour avoir accès à un administrateur, il faut en adresser la demande aux services compétents qui vous répond dans un délai de trois décades…

Elle du se rendre compte que je n’écoutais pas vraiment ses explications foireuses.

— Bon, je vais faire une exception étant donné que je tiens au calme et à la sérénité du cadre d’exercice de notre mission. J’espère que vous comprenez bien que je vous accorde une sorte de faveur ?

— Ouais, ouais, OK, merci. Bon, vous pouvez me le filer, vous, ce dossier ?

— De quel dossier s’agit-il ? Pouvez-vous m’expliquer votre demande ?

Je pris une grande inspiration pour ne pas l’insulter à son tour et m’efforça de sourire pour paraitre agréable. Évidemment cela sonnait forcément faux, je n’avais jamais su sourire.

— Le dossier administratif de ma mère. Son nom était Nona Clavia Luculus. Elle est morte en couche en MMCMLXII. Je suis l’unique descendant légal. Vous trouverez ici le formulaire de demande d’accès ainsi que mes justificatifs d’identité. Pourriez-vous me le donner ? S’il vous plait, rajoutais-je à la hâte ?

Elle tapota quelques minutes sur son clavier et leva la tête vers moi avec un air renfrogné.

— Je suis désolé, ce dossier est classé niveau 4, il m’est impossible… heu, c’est étrange. Attendez je vérifie. Hum, il a dû y avoir un petit bug d’affichage. Le dossier est bien classé niveau 1. Désolé, cela arrive de temps en temps. Rajouta-t-elle l’air un peu gêné.

Quelques minutes plus tard, une demande d’autorisation d’upload PAN apparut sur mon interface rétinienne. Je validai l’opération et le dossier se téléchargea en quelques secondes.

Je fis quelques pas en arrière afin de m’assoir sur un des bancs de la salle d’attente sans prendre la peine de remercier ou de saluer mon interlocutrice. J’étais à la fois impatient de découvrir ce que cela allait m’apprendre et inquiet que cela confirme les soupçons qui me hantaient depuis la nuit dernière. Les informations défilaient à toute vitesse devant mes yeux. Il n’y avait pas grand-chose, mais je m’accrochais à tout ce que je pouvais. Je découvris avec stupéfaction que ma mère était une des sept Vestales ! Je savais qu’elle travaillait au temple de la déesse du foyer, mais j’étais loin de m’imaginer qu’elle en était une des personnalités plus importantes ! Ma mère était une prêtresse avec un grand pouvoir politique… J’imagine que sa grossesse a dû poser quelques soucis, vu que son titre l’obligeait à être un modèle de pureté et de chasteté ! Je parcourus ensuite rapidement les documents administratifs, les factures d’énergie, les amendes (au moins, je sais de qui je tiens…) afin de cibler mes recherches vers ce qui m’intéressait au premier chef. Quelques dossiers médicaux indiquaient une première grossesse, la mienne vu les dates, avec des avis rassurants sur le développement du fœtus. Mais à partir du cinquième mois, plus rien. Plus une seule échographie. Plus de suivi médical, rien. Le dernier élément est un rapport d’autopsie indiquant une mort en couche liée à une hémorragie post-partum. L’autopsie a été réalisée 36 heures après le décès. Pourquoi un délai si long ? Ma mère n’avait-elle pas accouché à l’hôpital, entourée de médecins compétents ? Que s’était-il passé entre le 5e et le 9e mois ? Pourquoi le dossier était-il classé niveau 4, serait-ce lié à son statut de Vestale ? Mes classes au service l’Empire m’apprirent que le niveau 4 était réservé aux informations dont la publication pourrait nuire ou être préjudiciable à la sécurité impériale. Il n’y avait pourtant rien là-dedans qui mérite une telle restriction. Mes seules certitudes étaient que j’ai n’avais ni frère ainé ni puiné, vu que c’était sa première et dernière grossesse, ni même de jumeaux puisque les échographies ne révélaient qu’un seul fœtus… Je n’avais donc pas de frère, et plus aucune explication à opposer à tout ce qu’il passait depuis quelques jours.

Un nom inconnu figurait au bas du dernier rapport, Docteur Procula Tadia Reginus. Peut-être aurait-elle des réponses à me fournir ? Est-elle seulement toujours en vie, 37 ans après ? Son nom ne retourna aucun résultat dans les moteurs de recherche publique…

Un message système surgi à l’insu de mon plein gré sur mon interface rétinienne. Impossible, quelqu’un aurait hacké mon PAN ?

FUIS_ !

VITE_ILS_ARRIVENT_ !

JE_TE_GUIDE.

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