Chapitre XX : Lezansar

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 Le soleil avait bien entamé sa descente lorsque la caravane s’arrêta au centre du village de Lezansar. Perché au côté du pilote d’une des carrioles, Arion perdait son regard sur les champs qui l’entourait. Au loin, il pouvait distinguer un aiguillon blanc qui perçait le ciel, et qui sous les feux de ce soleil déclinant rutilait comme s’il était fait de cristal. Autours de lui, les gobelins descendaient de leurs roulottes, discutaient avec les villageois, ou s’occupaient de leurs chevaux. Les enfants du clan, profitant enfin d’une pause dans la marche inexorable des leurs, s’amusaient avec les jeunes du village.

 Du coin de l’œil, le jeune sorcier regardait toute cette agitation autours de lui, avant que son attention ne soit happée par la voix de Paflos.

– Si tu désires faire tes adieux aux gobelins, tu ferais mieux de le faire maintenant. Ils vont pas tarder à repartir.

 Le jeune homme redressa alors la tête vers son ami avant d’acquiescer. D’un bond, il descendit de la carriole, et prit quelques instants pour saluer une dernière fois les membres du clan. Assis au bord d’une fontaine, Ornav discutaient, par interprète interposé, avec les habitants du village. N’osant le déranger, Arion s’approcha doucement de lui. Mais alors qu’il s’appréta a présenter ses hommages au patriarche, le jeune sorcier se contenta de dire à l’interprète gobelin :

– Transmet mes amitiés à ton patriarche, et remercie-le de nous avoir accueillis parmi vous.

 L’interprète regarda avec malice Arion, puis transmit ses paroles au vieux gobelin. Ce dernier, dodelina sans un mot, avant de faire un signe de main en direction de la voix du jeune sorcier. Arion répondit par un léger sourire que son interlocuteur ne pouvait voir, puis tourna les talons pour rejoindre Paflos et Fleur d’Epine.

 Les deux discutaient avec Ayaron a l’ombre d’un vieil arbre, au centre du village. En voyant Arion arrivé, le gobelin le salua :

– Ah, te voila môme, on t’attendait. Suivez-moi, je vais vous présenter à l’aubergiste du village.

 Sans rien ajouté, le jeune sorcier suivit le gobelin et ses deux compagnons de route. Le premier continua :

– Sur ma tête, vous allez voir, elle est vraiment sympa. Tout le monde l’apprécie à Lezansar, c’est pour ça qu’ils l’ont désigné podestat.

– Elle est également podestat ? demanda Paflos.

– Vie de ma mère, je te dis.

– Eh bien par les dieux, heureusement que dans mon village ce n’est pas le cas. répondit innocemment Paflos.

 Aux mots de son ami, Arion ne put retenir un pouffement. Imaginer l’aubergiste d’Alpénas diriger le village était à la fois la chose la plus drôle et la plus ignoble qu’il ait imaginée de la journée. Et il venait de passer plusieurs heures avec Fleur d’Épine. Paflos, comme si de rien n’était, continua.

– Dans tous les cas, ça tombe plutôt bien. J’aurai quelques mots à lui dire concernant la suite de notre voyage.

– Si tu arrives a en placer une. Ajouta, goguenard, le gobelin.

 Les quatre entrèrent alors dans un bâtiment situé à l’une des extrémités du village. C’était une grande bâtisse en pierre grise, surmonté d’un étage en bois. Sur la devanture, au-dessus de la porte, pendait une enseigne figurant deux pintes de bière en train de trinquer, et dont les éclats de mousses semblaient prendre la forme de cette grande structure visible à l’horizon.

 À l’intérieur, la salle principale, en forme de L, était divisé en deux parties. La principale, dans laquelle était entrée Arion et ses compagnons, s’organisait autours d’une cheminé centrale ouverte sur ses quatre face. Face à l’entrée se dressait un comptoir auquel deux hommes étaient installés et buvaient. Ils semblaient seuls dans l’établissement. Mais alors que les quatre voyageurs entrèrent un peu plus, une forme marron leur passa à toute vitesse sous les yeux, et parti se ficher auprès d’une des tables de la salle. Loin de s’en formaliser, Ayaron s’en approcha et fit :

– Bien le bonjour a toi, Esthela ! Est ce que tu…

 Ayaron n’eut pas le temps de finir sa phrase que la forme parti a une autre table, avant de dire.

– Tien, les gobelins sont de retour ?

– Erhm… Oui, en effet, je…

 La forme se détacha alors de sa table et se posta juste en face du gobelin. C’était une femme, grande et longue, aux cheveux décoiffée par l’effort et habillée d’un tablier de cuir auquel pendaient divers ustensiles.

– Content de te voir, Ayaron. Vous restez au village, ce soir ?

– Oui. Enfin non, justement, on…

– Dommage, mais bon. Dans tous les cas je dois dire deux mots à votre chef. Il parle toujours pas la langue ?

– Oui, plus ou moins, mais…

– Génial, ça va mettre mon gobelin à l’épreuve.

 La femme s’approcha alors de la sortie, ne semblant remarquer qu’alors la présence des trois voyageurs.

– Messieurs-dames. Vous prendrez quoi ?

– ‘sont avec moi ! ajouta aussi vite qu’il le put Ayaron.

– Ah ? Et tu ne me les présentes pas ?

– Je suis Paflos, d’Alpénas. Et voici mes amis Arion, d’Alpénas également, et Fleur d’Epine, de…

– C’est génial. En quoi puis-je vous aider ?

 Les traits de l’homme d’arme se crispèrent quelque peu. Il pris une grande inspiration et s’apprêta à reprendre, avant d’être doublé par Ayaron :

– Ils ont besoin de dormir pour la nuit.

– En comptant sur votre générosité si possi–...

– Ainsi soit-il, voyageurs. Les amis des Amakim sont mes amis ! Je leur dois bien ça ! Maintenant si ça ne vous ennuie pas…

 La femme passa alors au travers de la petite bande et sorti de son auberge, non sans ajouter :

– Installez vous en salle, je m’occupe de vous dès que possible !

– J’aimerais m’entretenir également avec vous au suj–...

– Eh bien restez pas planté là ! Venez, on va régler ca tout de suite !

 Sans plus attendre, la tenancière pris la direction du centre du village. Quelque peu décontenancé, Paflos la regarda s’éloigner, avant qu’Ayaron n’ajoute, un sourire aux lèvres.

– Sur tata Tzofiya, j’avais prévenu.

– Je sens que je suis déjà pressé de repartir… souffla Paflos.

– Sentiment totalement partagé, ours. acquiesa Fleur d’Épine en suivant la femme du regard.

– Tu ferais mieux de la suivre, par contre. nota Ayaron. Si elle a dit qu’elle allait te permettre d’en placer une au sujet de tes problèmes maintenant. Alors c’est maintenant. Pas à son retour, pas ce soir, pas demain matin. Sur ma tête, je me suis déjà fait avoir avec ça.

 Paflos ne put retenir un nouveau soupire, et parti au trot derrière l’aubergiste. A peine l’homme d’armes fut parti que le gobelin se tourna vers Arion et lui tendit le poing.

– Je crois que cette fois-ci ce sont vraiment des adieux, gamin. C’est ici que nos chemins se séparent.

 Au départ étonné, c’est en voyant l’insistance du gobelin qu’Arion vint poser son poing contre celui d’Ayaron.

– Sur ma vie, ce fut un vrai plaisir de te rencontrer, gamin. Même s’il ne vous reste plus grand-chose jusqu'à Ansar, faites attention, Paflos et toi.

– Et moi, je sens le pâté ? siffla Fleur d’Épine.

– J’aurai pas dit pâté…

 La félidée croisa alors les bras et détourna la tête, avant de dire sèchement :

– Garde ta salive, gob’lin. Ça sera ça d’économisé pour toi.

 D’un air goguenard, le gobelin vint entrechoquer ses phalanges avec la main de la félidée, avant de filer à son tour. Les deux restants regardèrent quelques instants Ayaron rejoindre les siens. Mais au bout de quelques secondes, la félidée brisa le silence, et lui cria :

– Et fait plus attention quand tu éclaires ta caravane ! Le prochain sera moins sympa que moi, ça serait con pour toi qu’il t’égorge !

 Sans se retourner, le gobelin lui fit un signe de main, laissant Fleur d’Épine et Arion seuls. Les deux restèrent quelques instants sur le pas de la porte, avant que la félidée ne décide de s’enfoncer dans la bâtisse. Au bout de quelques instants, le jeune sorcier la suivit et partit s’installer avec elle, à une table située non loin du comptoir. Ce n’est que depuis cette place qu’il eut vue sur la dernière partie de la salle principale.

 Cette dernière n’était en rien différente au reste de la pièce, si ce n’est la présence d’un escalier, permettant d’accéder à l’étage. Assis seul à une table se trouvait un elfe, qui faisait magiquement tournoyer le contenu d’un sablier. Il était fort élégant, aux longs cheveux bruns et au visage couvert de runes. Arion le reconnu immédiatement et le fixa longuement. À côté de lui, Fleur d’Épine semblait dire quelque chose, qui formait comme un brouhaha au fond de l’esprit du jeune sorcier. Soudain, elle claqua des doigts trois fois sous le nez de son compagnon de voyage :

– Eh, môme, tu m’écoutes ?

– Hein ? Excuse moi, je revient…

 Sans plus d’explication, le jeune homme abandonna la félidée à ses grognements désapprobateurs, et se dirigea vers le mage elfe. Plus il approchait, plus l’identité de ce dernier devenait évidente à l’esprit d’Arion, qui, doucement, demanda :

– Massafir ?

 L’elfe quitta son sablier des yeux, laissant son contenu retrouver son écoulement normal. D’un air mystérieux, le magicien sourit et acquiesça, avant de dire de son accent chantant :

– Hayu m’avait prévenu que le fils de nos vies se recroiseraient, Arion d’Alpénas. Il faut croire qu’il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. Je t’en prie, installe-toi.

 Surpris, le jeune homme s’exécuta et vint s’asseoir en face du magicien.

– Vous vous souvenez de moi ?

– C’est réciproque, je crois, non ?

– Vous êtes l’un des rares magiciens que j’ai rencontré de ma vie, ou du moins de ce dont je me souviens. Vous devez rencontrer des gens comme moi tous les jours.

– Sache, tifli, que je me souviens de tous ceux qui viennent un jour demander conseil à mes connaissances.

 À ses mots, l’elfe sorti un jeu de cartes divinatoires, avant de commencer à les placer sur la table, entre lui et Arion. Ce dernier, surpris, bafouilla :

– Je n’ai pas les moyens de payer pour ça…

– Ne t’en fait pas pour ça, je t’offre cette séance. Considère cela comme un suivi de patient. répondit dans un sourire le magicien. Je t’en prie, tire une carte.

 Arion hésita quelques instants, lançant un regard à Fleur d’Épine. La félidée le regardait dubitativement. Il n’y avait qu’à espérer qu’il pouvait compter sur elle si ce magicien lui réservait une mauvaise surprise. Doucement, il tendit la main vers une carte situé au milieu de l’assemblage composé par Massafir, et la tira avant de la regarder. Cette dernière représentait une image légèrement mouvante, représentant une haute tour blanche cerclé de nuages qui dansaient autours d’elle. Après quelques secondes, il la tendit au magicien face a lui, qui la déposa a part.

– La tour blanche. Tu fais route vers Tursil Ansar, n'est-ce pas ?

– En effet, oui… Avec mes compagnons.

– Je vois la félidée derrière toi. Qui d’autre t’accompagne ?

– Paflos, mon… le jeune homme marqua une pause, avant d’ajouter. Mon ami d’Alpénas.

 L’elfe pencha légèrement la tête sur le côté à la réponse d’Arion, laissant ses boucles d’oreille tinter les unes sur les autres.

– Je vois… Oui, je vois… je t’en prie, tire une autre carte. répondit finalement Massafir en passant la main au-dessus du jeu.

 Arion tira alors une deuxième carte. Elle représentait un objet auréole de lumière, flottant au dessus d’une main.

– L’Artefact… murmura l’elfe en se frottant le menton, avant de mettre la carte de côté et reprendre au bout de quelque secondes. As-tu toujours ce papyrus que je t’ai donné lors de notre première rencontre ?

 Surpris, le jeune sorcier chercha sur lui quelques instants, avant de tirer le parchemin de ses poches et de le déplier. Pourtant, au moment de défaire le dernier pli, Arion se retint. Comme s’il craignait de revoir ce symbole. Il referma alors le papier.

– Oui, je l’ai toujours. répondit finalement le jeune sorcier en rangeant le papyrus.

– Garde-le précieusement, Arion. fit Massafir en faisant un geste au-dessus de la table. Il représente un lien avec ton passé, tu ne saurais aller plus loin dans ta quête sans lui. Tire une autre carte.

 Arion acquiesça et obéit. La carte représentait une main venant aider une personne suspendue au-dessus du vide.

– Le secours inespéré... ajouta l’elfe en mettant la carte de côté. Une connaissance te portera une aide dans un moment difficile. Tu dois te préparer à faire confiance, même si cela semble aller contre le bon sens.

 Arion acquiesça en silence. Faire confiance en dépit du bon sens… Est-ce que cela voudrait dire se jeter dans les bras de la Main ? C’était sans doute la chose la plus stupide qu’il puisse faire. Pourtant, il était peut-être le seul à en savoir plus sur lui… À cette pensée, le jeune sorcier secoua vigoureusement la tête. Tout cela n’avait aucun sens. Il n’était pas obligé de croire à la moindre parole de cet elfe qu’il ne connaissait qu'à peine, et dont les seuls conseils ne lui apporta rien de plus qu’un périlleux voyage sans réponse.

– Tire une autre carte, coupa le magicien en montrant de sa main le jeu.

– Je pense qu’on ferait mieux de s’arrêter là, ça ne me mène nulle part, vous ne me menez nulle part…

 Le magicien se fendit alors d’un sourire mystérieux et, d’une voix douce, ajouta :

– Je n’ai jamais prétendu vouloir te mener ou que ce soit, tifli. Mes cartes ne sont pas une vérité absolue, et mon interprétation n’est pas non plus une vérité absolue.

– Alors à quoi sert tout ça ?

– À te guider. Non pas physiquement, mais mentalement. Ce que je te dis, tu en feras ce que bon te semble. Mais soit en certain, toutes mes paroles auront un impact, de près ou de loin, sur ta psyché. Elles te feront réfléchir. Peut-être que suivras-tu mes paroles et ce que les cartes ont dit. Peut-être choisiras-tu de prendre un chemin différent. Mais mes paroles auront le mérite d’avoir éclairé des chemins que ton esprit ignorait sans doute. Tu veux tirer une dernière carte ?

 L’elfe, a ses mots, présenta une nouvelle fois le jeu à son interlocuteur. Arion, lui, regarda quelques instants les cartes restantes. Après tout, ça ne lui coutait rien. Du moins en espérant. Doucement, il en tira une dernière. Elle figurait une grande ouverture, qui couvrait presque l’ensemble de la carte. Tout ce qui se trouvait derrière cette ouverture était plongé dans l’obscure la plus totale, si ce n’est un minuscule point doré, tout au fond de ces ténèbres. Doucement, Massafir s’empara de la carte, et dans un regard à Arion, sourit a la fois mystérieusement et tendrement.

– Le tunnel. Ton voyage sera encore long, semé d’embuches. Tu te décourageras, tu es peut-être même déjà découragé. Mais la persévérance te fera atteindre l’autre bout, et là, ta quête sera terminée.

– Et… je retrouverai la mémoire ? demanda, autant perplexe que craintif, Arion.

– Si tant est que cela soit ton but. répondit mystérieusement le magicien.

 Arion sentit alors une pensée intrusive traverser son esprit de part en part, une pensée qui ne prenait la forme que d’une seule et unique incarnation. Paflos. À cette pensée, et devant le sourire de son interlocuteur, le jeune sorcier ne put s’empêcher de cramoisir, alors que ses yeux se mirent à pétiller dans les mille teintes du crépuscule.

 Massafir se laissa aller à un léger rire monosyllabique, toujours teinté de tendresse. Puis il rangea ses cartes et son sablier, avant de se lever.

– Vous partez ? s’étonna Arion en se redressant un peu.

– J’en ai peur oui. Je devrais déjà être ailleurs, et j’aimerais gagner ma destination le plus tôt possible. Qu’Hayu soit clément avec toi, tifli.

– À vous aussi, Massafir… bredouilla Arion.

 L’elfe lui sourit une dernière fois, puis parti déposer une pièce de bronze sur le comptoir, avant de quitter l’auberge. Fleur d’Épine, qui le suivit du regard, attendit qu’il ait franchi la porte du bâtiment pour se faufiler jusqu’au jeune sorcier.

– Tu connais ce type ? demanda la félidée en s’installant à la place de l’elfe.

– Pas vraiment, non…

– Pourtant tu avais l’air. Il t’a même tiré les cartes gratis.

– Apparemment…

– Même ceux que je connais vraiment très bien, je leur fais pas de passe gratis.

– C’est comme ça…

– Tu me diras rien de plus, c’est ça ?

 Arion resta silencieux, faisant soupirer Fleur d’Épine.

– Bon, quand tu auras décidé de causer, fais-moi signe…

 À ses mots, la félidée retourna à sa place, laissant Arion seul avec ses pensées.

*****

 Malgré son tempérament vif et impérieux, la tenancière de l’auberge reçu les trois voyageurs avec toute l’hospitalité que son établissement pouvait offrir. Après un repas sobre, mais consistant, tous trois montèrent dans leur chambre. La félidée, dans sa logique implacable, avait demandé une chambre séparée. Si elle invoquait les ronflements de ses compagnons de voyage à la tenancière, Arion compris sans difficulté qu’elle désirait laisser de l’intimité à Paflos et lui. Sans doute avait-elle espoir de voir les deux amis concrétiser ce qu’ils avaient amorcé la veille au soir.

 Cependant, tous deux étaient restés très sage, et gagnèrent sans plus de question leur lit. C’était leur première nuit dans un vrai lit, sans personne pour les déranger, depuis leur départ de Windskeep. Pourtant, l’un comme l’autre eurent un mal fou à dormir. Le temps était terriblement lourd, a la manière de ces nuits d’été ou l’orage se fait attendre. La température, pour ne rien arranger, était bien plus chaude que dans les terres montagneuses ou les nuits en plein air qu’ils avaient jusque-là connu.

 Arion tournait et retournait tout contre son ami. Resté collé a lui était difficile, à cause de la chaleur, mais il n’osait pas risquer de s’endormir sans la protection que Paflos était pour son esprit. Pourtant, le sommeil ne venait pas. La chaleur jouait énormément, mais au-delà de son corps, c’était son esprit qui ébullissait. Ce que Massafir lui avait dit trottait encore dans sa tête. Ses prédictions, ses conjectures, et toutes les pensées qui en découlaient. Mais alors qu’il se retournait une énième fois, un murmure le tira de ses réflexions.

– Tu dors ?

 Arion se tourna doucement vers son ami et ouvrit les yeux. Paflos le regardait dans l’obscurité, l’air aussi gêné par la chaleur que lui. Il répondit alors, tout aussi faiblement, comme pour ne pas déranger la nuit elle-même :

– Non, je n’y arrive pas.

– La chaleur ?

– Oui… répondit le jeune homme dans un semi-mensonge.

– Déshabille-toi. répondit simplement l’homme d’armes.

 Arion se sentit alors rougir et détourna le regard.

– Juste pour la chaleur. se rattrapa aussitôt l’intéressé.

 Le jeune sorcier soupira. Lui-même était incapable de dire si c’était de soulagement ou de déception. Pourtant, doucement, il releva le regard vers son ami, et lui dit.

– Je… Je ne crois pas que ce soit une bonne idée…

– Tu as peur de ce qui pourrait se passer ?

 Arion n’ajouta rien, se contentant de se blottir un peu plus conte Paflos. Ce dernier respecta le mutisme de son ami et caressa doucement ses épaules, son dos… Au bout de quelques secondes, il ajouta :

– Ce qui s’est passé hier…

– Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’en parler… trancha Arion.

– Tu regrettes ?

– Non… avoua finalement Arion après quelques instants de réflexions. Est-ce que… Il faut le faire ?

– Le faire ?

 La naïveté de Paflos a cet instant plongea Arion dans une terrible gêne, le forçant a se recroqueviller un peu sur lui-même.

– Ne me force pas à être plus clair…

– Mh… C’est Fleur qui t’a mis ça dans la tête, n'est-ce pas ?

 Le silence d’Arion le trahi sans doute, puisque Paflos enchaina.

– Arion… Je te désire, je crois ne jamais te l’avoir caché. Mais je me refuse de te forcer à quoi que ce soit. Hier, j’ai cru que nous pourrions aller plus loin, toi et moi. Mais si tu ne te sens pas prêt, je respecterai ça, et j’attendrai. Peut-être pour toujours, si tu le décides.

 Le jeune sorcier sentit alors son cœur se serrer. Paflos était sans doute la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis son amnésie, et sans doute de toute son existence. Doucement, il remonta un peu, et l’embrassa sur les lèvres, bien plus chastement que la veille, avant de murmurer un “merci” a son attention.

– C’est normal, Arion… Je refuse de te faire du mal.

– Moi aussi, Paflos… avoua doucement, tristement, Arion.

 Les deux hommes restèrent ainsi quelques instants. La tête du plus jeune lové dans le cou de l’autre. Malgré la chaleur et le temps étouffant, le simple contact de son corps avec celui de son ami apaisait Arion. Paflos avait le corps puissant, musclé, parfumé d’effluves délicieusement viril. Peut-être un peu trop…

– Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas lavé, toi et moi. avoua, un sourire aux lèvres, Arion.

– Je pue ?

– Mh, non… Tu sens, c’est tout…

– On aura l’occasion de se laver à Tursil Ansar…

 Arion acquiesça doucement contre le cou de son ami. Tursil Ansar, la tour Blanche… Alors qu’il l’avait presque oublié, toute sa conversation avec Massafir refit surface dans son esprit…

– Je… J’ai croisé le magicien elfe… avoua alors Arion.

– Le magicien elfe ? s’enquérit Paflos.

– Celui de la fête du solstice, celui qui m’avait convaincu de partir pour Silverberg…

– Quand l’as-tu vu ?

– Tout à l’heure, quand tu étais avec la tenancière… Il m’a tiré les cartes et parlé de mon avenir, de ma quête de souvenir… Il m’a dit de continuer, de parfois suivre la voie qui ne semble pas la plus sage… Ne sait pas quoi en penser…

– Est ce que tu fait confiance a cet homme ?

– Je ne sais pas… Il connaissait mon nom et ne m’as presque rien demandé contre son aide. Mais d’un autre côté, le seul conseil qu’il m’a donné a failli nous tuer plusieurs fois…

 Le jeune sorcier se tut quelques instants, poussant un long soupir, avant de continuer.

– Tu… Tu crois en la cartomancie ?

– Difficile, comme question… Les Dieux ont différents moyens de communiquer avec nous. Certains sont clairs, d’autres sont plus ésotériques. Tout est une question d’interprétation avec la cartomancie. Beaucoup de cartomanciens sont des escrocs. Ils te disent ce que tu désires entendre, dans des termes si flous que ton interprétation suffit à te convaincre. Mais je suis persuadé que certains sont réellement capables de lire dans les cartes.

– Massafir m’a parlé de ça… Il m’a aussi dit que ses paroles n’étaient pas des vérités, juste des conseils. Qu’elles m’aideraient à réfléchir.

– Massafir, tu dis ?

– Oui, c’est ainsi qu’il se fait appeler. Ça te dit un truc ?

– Ayaron me parlait d’un diseur de bonne aventure du nom de Massafir, tout à l’heure. Un elfe, magicien itinérant. Il lui aurait décrit son avenir, qu’il devra protéger deux humains nous ressemblant, lorsque ces derniers croiseront son chemin.

– Seules les montagnes ne se croisent pas… murmura alors Arion.

 Malgré sa réticence, Arion ne pouvait que constater que l’elfe était plus sage, plus mystique, qu’il ne semblait le laisser paraître. Peu être devait-il lui faire confiance…

– Essayons de dormir, fit alors Paflos. Nous ferions mieux de partir avant huit heures , pour arriver à Tursil Ansar au plus tôt.

 À ses mots, l’homme d’armes vint poser un baiser sur le front de son ami, et se cala un peu mieux dans le lit. Malgré l’étouffante chaleur ambiante, la discussion qu’Arion venait d’avoir avec son ami lui avait grandement libéré l’esprit. Rapidement après cela, il parvint à s'endormir.

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