Et si demain, c'était la fin. Mes doigts ne toucheraient plus ce stylo qui couche sur ce papier lisse mes pensées les plus cabossées. Et si demain, c'était la fin. Je ne sentirais plus ce parfum de la vie qui peut être à la fois si doux et si âcre. Mes mains moites s'assécheraient car mes émotions disparaîtraient comme mon corps qui n'aurait plus besoin de me porter. Les gouttes de pluie qui cachaient mes larmes ne feraient plus que rafraîchir la terre qui me surplombe. Et si demain, c'était la fin. Je roulerais ce soir sans savoir où je vais. Car j'aurais enfin cette liberté de profiter du voyage sans le poids d'arriver à destination. 

Je sens la fin au plus profond de mes tripes. La lumière est belle. Elle éblouit mon regard sur le passé et éclaire le moment présent. Je le sens, ce moment présent. Quand hier encore, je le passais à ruminer la veille et anticiper demain. Ce soir je ne ressens que ce qui est. J'entends le chat des voisins réclamer ses croquettes, une voiture passer à toute vitesse faisant vibrer la bouche d'égout, le vent qui pousse mes rideaux à danser. 

Justement, danser. Mon corps qui est si raide des devoirs du quotidien, s'assouplit de l'instant qui ne sera plus. Il ressent l'impulsion de virevolter dans cet instant, de passer d'un rythme effréné à des mouvements souples et lents. Mes vêtements de fer sont devenus soie car mes formes ne sont plus un poids. Elles se sont allégées de mon acceptation de moi.

J'accepte que demain soit la fin. Car je n'ai plus faim de demain. J'ai été tellement gourmande de la vie, que je n'ai pas goûté toutes ses saveurs. J'ai englouti les heures jusqu'à en avoir mal au ventre. 

Mais maintenant que mon âme sera libre de mon corps. Je pourrai me gaver de bonheur sans regrets ni culpabilité.