Chapitre 2 : Réunion attendue (2/2)

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De la foule semblait s’être rassemblée dans chaque coin de la ville Sur les pavés multicolores résonnaient des pas que le tintamarre ambiant couvrait pourtant aisément. Maintes boutiques ceignaient les places, et sur leurs baies vitrées étaient affichées des étendards de forme blanche sur des fonds unis de diverses nuances. Palmiers et aubépines se dressaient dans leur centre autour desquels se trouvaient des étals marchands. Et il nous reste si peu de myrs… Au moins, nous ne sommes pas tentés de dépenser. De ces chapelets de poivron et du maïs se dégageait un parfum prompt à atténuer celui des épices tandis que soie, lin et chanvre faisaient les affaires de joyeux commerçants.

— Voilà l’attrait de cette ville, commenta Vouma. L’on prime le savoir-faire ! Je me souviens que, aussi lointaine puisse-t-elle paraître, sa réputation s’étendait jusqu’à Nilaï ! Contemple le style des citoyens : n’est-il pas unique ?

Suivant la suggestion, Jizo comprit. Beaucoup de citoyens s’habillaient différemment d’autrui pour autant qu’ils en eussent le luxe. Redingotes, houppelandes, pourpoints, amples chemisiers, vestes boutonnées à manches courtes et jupes aux multiples broderies accompagnaient d’épaisses ceintures et des longs colliers. Outre cette disparité se trouvaient des citoyens de plusieurs origines : si la plupart possédaient un teint cuivré, des personnes à la complexion plus claire ou plus foncée peuplaient aussi la ville. Peu de personnes d’origine dimérienne. Normal au nord-est de l’empire, je suppose. Voilà pourquoi on nous dévisage ?

Des chapeaux à plumes rassemblaient la multitude autour d’un accoutrement commun. D’aucuns les échangeaient avec courtoisie, d’autres y étaient trop attachés pour les donner à qui que ce fût. Et quelques-uns, quand ils l’abaissaient, faisaient une déclaration sans équivoque.

Deux jeunes femmes se dressèrent l’une face à l’autre. De la clameur émergea de leur public pendant qu’ils se congloméraient autour d’elles. Même en retrait, Jizo, Nwelli et Taori parvenaient à entrevoir les étincelles grandir dans leurs yeux et leurs nerfs se crisper.

— Que se passe-t-il ? s’alarma Nwelli.

— Nouveaux en ville ? devina un vieil homme à côté d’elle. C’est une tradition. Le duel d’amour, que ça s’appelle.

— Vous voulez dire qu’elles se battent par amour ?

— De quelqu’un d’autre, oui. La séduction est très populaire ici. Pas rare du tout que deux personnes se livrent un duel pour savoir qui mérite d’assouvir sa conquête. La survivante ou le survivant décide.

— Mais c’est insensé ! Ce devrait être à la personne concernée de décider !

— Pas pour les duellistes. Cette tradition est fortement remise en question. Mais comme toutes les autres, on ne s’en débarrasse pas facilement. Si vous aimez la violence, et la danse, regardez. Sinon, passez votre chemin.

Nous avons déjà connu la violence. Hors de question de la qualifier de divertissement. Nonobstant leur révulsion, le trio se retrouva happé par la scène. Une pléthore d’exhortations pleuvaient vers ses deux protagonistes ayant déjà dégainé leur fleuret.

Elles se foudroyèrent du regard. Tournèrent l’une autour de l’autre, leur lame suivant leur déplacement.

— La couarde ose enfin se présenter, tança la première femme. Si tes talents combattifs sont aussi relevés que tes goûts vestimentaires, alors j’aurais tôt fait de te vaincre.

— Ne mésestime pas l’adversité, rétorqua la deuxième femme sur un ton hautain. Je respecte ta maîtrise des armes, voici l’unique compliment que tu entendras de moi.

— Un de plus que ce que je pourrais t’accorder. Nous savons toutes les deux pourquoi nous sommes ici. Une vie d’amour et de passion auprès d’un seul homme m’attend, sauf que tu t’apprêtes à tout ruiner. As-tu une quelconque défense à formuler ?

— Quel en serait l’utilité ? Tu es trop bornée que pour être raisonnable. Quand l’éloquence échoue, nous n’en avons aucune autre possibilité que d’emprunter la voie alternative.

— Pour une fois que tu prononces une parole censée. Je vais faire en sorte que ce soit ta dernière.

Ce disant les deux adversaires braquèrent leur fleuret. Une jambe fléchie, légèrement penchée vers l’avant, bandant leurs muscles, elles ne cessèrent de se fixer. Un mutisme succéda aux encouragements, lors duquel les jeunes femmes inspirèrent et fermèrent brièvement les paupières. Bientôt les armes rentreraient en collision. Bientôt des étincelles germeraient au grand dam de leur public.

— Halte là ! s’interposa un garde coiffé d’un heaume à plumes. On ne s’entretue pas sur la voie publique !

— Quoi ? s’insurgea la première femme. Et nos coutumes, alors ?

— Tant pis !

Une onde de panique submergea les duellistes. Ni une, ni deux, elles rengainèrent leur fleuret et déguerpirent dans deux directions opposées, fortes du passage que leur laissèrent les spectateurs. Le garde héla ses collègues afin de les traquer, et la poursuite s’étala bien au-delà de la place initiale.

Jizo, Taori et Nwelli en restèrent déconcertés. Ce garde a sauvé une des deux vies, même si elles sont arrêtées par après. Ils restèrent immobiles des secondes durant, se consultèrent avec perplexité. Enfin, focalisons-nous sur la recherche de mes parents. Nous avons encore un long chemin à faire. Ils avisèrent le dispersement de l’affluence parmi laquelle une minorité pestait contre l’annulation du combat. Ils aiment le sang tant qu’ils ne doivent pas le verser…

— Un divertissement de manqué, regretta Vouma. Lassé de cette distraction, Jizo ? Hélas, trouver aisément tes parents m’est hors d’atteinte. Mais merci de m’offrir cette visite d’un des joyaux de l’Empire Myrrhéen !

Une grimace dépara la figure du jeune homme tandis qu’il s’engageait dans la rue à sa gauche, Taori et Nwelli sur ses talons.

Ils visitèrent la cité des heures durant. D’un quartier à l’autre apprirent-ils à connaître ses moindres recoins, surtout les auberges bien qu’ils y restassent courtement. Inutile d’attirer l’attention sur eux, ni sur nous. Je me souviens de leur visage. Ces établissements s’élevaient tant en hauteur qu’ils en étaient impressionnés, eux qui étaient accoutumés à les voir frôler le pavé des rues. Il régnait une intérieur chaleur dans chacune d’elles comme ils s’imprégnaient des moutons farcis et des rôtis de silure garnis de riz ou de maïs. Nous mangerons en temps voulu.

Le soleil descendait nettement vers le ponant tandis que l’éreintement les usait. Ils avaient visité près d’une dizaine d’auberges sans apercevoir la moindre trace de leurs parents. Aussi effleurait l’envie de s’allonger alors que leurs oreilles bourdonnaient. Aux alentours se produisaient danseurs, ménestrels et autres jongleurs, que les citoyens gratifiaient avec plaisir de quelques myrs.

Eux ne font de mal à personne. Et si la magie était légale dans l’empire, nul doute que ce serait encore plus animé. Heureusement aussi que Taori a appris à dissimuler sa magie. Et qu’il n’y a personne d’aussi puissant que Nafda pour la détecter…

Plus le temps s’écoulait et plus ils perdaient espoir. Le crépuscule approchait et avec lui l’envie d’atermoyer la recherche. Dans le nord de la ville, ils repérèrent alors une auberge nommée « À la bouteille fondue ». Une terne nuance brune peignait les murs effrités cernant la poussiéreuse baie vitrée, par-delà laquelle ils observèrent une clientèle étrangement placide. L’endroit ne paie pas de mine, on est loin du niveau du reste de la cité. Justement le lieu parfait pour s’établir quand on veut être discret.

Jizo, Nwelli et Taori franchirent la basse porte et pénétrèrent au sein de l’établissement. D’emblée ils notèrent combien le plancher glissait avant de remarquer l’empyreume s’exhalant des alcools fruités. Ils purent progresser entre les tables hexagonales sans être dévisagés. Ils passèrent même inaperçus de prime abord, puis deux silhouettes émergèrent du fond de la salle.

Le cœur du jeune homme battit à haut rythme. Ce sont eux… après toutes ces années. Ils sont là. Juste devant moi. Une femme d’âge moyen, à la peau pâle, aux yeux bridés, ses cheveux bruns flottant à hauteur de sa nuque. Jamais Jizo ne l’avait vue accoutrée d’une veste dont une ligne oblique séparait le rouge du bleue, tout comme d’un pantalon mauve sous sa ceinture en cuir munie de deux haches argentées. Un homme au profond regard, aux larges yeux azurs, une queue de cheval rousse dévoilant un visage amène doté d’un bouc. Jamais non plus Jizo ne l’avait aperçu avec une veste mordorée à large capuche où s’accrochaient épaulières et brassards, mais il reconnaissait son arc à double courbure.

Il les avait déjà trop détaillés. Ses parents l’enlacèrent tout de go, des larmes creusant des sillons dans leurs joues, chérissant un contact perdu depuis si longtemps. Ils sont présents, bien réels. Ils ne m’abandonneront plus. Jizo avait enfoncé sa tête sur leurs épaules. Il avait savouré cet instant de retrouvailles, si désiré, si atermoyé. Et il ne s’en détacha qu’au moment où un ressentiment lui fendit l’esprit.

— Oh, mon garçon ! se réjouit Wenzina entre deux sanglots. Tu nous as tellement manqués !

— Nous sommes tellement navrés, fit Tréham. Nous te devons beaucoup d’explications…

— Je les écouterai, affirma leur fils. Profitons d’abord de ce moment…

— Bien sûr… C’est juste que nous ne nous attendions pas à te voir ici. Tu étais si impatient à l’idée de nous retrouver ?

— Oui. J’avais assez attendu. Et toutes ces années à ruminer, à espérer, à…

Nwelli devança son ami afin de prendre la parole :

— J’étais esclave avec lui, avoua-t-elle. Je m’appelle Nwelli. Nous avons subi le même calvaire et nous avons survécu. Et je suis enchantée de vous rencontrer.

— Nous sommes ravis de vous connaître aussi ! s’exclama Wenzina, passant du myrrhéen au dimérien sans accent notable. Qui est votre autre amie ?

— Je m’appelle Taori, révéla la mage. C’est… tout ce que j’ai à dire pour le moment.

— Très bien, accepta Tréham. Asseyons-nous, commandons à boire. Nous allons raconter ce qui nous a retenus durant si longtemps… Ainsi que la raison pour laquelle ce moment devait encore être retardé.

Jizo fronça les sourcils et les sourires disparurent. Une part de moi leur en veut encore… Est-ce que leur excuse me satisfaire. Sitôt qu’ils firent volte-face, Tréham héla l’aubergiste pour quelques rafraîchissements et collations, et des serveurs déposèrent des chaises pour l’entièreté du groupe. Hormis Vouma qui resta à l’écart, mains jointes derrière le dos, examinant les parents de Jizo sur toutes les coutures.

— Ils sont charmants, déclara-t-elle. Nous n’aurions certainement pas eu une rencontre amicale s’ils nous avaient trouvés lorsque vous étiez encore esclaves. C’est d’un esprit sage et pondéré que je te conseille donc de les pardonner.

Quelle est cette suggestion ? Elle ne se tait décidément donc jamais.

Le trio se désaltéra alors au rythme du récit de Wenzina et Tréham. Une épopée si éloignée de leur propre lutte pour la survie, alors qu’ils s’étaient dirigés vers de tout autres conflits. Une exploration en dehors même du continent, rappelant aux plus jeunes leur séjour dans les îles Torran, même si l’issue avait été moins positive. Jizo ne cessa à aucun moment de prêter l’oreille en dépit des questions qui vagabondaient dans son esprit.

Au-delà des erreurs du passé se rapprochaient la lutte du présent dont ils s’apprêtaient à connaître les tenants et aboutissants.

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