Chapitre 10 : Anciens et nouveaux alliés (2/2)

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La gorge de Horis se noua au moment où Salagan le dévisagea. Des tressaillements le parcoururent sans le ralentir dans sa cadence. Tôt ou tard, il savait que ces retrouvailles devaient survenir, que les querelles d’antan se dissiperaient dans l’inextinguible chagrin. Pas après pas s’atermoyait le dialogue. Médis et Milak restèrent derrière lui, cédèrent leur parole au vu de la nécessité.

Le blâme persistait dans la mine revêche de Salagan.

— Tu es enfin revenu, déclara-t-il sèchement.

Horis contourna une cliente pour mieux faire face à son ancien mentor. Avec une telle proximité, il déplora combien sa figure s’était parcheminée, et combien son corps s’était fragilisé. C’est fini. Le bonheur s’est éteint en lui, il se content d’exister.

— À notre dernière rencontre, poursuivit Salagan, mon fils n’était déjà plus, mais Yuma vivait encore. Elle s’était séparée du clan sans me prévenir… Et maintenant, elle est morte.

— Et vous allez dire que c’est de ma faute ? Vous pensez que je n’ai pas déjà culpabilisé ? Que je n’ai pas pleuré des nuits entières ?

— Médis m’a raconté comment les choses se sont déroulées. Yuma t’a fait confiance jusqu’au bout en te confiant notamment ses plus lourds secrets. J’aimerais ressentir la même chose, mais c’est impossible.

— Pourquoi ?

Salagan préférait encore fixer son chien que de soutenir le regard de son ancien protégé. Il me considère ainsi maintenant. Comment lui en vouloir ? Médis et Milak implorèrent sa parole de grands gestes de la main, aussi le vieil homme retourna vers Horis, quoique ses yeux s’étaient plissés.

— Je t’ai vu grandir, déclara-t-il. J’ai très vite cerné ta personnalité : impulsif mais résistant, prêt à tout pour accomplir sa vengeance. Je pensais que mes enseignements t’apprendraient la patience comme tu gagnerais en maturité. Quand tu as foncé tête baissée, après avoir assassiné Whalis, tu m’as profondément déçu.

— Je reconnais avoir agi sous le coup de l’émotion, dit Horis. Mes habitudes m’ont poursuivi après la mort de Yuma. J’essaie de les combattre, mais c’est une part de moi-même qu’il m’est difficile de changer.

— Mon reproche se situe ailleurs. À ton avis, pourquoi ai-je employé ces termes ? Au lieu de venger Igdan et Yuma, tu aurais dû les sauver. Voilà ton problème, Horis : tu agis toujours trop tard. Et nous en payons le prix.

— Tous ces détours pour me tenir responsable. Salagan, croyez-moi, si j’avais pu les secourir…

— Cela n’a plus d’importance. Le passé est passé.

— Les vrais coupables sont ailleurs. C’est à cause des forces de l’empire et des insurrections mal dirigées que…

— Des forces indomptables sont à l’œuvre, en effet. Une tempête de sables contre laquelle tu t’es jeté aveuglément. Et pour quel résultat ? L’impératrice et ses miliciens sévissent toujours. Cités et villages ont été embrasées. Es-tu la menace qu’ils craignent tant, Horis ? Toutes les personnes qui t’accompagnent finissent par mourir.

— Faux ! contesta Milak. Nous sommes encore là !

— Pour combien de temps ?

Horis interrompit Salagan par son soupir. Lequel en fronça les sourcils, si apathique que le mage aurait préféré une plus vive colère. Immobile face au mentor de naguère, impuissant contre ses propos, le jeune homme s’apprêtait déjà à faire volte-face.

— Je suis désolé, murmura-t-il. Navré que vous me détestiez. Je ne voulais pas vous décevoir. Mais je dois aller de l’avant, poursuivre mon combat.

— Je n’en ai plus rien à faire, répliqua Salagan. Cette guerre ne me concerne plus. Le clan Iflak n’avait plus aucune raison d’exister si nous ne pouvons plus vivre dans les magnifiques montagnes d’Ordubie. Mon esprit ne s’alourdira pas d’aucune haine à ton égard, Horis. Tout ceci est derrière moi. Je remercie tes amis de m’avoir aidé lorsque nous en avions besoin. Maintenant, je veux juste la paix.

Sonnait l’heure de l’abandon. Celui de Salagan, au nom d’un passé rejeté, désormais un humble marchand de Vur-Gado. Celui de Horis, inapte à se réconcilier avec son modèle, contraint de voguer vers d’autres horizons. Il s’était rembruni en rejoignant ses amis, qui l’épaulèrent d’une mine tout aussi atterrée. De silencieux adieux furent prononcées quand ils s’éloignèrent de l’ancien nomade plongé dans sa nouvelle vie.

Il est encore vivant, et pourtant je l’ai perdu.

Ils vagabondèrent des minutes durant sans piper mot. À plusieurs reprises, Médis et Milak s’échinèrent à dialoguer avec Horis, mais ce dernier se repliait à chaque fois. Une part de lui-même semblait s’étirer derrière lui pour à jamais s’en détacher, ce pourquoi il cheminait avec nonchalance. Il ignorait même où il se dirigeait puisque son amie n’avait rien dévoilé.

Et alors qu’ils bifurquèrent à l’est, désireux à l’idée d’une once de répit, une jeune fille débarqua à l’improviste. Au soupir agacé de Médis s’immobilisa Horis qui la rencontrait pour la première fois. Donc elle la connait… De petite taille, de silhouette fuselée, ses yeux marrons et bridés s’inscrivaient sur ses traits juvéniles. Sa carnation sombre détonnait avec la clarté de sa veste croisée d’ambrée et d’éburnée comme un souple pantalon en laine soulignait la finesse de ses jambes. Elle se mouvait avec tant de fluidité que chacune de ses foulées ressemblait à un bond, durant lesquelles ses boucles d’oreille triangulaires. Elle penchait tant la tête que les mages peinèrent à la fixer correctement. L’enthousiasme de la jeunesse. Et je ne suis pas beaucoup plus vieux qu’elle.

D’un bras tendu se proposa le salut.

— Ségowé Gondiana ! se présenta-t-elle avec allégresse. Si mon nom t’est familier, rien d’étonnant, puisque je suis la jeune sœur de Noki ! Bien évidemment, je l’épaule pour les tâches nécessaires. Je suppose que tu es Horis Saiden lui-même !

— Ne parle pas si fort, suggéra Médis. Je te rappelle qu’il est recherché partout dans l’empire. En l’absence d’avis de recherche, j’en remercie ta sœur, il peut se faire discret.

Un brin gênée, Ségowé recula, joignit ses mains derrière le dos.

— Mes excuses, fit-elle. Ça ne se reproduira plus.

— Tu nous a fait peur, reprocha Milak. Tu nous as suivis ?

— Oui. Je ne voulais pas m’ennuyer, toute seule ! Veha écrit peut-être des récits passionnants, mais ses conversations sont parfois ennuyeuses.

— Tout seule ? s’étonna Médis. Nous étions en route pour nous entretenir avec Noki.

— Elle est partie avec quelques troupes vers le nord. Je voulais vous prévenir, aussi ! C’est le moment idéal pour la chasse aux esclavagistes qui hélas sévissent encore en Kishdun. Des arguments lors de notre inévitable entretien avec l’impératrice.

— Ne nous inclus pas là-dedans.

Horis voulut protester, toutefois les mots se calèrent dans sa gorge. Il restait à l’écart même si mentionné, témoin d’une scène dont les perspectives l’échappaient. Toujours ses pensées se fixaient vers ses remords alors que l’objectif n’était plus insaisissable.

Quel est le plan, au juste ? Si l’impératrice se rapproche, ne pourrais-je pas tenter de l’assassiner ? Cette fois-ci, je mettrais tout en œuvre. Horis gambergeait encore lorsque Ségowé reprit la parole :

— Restons sereins ! Nous aurons tout le temps d’en discuter quand les circonstances l’exigeront. En attendant, et si nous en visitions Vur-Gado ?

— Nous en avons déjà exploré une partie, dit Médis. Mais c’est la première fois que notre ami se rend à Vur-Gado. Ce serait un plaisir de revoir certains temples, édifices et monuments.

— Voilà ce que je désirais entendre. C’est parti !

Et la jeune fille débordant d’énergie cornaqua les mages dans les profondeurs de Vur-Gado. Soufflant, haussant les épaules, Horis se laissa porter par la cadence en dépit des douleurs de ses jambes. Bientôt je me reposerai. D’abord, j’ai envie de penser à autre chose… Pour mieux savoir comment agir par après.

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