Chapitre 20 : Au secours des uns

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JIZO


La fin ne semblait pas si proche lorsqu’on redoutait davantage celle d’autrui. Chaque fois que Jizo s’endormait, c’était l’image de Taori qui émergeait. De cette netteté il distinguait l’aura dont elle était nimbée même si la détresse enténébrait son expression. Le profil de la mage se détachait au sein d’un cadre dépourvu de contours. Impossible de savoir où elle se situait, ni même à quel moment : seul éblouissait l’astre diurne.

Le plus frustrant, c’est que dans l’état actuel, je suis incapable de la sauver.

Pas si je meurs.

Plus les heures s’écoulaient et plus s’affaiblissaient les espoirs. Outres les rêves lancinaient des douleurs bien réelles. Tant la soif que la faim le tenaillaient, et les chaînes écorchaient sa chair au-delà du raisonnable. Dans cette cellule où régnait un âpre empyreume, où la lumière n’était pas bienvenue, les lamentations comblaient le silence.

Nwelli endurait cette géhenne. Ses parents. Et, qui qu’ils fussent, Kwanjai, Audelio et Sandena ne le méritaient certainement pas.

Une lente torture sans qu’ils aient à lever le petit doigt. Astucieux et sadique. Et ils ont la conscience tranquille malgré tout. Maintenant je comprends mieux pourquoi Taori n’osait pas parler de ses géniteurs. Il y a de quoi avoir honte… Maman, papa, je regrette tout ce que j’ai pu vous dire.

— Tu aimes Taori, n’est-ce pas ? demanda Vouma sur un ton guilleret.

Le long de ses membres engourdis circulait malaisément son sang. Faute d’être soignées, ses plaies se cicatrisaient en disgracieuses ecchymoses. Aucune de ces douleurs ne le houspillait autant que l’ancienne maîtresse, triomphante comme à l’accoutumée au milieu de la salle.

— Admets-le et ton esprit s’allègera. Ne te tracasse guère, mon cher, je ne suis pas si jalouse. Elle me terrifie un peu, certes, mais je sais qu’elle ne pourra pas m’atteindre car nos esprits sont liés à jamais.

Une migraine poignit soudain, crispant encore plus le jeune homme. L’absence d’éclairage l’empêchait de chercher un soutien visuel auprès de son amie et de ses parents. Et sa voix éraillée ne se propagerait que faiblement.

— Et bien sûr, tu continueras de ne pas me répondre, il ne faudrait pas que papa et maman croient à ta folie ? Je n’en ai cure, je persisterai dans ma loquacité ! Je disais donc que, le plus souvent, devant moi, tu exprimes de la lassitude. Savoir que je suis insupportable n’est pas très flatteur. Mais la vérité, c’est que tu as surtout peur.

Jizo s’aperçut opiner instinctivement du chef. Comment lui donner tort ? Elle me frappe juste là où ça fait mal.

— Une peur irrationnelle, peut-être ? Tu estimes, sans doute à tort, que tu as souffert du temps où tu vivais avec moi. Au début, tu étais terrifié chaque fois que je me rapprochais de toi, avant de te résigner à ton sort, et puis de te trahir. D’une manière ou d’une autre, cela a affecté ton rapport avec les autres. Voilà pourquoi tu as rejeté les avances de Nwelli. Voilà pourquoi tu n’as encore rien fait avec Taori alors que vos sentiments transparaissent !

Quand va-t-elle cesser ? Ah oui, quand je serai six pieds sous terre. Quelques gémissements s’échappèrent du jeune homme, aussi Nwelli lui coula un de ces tendres regards dont elle avait le secret.

— Nous y sommes presque, murmura-t-elle. Je ferai la différence. Je me rendrai utile.

— Elle te soutient encore même si tu l’as reléguée au rang de simple amie ! Et elle n’est même pas jalouse de Taori ! Elle acceptera votre réunion quitte à être au second plan ! Soit… Tu veux retrouver Taori ? Je t’aiderai. Je suis de bonne volonté, non ?

Cette fois-ci, Jizo se garda bien de toute approbation. Nwelli a accepté que je n’étais pas amoureux d’elle. Elle est très heureuse que nous soyons de précieux amis. Il détourna ls yeux en escomptant la disparition de cette pernicieuse présence. Elle, au moins, accepte, ne cherche pas à me contrôler. C’est à elle que je mise sur l’avenir.

Ensemble, nous délivrerons Taori.

Au moment où Kwanjai avait proposé son surin en dernier recours, peu avaient cru en la faisabilité de son plan. Nwelli s’était érigée comme l’exception. Sur son visage avaient fendu des ondes de détermination exhortant le pirate à lui envoyer la lame.

Elle avait réussi. À l’épatement de tout un chacun, en particulier de Vouma. Ses bras sanguinolents avaient coulissé le long de ses chaînes desquelles elle s’était délivrée. Au prix de la lame en elle-même, brisée sous le choc. Bien qu’elle s’effondrât ensuite sur le sol, Nwelli rampa quelques instants, le temps de se redresser. Debout, sa stabilité était fluctuante. Libre, les perspectives se dessinaient. De quoi étirer les lèvres crevassées de Jizo, qui aurait seulement souhaité mieux distinguer son amie.

— Je suis désolée pour le surin, déplora-t-elle.

— Cantonnons-nous au plan de départ, suggéra Kwanjai. Si les gardes ont été corrompus, comme nos geôliers l’ont dit, il vaut mieux retrouver mon équipage. Ils doivent être proches. Sinon, dirige-toi vers le sud de la ville et longe les côtes. Repère le bateau avec deux poignards croisés sur le voile. Ce sont eux.

— Très bien. Le temps nous est compté. Je reviendrai dans quelques heures. J’en fais la promesse.

Nwelli reçut l’appui de chacun des captifs. Leurs traits se plissèrent face à la lenteur de sa cadence. Des chuchotements peinés se diffusèrent, notamment de la bouche de Sandena et Audelio. Ce pourquoi Jizo compensa par des encouragements tandis que son amie clopinait jusqu’à la porte. Des forces dont elle disposait, lancinée tout entière, elle s’ingénia à l’ouvrir et pénétra dans le couloir.

Plus qu’à attendre.

— Et c’est tout ? ironisa Vouma. Ainsi s’exprime ta confiance aveugle envers Nwelli ? C’est ridicule, tu ne trouves pas ?

— Je t’interdis de l’insulter, marmonna Jizo.

Aussitôt regretta-t-il d’avoir cédé, puisque ses parents le dévisagèrent. Il feignit cependant d’avoir parlé afin d’éviter de gênants questionnements. Les secondes passèrent et le mutisme persistait à l’instar de l’ancienne maîtresse.

— J’aime quand tu répliques, enchaîna Vouma, ça te donne du mordant. Cependant, je ne te demande pas grand-chose, juste de visualiser les faits et de laisser tes sentiments de côté. Tu es plus fort que Nwelli. Tes parents le sont aussi. Pareil pour Kwanjai. Hé, peut-être même que les duellistes le sont ! N’importe lequel d’entre vous était un meilleur candidat qu’elle pour aller chercher de l’aide. Malgré tout cela, personne n’a protesté. Êtes-vous stupides ?

Jizo s’adossa sur le mur, l’un des rares mouvements que sa condition autorisait. Je vais économiser ma salive. Sinon ma soif risque de me porter encore plus préjudice. Vouma n’en vaut pas la peine. Elle n’en a jamais valu la peine.

— Nwelli l’a avouée elle-même. Elle voulait servir à quelque chose ! Incapable de se dérober de mon mari. Incapable de se battre par elle-même, tu as dû l’entraîner ! Et même là, elle n’a pas été un soutien de taille. La simple perspective de faire couler le sang l’attriste ! Nwelli n’est qu’une victime qui jamais ne brillera. Ce à quoi nous avons assisté était sa pathétique tentative de prouver sa valeur. Et cela se soldera très probablement par un échec.

Nulle réponse ne fusa de Jizo bien que ses yeux jetassent des éclairs à l’intention de Vouma. Elle prétend être mon allié et m’inflige des souffrances dès que les circonstances tournent en sa défaveur. À peine perçut-il les lamentations d’Audelio et Sandena, pour qui les espoirs s’affadissaient. Ils doivent avoir confiance. Kwanjai, Wenzina et Tréham patientaient sans piper mot, observant le seuil de temps en temps. Eux croient aux capacités de Nwelli. Vouma se fourvoie, et donc je comprends mieux. Elle a peur. Si Nwelli échoue, nous mourrons, et donc elle aussi. Dans le cas contraire, elle l’aura sous-estimée, touchée en plein dans sa fierté. Perdante quoi qu’il arrive.

— Elle s’est sûrement effondrée. Écroulée de fatigue, et elle déclinera en même temps que vous ! C’était à toi de les secourir, Jizo ! Je t’aurais encouragé jusqu’au bout, je…

L’interruption s’avéra abrupte. Comme si le poison s’était atténué en un instant. Figée, ankylosée, Vouma fixa longuement l’ancien esclave, après quoi elle ne prononça plus quoi que ce fût. Son unique arme était la parole depuis la perte de son corps physique. Efficace et incisive, peut-être, mais en abusant, elle l’a rouillée plus tôt que prévu.

L’avenir lui donna tort par surcroît. Vouma avait disparu de la vue de Jizo depuis longtemps au moment où la porte s’était ouverte à la volée. D’interminables heures, lors desquelles les espérances des prisonniers avaient été mises à rude épreuve, avaient trouvé concrétisation. Ni la faim, ni la soif ne les avaient achevés en dépit de leur désastreux état. Une fine lueur jaillissant soudain, dévoilant une demi-douzaine d’arrivants.

— Maintenant, avant qu’il ne soit trop tard !

Jizo était trop fatigué pour reconnaître directement la voix. Toutefois son esprit rassembla les morceaux et la mémoire matérialisa l’essentiel. Decierno. Le second de l’équipage. Ils sont bien venus. Des lames vibrèrent à l’unisson, tintèrent en ripant contre le métal. Bientôt tombèrent les chaînes ayant restreint les captifs. Bientôt s’introduisit la saveur de la liberté manquée.

Malheureusement, Jizo réalisa bien vite sa fragilité. Car ses jambes flageolèrent sitôt qu’il se remit debout, ce qui survint aussi à ses parents. Seul Kwanjai se mouvait normalement même s’il prenait appui sur une de ses camarades. Les autres prisonniers l’imitèrent, requirent le soutien des pirates, lesquels enroulèrent prestement les bras autour de leur taille. Battant des cils, serrant les dents, Jizo ponctua sa sortie d’un soupir.

Nous y sommes. Plus besoin de se lamenter, désormais. Immergeons-nous de nouveau dans le monde extérieur. Rattrapons le temps perdu.

Jizo inhala une salve d’air frais, prompt à le faire frissonner. Les pirates les avaient guidés par-delà une série de marches surannées, disloquées par endroit et d’un grès anthracite. De cette même pierre se paraient les murs lézardés et aux brèches clairsemées. Ils cheminaient clairement à l’intérieur d’une forteresse, pourtant aucun plafond ne s’érigeait par-dessus leurs têtes, comme s’il avait été arraché lors d’un passé oublié.

Une fois encore, ils nous ont sauvés. Proche de s’extirper du bâtiment délabré, Jizo put enfin associer le visage au nom des pirates. La capitaine Nidroska, à la peau brune et au foulard smaragdin, dont les longues mèches de jais contrastaient avec le jaune étincelant de sa veste à moitié boutonnée. Le second Decierno, un jeune ténébreux à la longue barbe, au teint beaucoup plus clair que sa supérieure, favorisant toujours un chemisier à col roulé. Seul un cache-œil, absent lors de leur dernière rencontre, ternissait sa beauté. Liliath, aux cheveux fauves et torsadés, certes petite et mince, et pourtant embrassant sans hésiter cette vie. Et je suis encore trop faible que pour les remercier…

Subir plutôt qu’agir. Il y avait des moments où l’on se contentait d’apprécier l’aide d’autrui, des alliances jugées improbables malgré le passage du temps. N’eût été son épuisement doublé de l’effet des plaies, peut-être Jizo aurait su cheminer en pleine forme. Au lieu de quoi fut-il disposé sur un lit verdâtre à l’instar de ses compagnons. Obombrés par la canopée d’une myriade d’érables, caressé par le vent auroral. Cette simple sensation supprima bien des douleurs.

La suite se déroula avec lenteur. Les pirates s’affairaient de part et d’autre, remplissaient chacun une tâche à leur portée. Une large fraction de l’équipage s’était amenée, et comme beaucoup avaient une formation médicale nécessaire au vu des dangers de leur existence, ils s’unirent pour les rétablir. D’une part ils soignèrent et pansèrent plaies et ecchymoses, d’autre part ils leur fournirent de l’eau fraiche et de la viande sèche. Tout le temps qu’on les requinqua, atténuant les lamentations, l’ancien esclave n’eut qu’un murmure ne cessant de sourdre :

— Où est Nwelli ? Où est Taori ?

Une partie de lui rencontra incessamment l’apaisement. Il avait suffi de ce délai pour que Nwelli se précipitât vers ses compagnons. La cicatrisation, fût-elle physique ou mentale, ne s’opérait guère en un claquement de doigts, mais la jeune femme était revitalisée. Si bien qu’elle s’accroupit de ses amis dont elle s’enquit. Sandena et Audelio grignotaient, Wenzina et Tréham sondaient leur environnement, Kwanjai s’ébahissait avec ses camarades.

Quant à Jizo, il contempla Nwelli jusqu’à la prunelle de ses yeux. Je n’ai jamais douté d’elle. Contrairement à toi, Vouma. Reste cachée, nous nous en porterons tous mieux. Un regard, un sourire. Elle avait posé ses mains sur ses genoux et coulait un coup d’œil de semblable teneur à Jizo.

— Je craignais d’être arrivée trop tard, dit-elle en s’épongeant le front. Mais vous êtes là, sains et saufs.

— Grâce à toi, remercia Jizo. Tu sais, Nwelli, je n’ai jamais douté de ton utilité.

Nwelli passa quelques mèches de cheveux derrière son oreille, ponctuant son geste d’un rire gêné. Il n’y a rien d’outrecuidant à reconnaître ses talents. Durant plusieurs secondes, elle se focalisa uniquement sur Jizo, avant de balayer l’hétéroclite regroupement.

— Voyons voir, songea Audelio. Des pirates, des mercenaires, des exilés, des aventuriers. Tout ceci me paraît bien insolite !

— Les maîtres de la mer, qu’ils s’appellent ! renchérit Sandena. Je m’appelle Sandena Guino, célèbre ménestrelle de la vibrante cité de Lunero Dogah ! À qui avons-nous l’honneur ? D’ordinaire, ce ne sont pas les pirates qui volent au secours des jolies musiciennes.

D’un grognement le duelliste signala son mécontentement, bien qu’il fût sciemment ignoré. Nidroska choisit ce moment pour se mettre en exergue. Discrète jusqu’alors, elle sollicita ses membres d’équipage conglomérés autour d’elle. Elle plaqua ses mains contre ses hanches, aussi Liliath en profita pour glisser la sienne au niveau de ses hanches.

— Par où commencer ? lança-t-elle avec enthousiasme. Mon prénom, c’est Nidroska, mais la plupart d’entre vous le savaient déjà !

— J’ai le privilège de pouvoir l’appeler autrement, glissa Liliath en dodelinant.

— Et vous nous avez sauvés, reconnut Jizo. Pour la deuxième fois. Nous ne vous en demandions pas tant… Mais vous étiez notre dernier espoir.

— Nous n’abandonnons jamais des camarades dans le besoin ! Nous vous considérons tel quel même si des prisonniers, seul Kwanjai appartient à notre équipage.

— Une chance que nous étions à proximité ! reprit la capitaine. Ceci dit, nous avions fouillé en plein cœur de la ville alors que ces salauds vous avaient retenu à l’extérieur. Nwelli a été bien courageuse de nous trouver, elle est plus forte qu’elle n’y paraît ! Il s’est passé beaucoup de choses depuis notre dernière rencontre…

Jizo et Nwelli acquiescèrent puis se rembrunirent en avisant derechef l’œil manquant de Decierno. Lui qui recevait tant de pitié se contenta pourtant d’acquiescer les épaules. Une souffrance passée dont il s’est remis. Quand s’achèvera la nôtre ? Cependant, son sourire s’était affadi, tout comme celui de Liliath, comme ils s’étaient aperçus des lourds sujets ayant rejailli.

— Tant de choses en effet, marmonna Decierno.

Ils avaient assez retardé l’inévitable. En l’absence de contexte, des flots d’incompréhension continueraient de flotter entre les deux groupes.

Il était des récits dont l’impact s’alourdissait chaque fois qu’ils étaient narrés.

Nidroska et Decierno n’eurent certes aucune peine à raconter le leur, mais tout en écoutant, Jizo et Nwelli gambergeaient déjà sur la manière de s’épancher. Au moins les péripéties des pirates leur permirent de se changer les idées. Après avoir rencontré Wenzina et Tréham, après s’être séparés de Docini dans un adieu déchirant, les rafales avaient gonflé leurs voiles dans la direction septentrionale.

Et dans leur sillage s’était opposé un autre équipage pirate, aux ambitions beaucoup plus belliqueuses. Ce fut avec effervescence, cumulé à de démesurées imitations, que Liliath raconta comment ils les avaient battus, bien que quelques-uns s’étaient esbignés à la nage. Fort de ses richesses, leurs désirs d’exploration s’étaient ensuite portés vers Zelora et Lunero Dogah. Au sein de cette ville saturée de promesses s’étaient étalés des merveilles… et avec elles s’étaient ravivées de vieilles rivalités.

Leur propre histoire fut narrée différemment. Pas d’enthousiasme ni de diligent débit, juste la dureté d’articuler le fond de leurs pensées. Plus Jizo et Nwelli progressèrent dans les événements et plus des larmes roulèrent sur leurs joues. Quand vint le moment de raconter le tragique sort de Larno, ils s’alternèrent encore plus rapidement, souvent incapables de prendre la parole plusieurs minutes durant. Ils s’étaient alors encore fourvoyés en imaginant ne plus pouvoir perdre personne. L’absence de Taori, fût-elle réparable, avait amplifié leurs craintes.

Un long soupir ponctué de sanglots conclut le tout. C’était encore plus pénible que je ne l’avais anticipé. Frottant leurs paupières, Nwelli et Jizo constatèrent qu’ils avaient contaminé autrui. De traits moroses se propagèrent d’un pirate à l’autre, ainsi que l’illustrait Liliath, pleurant sur les épaules de sa capitaine.

— Il était si fort et si adorable en même temps, déplora-t-elle. C’est injuste… Personne ne devrait mourir à cet âge.

— Ça a dû être horrible pour vous, ajouta Nidroska. Je suis désolée…

— J’ai culpabilisé. Je me suis senti impuissant. Hélas, nous ne pouvons pas retourner en arrière, changer nos choix pour éviter nos erreurs. Je dois assumer… et avancer en conséquence. Peut-être qu’Irzine ne me pardonnera jamais.

— Les autres anciens réfugiés vivent en paix, espérons. Une maigre consolation pour vous, sans doute…

Nous sommes contents pour eux. Espérons qu’ils aient trouvé le bonheur loin de chez eux. Jizo et Nwelli n’avaient cessé de se rembrunir. Au défilement des minutes s’améliorait cependant leur forme. Ils savaient se déplacer sans faire crisser leurs muscles ni ouvrir leurs plaies. S’approchèrent Wenzina et Tréham malgré tout, désireux de s’assurer que leurs blessures disparaîtraient pour de bon.

— Vous avez vécu plus que beaucoup, murmura Wenzina, effleurant la joue de son fils. Malheureusement, il restera toujours des choses contre lesquelles il est impossible de lutter. Maintenant que nous sommes ensemble, Jizo, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour délivrer Taori.

— Nous nous rattraperons pour nos erreurs passées, affirma Tréham.

Des rayons de soleil perçaient à travers la canopée, prodiguaient une lueur supplémentaire sur la figure des parents de Jizo. Je peux leur pardonner. Ils sont de bonne volonté. Et ils m’ont tellement manqué. Le jeune homme entreprit de les enlacer, toutefois le geste s’avorta sous l’effervescence soudaine des duellistes.

— Nous vous accompagnons aussi, décréta Audelio. Si vous le voulez bien.

— Notre indéniable talent au combat vous sera utile ! lança Sandena. Et ma musique vous détendra.

— Elle nous cassera les oreilles, plutôt.

Sandena flanqua un coup de coude à Audelio sous l’œil dubitatif de Nwelli, à qui Jizo se joignit aussitôt.

— Ce voyage sera périlleux, avertit-elle sur un ton plus sombre qu’à son accoutumée.

— Nous en sommes conscients, concéda la ménestrelle. Qu’est-ce qui pourrait être pire que d’être incarcéré dans l’obscurité, sans boire ni manger des jours entiers ? Mourir, bien sûr.

— Ce que Sandena ne sait pas exprimer, coupa Audelio, c’est que nous avons besoin d’une aventure. Laissez-nous nous guider dans le vaste nord de Souniera. Nous connaissons bien cette région. Nous serons vos guides !

Nwelli acquiesça à contrecœur alors que Jizo s’abstint de toute réaction ostensible. Je n’ai aucun doute de leur habileté au combat, mais pour le reste… Sont-ils prêts à se mesurer à une telle adversité ? Pas question que d’autres innocents se sacrifient. Au moment où se scella leur engagement, et le groupe adoptait une nouvelle composition, Decierno les interpella en arquant les sourcils.

— Prenez garde, prévint-il. Une guerre vient de débuter contre l’Enthelian. D’après ce que nous avons entendu en ville, une partie des hostilités se déroule en Souniera. Ce doit être une zone risquée.

— Docini Mohild est l’une des meneuses de cette guerre ! s’écria Liliath, admirative. Contente de savoir que son séjour chez nous l’a inspirée. Vous la reverrez peut-être.

— Le monde est petit, commenta Nidroska. Tout va se mêler… Et nous ne serons pas là pour y assister.

Leur rôle est ailleurs. Je comprends, ils explorent les terres, pas les mers.

À ce moment de suspension, lors duquel s’affermissaient les résolutions, l’occasion d’ultimes paroles se présentaient. Les pirates choisirent plutôt de donner des provisions au groupe, pour que jamais ne guettât leurs besoins primaires. Un échange dans le silence, où les coups d’œil transmettaient les conseils, où les regards se confondaient.

Ce furent d’éphémères retrouvailles qui s’avérèrent pourtant décisives.

Sitôt extirpés des ténèbres, ils étaient bien motivés à s’aventurer dans les méandres du monde extérieur.

Taori, tiens bon. Nous arrivons.

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