Chapitre 21 : L'invitée (2/2)

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Nonobstant leur expression revêche, du moins Oranne la jugeait-elle ainsi, elle se sentait comme attirée par ces nouveaux venus. Ils se positionnèrent en face du lit duquel elle descendit d’un bond malhabile. Alors elle atteignit leur hauteur. S’intensifia l’influence, se répandit l’aura, et dans ce sillage vibrait une énergie qu’Oranne appréhendait peu.

— Vos tenues ne laissent aucun doute, commenta-t-elle. Vous êtes des mages. Ici, dans la demeure de la cheffe de Vur-Gado, en plein milieu de l’empire ? Comment est-ce possible ?

— Nous disions la vérité, clarifia Fuzado. Nous sommes alliés à la cause des mages dans un but commun : renverser l’empire. Pas seulement l’impératrice, mais aussi le système archaïque par lequel nous sommes gouvernés.

— Ce n’est pas de la petite ambition ! Et vous affirmez que ces quatre mages pourront vous y aider ?

— Bien sûr. En face se dresse le légendaire Horis Saiden. À ses côtés se trouvent ses trois compagnons, Médis Oned, Sembi et Milak, anciens membres de la rébellion de feu Khanir Nédret. Je suis moins certain que tu les connaisses.

Oranne s’évertua à s’exprimer, mais sa voix s’étrangla à chaque tentative. Horis Saiden en personne ? Qu’ai-je mérité pour le rencontrer ? Le héros détourna d’abord le regard, la pointe d’un pied ripant sur le dallage, avant de réduire la distance avec l’invitée. Oranne eut l’impression d’être fendue par la foudre au moment où elle lui serra la main. Une force se déchargeait à ce contact, symbole de l’attraction qu’elle endurait au moment de se plonger dans ses iris dorées.

— Tu as l’air de la captiver, avisa Milak sur un ton déridé. Parfois, on oublie que la plupart des citoyens myrrhéens n’ont pas croisé de mages depuis des années.

— Pas d’aussi puissants, confirma Oranne. Horis Saiden, je me permets de te tutoyer, et de te dire que ta réputation te précède.

— Je l’entends trop souvent, déplora Horis. Je ne suis pas un modèle de bravoure. Mon parcours personnel n’est ponctué que d’échecs.

— Tu as déclenché un mouvement général. Personne avant toi n’avait osé lancer une attaque si frontale en plein cœur du Palais Impérial. C’est grâce à toi que ces rébellions ont pris forme.

— Pour le meilleur… et pour le pire.

Oranne s’extirpa du contact de Horis en levant les sourcils. Est-ce vraiment lui ? L’on racontait pourtant de lui qu’il était si puissant qu’il n’hésitait pas. Entre le portrait et la réalité, la différence est flagrante. Jauger son interlocuteur était un jeu auquel plusieurs se prêtaient, aussi la jeune femme se rétracta à l’approche de Médis, chez qui de tels yeux plissés n’augurait guère la sympathie. Elle, en revanche, m’est inconnue.

— Avant de faire ta connaissance, dit-elle, nous ignorions comment t’évaluer. Bennenike appartient à ta famille, même si c’est par alliance, pourtant tu étais bien décidée à l’assassiner. Ce n’est pas si surprenant quand on sait que les massacres de la famille est une tradition de la dynastie. La mort revêt une certaine symbolique chez cette dynastie.

— Phedeas est peut-être mort, répliqua Oranne, mais il est bien vivant dans mon cœur !

— Donc tu le soutiens ? Tu crois que nous rejoignons n’importe quelle rébellion sous prétexte qu’elle s’oppose au pouvoir impérial ? Détrompe-toi, nous avons déjà commis cette erreur. Mon excès de confiance envers Khanir a coûté la vie à ma sœur Bérédine. Tout comme cette sédition, celle de ton fiancé impliquait le massacre d’innocents. Nous n’agirons plus de la sorte. Nous nous monterons meilleurs que nos ennemis.

L’âpre regard prolongea les intentions, si bien qu’Oranne abaissa les épaules, n’osant guère défier sa contemptrice. Au mutisme s’exerçait une tension à laquelle elle se sentait assujettie. Nulle échappatoire ne s’offrait à elle. Se défendre était nécessaire, sinon ses tremblements continueraient de s’amplifier.

Veha et Fuzado surgirent soudain à sa rescousse.

— Il y a méprise, rectifia l’écrivaine. Oranne ne soutenait pas Phedeas dans ses pires massacres, en fait, son rôle s’est limité à ses actions au sein du Palais Impérial. Elle ne peut être tenue responsable des crimes de son fiancé. Qui, de toute façon, a payé.

— Mais elle ne devait pas contente que son amoureux soit assassiné devant ses yeux, hein ? objecta Médis. Sinon pourquoi porterait-elle son crâne en permanence ?

— Évidemment que je condamne ses méfaits, se défendit Oranne. Il y avait du bon en lui. Il m’a promis que nous monterons sur le trône impérial, qu’enfin la tyrannie cesserait. Je ne savais pas qu’il recourrait à des méthodes abjectes. Qu’il me tromperait avec la meneuse d’une future rébellion. J’ai été bernée, d’accord ? Mais les sentiments triomphent de tout.

Médis n’était aucunement impressionnée. Elle se bornait à juger la marchande, d’une hostilité devenue trop rude, exhortant Oranne à s’accrocher au sommier derrière elle. Même si Sembi et Milak retenaient leur amie, même si les hôtes apaisaient l’animosité, des frissons persistaient à courber son échine.

La réalité se teinte de malice. Pourquoi chacun des choix m’ont menée à être honnie de presque tout le monde ? Ai-je encore l’espoir de trouver mon salut quelque part ?

— J’ai pitié d’elle, avoua Milak. Elle n’a pas de mauvaises intentions, elle a juste été manipulée. Mon cœur me dicte qu’elle peut être une alliée.

— Elle est en deuil, compatit Sembi. Nous avons tous beaucoup perdu et nous devons nous soutenir…

— Exactement, fit Fuzado. Quand vous vous êtes serrés la main, n’as-tu pas remarqué une ressemblance, Horis ? Elle aussi a vu sa famille se faire décimer par le joug impérial. Elle aussi s’est rebellée avec véhémence. Elle aussi a subi maintes souffrances. Crois-tu aux coïncidences ?

— Elle n’est pas la seule à remplir ces critères, rétorqua Médis. Ne forcez pas la comparaison… Je veux bien me fier à elle, mais j’aimerais savoir ce qu’elle nous apporterait.

D’un coup d’œil appuyé la mage chercha l’approbation de Horis. Lequel l’examina, hésitant, mais se mura dans le silence malgré tout. Il joignit ses mains derrière le dos en se plaçant à proximité de la fenêtre. Tous l’observèrent à sa contemplation de l’extérieur depuis la hauteur de la demeure.

— Ce que je retiens, discourut-il, c’est que ses souffrances doivent s’achever. Jamais nous ne connaîtrons la paix tant que ce mal sévit. Il est tenace, se renforce chaque fois que nous croyons l’affaiblir. Nous avons échoué par le passé… Réussirons-nous à force d’acharnement ?

— Noki est motivée et habile, vanta Veha. Elle ne vous trahira pas, j’en fais le serment.

— À nous de remplir notre serment. De nous mettre en route, et d’intervenir lorsque ce sera jugé opportun. J’ignore si c’est à moi de porter le coup final. Mais je souhaite apporter ma contribution.

— Et nous découvrirons pourquoi Onzou appartient à cette rébellion, ajouta Sembi. S’il a du sang d’innocents sur les mains… Non, je préfère chasser cette pensée.

Les desseins s’accordaient. Les décisions se concrétisaient. Oranne peinait cependant à se satisfaire de la situation. Car le quatuor se constituait comme un groupe solide dans lequel s’incruster paraissait ardu. Peut-être aurait-elle une autre compagnie que celle pour qui les murmures se glissaient à sens unique. J’ai rencontré des héros et héroïnes, aujourd’hui. Je suis enfin du bon côté.

— Puis-je vous accompagner ? demanda-t-elle à mi-voix.

— Tu sais te battre ? questionna Veha.

— Euh… Non, je n’ai jamais appris.

— Dans ce cas, c’est trop dangereux pour toi.

— Pourquoi m’infantiliser ainsi ?

— Parce que la guerre bat son plein et ne laissent pas indemnes même les plus forts d’entre nous. De plus, tu es encore blessée, et il te faudra quelques jours pour te rétablir complètement. Attends leur prochain retour et profite de cette belle cité dans de meilleures conditions.

Ni le sourire subséquent, ni le gloussement de l’écrivaine ne convainquit Oranne du bien-fondé de cette décision. Ainsi était-elle condamnée à assister au départ des mages, qui bientôt triompheraient au champ de bataille, qui joueraient leur rôle décisif dans la guerre à venir.

Oranne disposait de la sécurité, mais n’entreverrait guère au sein de la cité.

La liberté avait une âcre saveur.

À quoi je sers si je ne peux pas avoir ma vengeance ?

Tant de coupables doivent périr, et je veux voir leur sang couler.

Pour toutes les vies qu’ils ont arrachées.

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