Chapitre 28 : Aller de l'avant (1/2)

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HORIS


Un tourbillon de rapaces enveloppait quiconque avait le malheur de se dresser sur leur passage.

Plus de sable ni de poussière ne les obstruait. Au lieu de quoi triomphaient-ils dans les airs, ces condors au plumage d’un noir intense, sifflant au cœur du ciel.

Parfois je les oublie et ils me rappellent leur existence.

Rivé vers la voûte azurée, Horis abandonnait toute résistance contre ces forces sibyllines. Ni la gravité, ni les mornifles du vent ardent ne lui exercèrent la moindre pression. Il flottait sans l’exiger, il subissait sans s’opposer. Et dans le sillage des oiseaux s’allégeait son esprit qui avait tant quémandé la paix. Pour quelques instants, fussent-ils fugaces, le fluide vital cesserait de jaillir, les agonies cesseraient de tourmenter, et la nature reprendrait ses droits sur un environnement que l’humanité avait trop souillé.

Là le mage atteindrait la complétion.

L’incognoscible univers s’étendait bien au-delà de leur monde insignifiant et n’avait cure de leurs problèmes ici-bas.

Khanir m’avait donné un aperçu. Dans sa folie, un brin de lucidité l’animait, l’encouragerait à observer au-delà de nos propres limites. Nous n’avons pas idée de cette immensité… Peut-être que nous avons une chance inouïe d’être là. De pouvoir admirer la richesse du désert, de danser au rythme d’agréables chansons, de profiter de l’amour de nos proches. Mais nous l’avons oublié. Trop occupés à faire la guerre, trop ingénus à trouver de nouveaux moyens de nous entretuer.

Est-ce que le cycle pourra être brisé un jour ?

Plus Horis pénétrait dans les strates supérieures du ciel et plus il décélérait. De multiples mains commencèrent à s’enrouler autour de ses chevilles. Guère des véritables, puisque seuls les condors et lui étaient tangibles dans ces alentours. Toutefois leur emprise s’accentuait à mesure que le mage guettait la délivrance. Des murmures l’assaillaient, vrillaient ses tympans, sans qu’il figurât un quelconque sort apte à les repousser.

Des spectres. Ils me poursuivront jusqu’au trépas. Que faire ? Que…

Les rapaces ne lui furent plus bientôt d’aucun secours.

Ils avaient beau sillonner le ciel en nuée homogène, leur vigueur n’égalait pas celle de leurs adversaires. Si haut, si véloces, ils se dispersèrent sous des sifflements stridents, aussi Horis chuta peu à peu vers sa propre perte. La collision serait rude, peut-être mortelle, mais il ne désespéra pas au côtoiement de la fatalité. Il choisit l’accalmie, il décida de clore les paupières.

Pour les rouvrir au pire endroit auquel il aurait souhaité être en ce moment.

— Horis ! s’écria Médis. Bon sang, tu nous as tellement inquiétés !

De nouveau accueilli dans cette réalité où les forces impériales sévissent toujours et mes amis se comptent sur les doigts d’une main. Milak, tu en as rejoints tant… Horis était allongé auprès d’un rocher, sa couchette lui entortillant le bas du corps, pendant que Sembi lui épongeait son front ruisselant de sueur. Elle et Médis l’épaulaient au cœur de la fraîche nuit. Nul ne peuplait les alentours hormis eux trois, livrés à eux-mêmes comme toujours. Mais la présence de ses amies suffit à faire souffler Horis.

— Vous m’avez encore sauvé, n’est-ce pas ? demanda-t-il à mi-voix. Quelle tête brûlée je fais…

— Courageux ou téméraire ? commenta Médis. Je ne saurai mettre les mots exacts.

— À quoi bon ? J’ai encore échoué. Je pourrais encore blâmer Leid et Niel, avec leurs insupportables énigmes, et leur volonté de me lier à Nafda. Mais c’est bel et bien de ma faute.

— Horis… La mort soudaine de Milak nous a tous déchirés. À peine réunis que nous sommes encore séparés, et il n’y aura plus jamais de retrouvailles. Mais en agissant ainsi, tu m’as rappelé des égarements passés. Quand tu as envahi à toi seul le Palais Impérial. Quand tu as fait de ta vengeance ta quête personnelle. Tu n’y arriveras pas tout seul, Horis. Nous sommes avec toi, aussi longtemps qu’il le faudra.

Je ne mérite pas une amie aussi fidèle… Un faible sourire étira les lèvres du jeune homme comme du baume emplit son cœur. Médis et Sembi s’assurèrent de son bien-être, lui qui sentait encore des pointes de douleur par endroits, lui qui s’engourdissait chaque fois qu’il remuait le moindre orteil. Un repos réparateur, un soutien de taille, mais après… Où irons-nous ?

— Tu étais secoué de spasmes, expliqua Sembi. Tu nous as réveillées brutalement. C’était encore un de tes cauchemars ? Ceux qui paraissent si réels, d’après tes descriptions ?

— Tu as posé les bons, admit Horis. Toujours ces mêmes condors, avec des spectres cette fois-ci. Le poids de mes erreurs, l’étendue des sacrifices. Les guerres s’étendent toujours plus que ce qui était prévu au départ, pas vrai ?

— Bennenike règne depuis plus d’une décennie. Nous étions tous conscients que l’arracher de son trône ne serait pas facile…

Sembi soutint d’abord le regard de son compagnon, avant se rembrunir en se mordillant les lèvres et en abaissant les bras. Un combat si désespéré qu’il paraît perdu d’avance ? Que nous nous fions à nos propres capacités ou à celle d’autrui, les résultats n’ont pas été à la hauteur de nos attentes. Un flux verdâtre se diffusait depuis ses paumes, s’imprégnait à l’intérieur de Horis. Finalement il se détendait et ses articulations se décompressaient. Pour être paré pour le prochain assaut, peu importe sa teneur.

Redressant le chef, Horis et Médis avisèrent l’éclaircissement progressif du ciel. De l’humidité s’insufflait dans l’air en sus de la naissance du zéphyr. Un ensemble de mouvements cohérents et naturels s’imprimait tout autour d’eux, de quoi les bercer à l’approche de l’aurore.

Une présence intruse se trahit par ses trop obtuses foulées.

Médis et Sembi se braquèrent aussitôt.

— Du calme ! Vous êtes à cran, je me doute, mais je suis de votre côté, souvenez-vous ? Vos sorts impressionnants serviront à abattre vos ennemis.

Les deux mages plissèrent le front, puis leurs craintes s’apaisèrent où la silhouette se dévoilé dans les prémices de la nitescence. Mais pourquoi se trouve-t-elle ici, toute seule en plus ? Ségowé s’approchait d’une démarche légère et se positionna à quelques mètres de ses interlocuteurs. Un air grave pesait sur ses traits nonobstant son apparente frivolité.

— Tu t’es bien fait remarquer au cours de la bataille, rapporta-t-elle.

— Tu as quitté les troupes juste pour commenter sur l’intervention de Horis ? s’étonna Médis. Un bien trop gros risque…

— Avec autorisation de Noki, bien entendu ! Le départ du campement est prévu deux heures après l’aube, ce qui me laisse largement le temps de revenir.

— Mais pourquoi tu souhaitais nous voir ? questionna Sembi. Tu es sûre que personne ne t’a suivie, au moins ?

D’un œil circonspect, Ségowé surveilla ses arrières, et nota l’absence en même temps que les mages. Plusieurs précautions ne seront jamais de trop.

— Je sais me débrouiller, se targua-t-elle. Maintenant que vous êtes soulagés, revenons au sujet principal. La prochaine fois, Horis, Noki aimerait que tu préviennes avant d’intervenir de la sorte. Il y a eu peu de dommages collatéraux parmi ses propres forces, mais quand même. Votre rôle était censé être différent.

Des vertiges eurent beau encore l’ébranler, Horis planta ses ongles sur le sol, conservant ainsi son équilibre. Il examinait Ségowé en pantelant, si bien que ses amies l’aidaient à tenir.

— Tu sais pourquoi j’ai fait irruption ? fit-il. Tu ne te demandes pas pourquoi nous ne sommes que trois ? Nous avons croisé des rebelles. Et comme Sembi le redoutait, Onzou était avec eux. Notre passé commun nous dictait de trouver une autre voie que la violence. Milak a tout essayé, mais Onzou ne voulait rien entendre, et l’a tué. Voilà la raison. J’étais aveuglé par la colère et le chagrin. Je veux que ces violences s’arrêtent, tu comprends ?

Horis s’inclina sur ces dernières paroles, comme s’il cédait sous son propre poids. Des larmes faillirent rouler le long de ses joues. Proche de s’effondrer, Médis le rattrapa à temps et l’enlaça le temps qu’il fallût. Les plaies sont encore trop récentes… Elle lui avait transmis assez de vigueur. Elle l’avait exhorté là où les forces jugées inexpugnables l’auraient abandonné. Et lorsqu’il se releva, il remarqua les tressaillements de Ségowé tout comme le voilement de ses yeux.

— Pardonne-moi, murmura-t-elle. Il n’y a rien de pire que de perdre un proche. Surtout que tu venais de le revoir après tout ce temps.

— Horis s’est jeté à corps perdu, dit Sembi, pendant que nous enterrions Milak.

— J’ai agi sans réfléchir, admit le jeune homme. Et maintenant ? Nous poursuivons cette guerre jusqu’à quand ?

— Jusqu’à la victoire, déclara Ségowé. Notre objectif reste le même, il a juste été retardé. Noki souhaitait vous tenir informés de la situation, pour que vous sachiez comment agir à l’avenir.

— Et donc ?

— D’abord Ruya doit périr. Une fois morte, peut-être de la main de Bennenike, ses troupes se disperseront et sa rébellion sera dissoute. Normalement. Nous prendrons alors l’impératrice et l’assassineront. Bien sûr, ses alliés seront alors bien énervés, mais par l’effet de surprise, nous aurons sûrement le dessus. Dénou a choisi de retourner à Vur-Gado, ce qui nous permet d’avoir une otage au cas où les choses tournent mal.

Tout ceci reste encore un peu flou. Horis, Médis et Sembi se consultèrent quelques instants, mais avant qu’ils pussent répliquer, Ségowé leur tourna soudain le dos. Mains plaquées contre ses hanches, le vent s’abattant de plein fouet sur son équipement, elle laissa les mages perplexes.

— Libre à vous de choisir votre moment d’intervenir, affirma-t-elle, tant que vous nous prévenez en avance. Planifier tout en avance nous aidera à mieux renverser la tyrannie. Nous aurons besoin de vous pour cette bataille. Et moi… J’y vois aussi l’occasion de m’illustrer. Je suis jeune, et encore dans l’ombre de Noki, mais je lis de la fierté dans son regard. J’aimerais la mériter.

— Prends garde, avertit Médis. La guerre n’a rien d’honorable.

— Pour vous, peut-être, mais Noki Gondiana est réputée comme guerrière avant d’être une politicienne ! À nous d’avoir notre impact décisif vers le rétablissement d’un système plus sain. J’aurai mon rôle, aussi minime soit-il.

— Éliminer Ruya et Bennenike en même temps ? songea Horis. Peut-être, mais avant, je veux m’entretenir avec Ruya.

Même Médis et Sembi écarquillèrent des yeux face à cette proposition. Calant un poing serré contre sa taille, un éclair de détermination traversa Horis comme il s’y maintenait. L’idée apparaît à l’improviste, mais j’assume.

— J’ai besoin de comprendre, décida-t-il. Ruya a recruté parmi les tribus nomades d’Ordubie, et elle appartient elle-même à un de ces clans. Mais elle les aussi ravagés, forçant le mien à se dissoudre… Je me fiche de ses causes indépendantistes. Elles sont sûrement nobles, mais je ne peux soutenir une rébellion qui a causé plus de dégâts dans des terres déjà ravagées.

— En quoi converser avec elle y changera quoi que ce soit ? demanda Ségowé. Si vous y alliez à vous trois, alors qu’elle possède une armée, c’est le meilleur moyen d’être exposés !

— Nous aviserons le moment venu. J’aimerais juste savoir pourquoi, à l’instar de Phedeas, et alors même qu’il l’avait trahie, elle a choisi de semer la division et de massacrer des innocents au lieu de focaliser directement ses forces sur les troupes impériales.

— Cela ne changera rien. Son destin sera le même.

— Au moins, certaines interrogations cesseront de se bousculer dans mon esprit. Nous vous rejoindrons après et porterons le coup final.

— Très bien, comme vous voulez. Soyez juste conscients des risques. La rébellion doit camper quelque part à l’est, si vous les avez déjà pistés, vous devez être proches. Nous nous retrouverons sur la bataille. Pourvu que notre plan fonctionne.

Ségowé opéra un demi-tour sitôt satisfaite de la conversation. Toujours dans les doutes, hein ? Il doit bien y avoir une raison derrière cette haine et cette violence. Jamais je n’excuserai, mais au moins j’aurai un semblant de compréhension. Elle s’éclipsa prestement dans les sinuosités du panorama, que les mages suivirent avant de suivre leur propre voie, au-delà de leurs interrogations. Médis et Sembi ne questionnent même pas mon choix. Nous sommes à peine extraits du danger que nous y retournerons. Telle sera donc notre vie, désormais ? C’était le cas depuis bien longtemps…

Le trio parvenait dans un biome au sein duquel se confrontaient plusieurs types de climat. Aux vents ardents du désert d’Erthenori, situés à plusieurs dizaines de kilomètres seulement, contrastaient la moiteur de l’air de Kishdun. Des acacias se hissaient par-dessus une broussaille que modelaient des ruisseaux s’entrecroisant sur un aval en contrebas. Çà et là, chevauchant les collines ondées sur l’horizon septentrionale, des buttes cendrées couvraient une terre presque fangeuse.

Les rebelles sont proches. Gardons l’œil ouvert et l’oreille. Eussent volé une batelée d’oiseaux, Horis aurait pu se référer à leur cours. Il usa des techniques de pistage plus ordinaires, impliquant de se référer aux empreintes sur les aspérités du sol. Avec ses compagnons, il parcourut la déclive selon ces indices, et leurs oreilles vrombirent de par le clapotis des cours d’eau.

Au-delà décelèrent-ils plusieurs individus, dont l’ombre s’étendait dès qu’ils eurent franchi celle des acacias.

Il ne s’agit pas d’une infiltration. Nous avions bien prévu d’être repérés.

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