Chapitre 34 : Puissante sollicitation (1/2)

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HORIS


Des phénomènes inexplicables se poursuivent. Combien y’en aura-t-il, encore ?

Quand tout va bien, tout s’empire, et les malheurs frappent si forts qu’ils en deviennent inconsolables.

Et là, l’inverse s’est produit. De la chance ? Une coïncidence ? Non, seule une intervention extérieure l’explique concrètement. J’ai du mal à croire que quelqu’un nous voudrait du bien… Mais c’est bien vrai. Nous sommes libres et Assar n’est plus dans les parages.

Horis balayait son environnement à la recherche d’une perturbation, même s’il ignorait encore laquelle. Une douleur vrilla son crâne à force de plonger son regard au sein du panorama. Aucune réponse n’émergea, seulement la brise matinale, et le bruissement de la végétation alentour. Des cordes tranchées de kurta reposaient sur le sol, happant momentanément son attention. Des sauveurs anonymes… Il doit y avoir un moyen de percer le mystère.

Parfois le silence lassait à force de s’étirer. Horis s’y résignait toutefois puisque Médis était bien occupée. Doigts plaqués sur ses tempes, un air sérieux gravé sur ses traits, elle communiquait par voie télépathique. Du flux circulait en harmonie avec la nature pendant qu’elle tournait en rond entre les aspérités de la terre. Sembi restait à proximité et observait son amie en joignant les bras, quoiqu’elle coulât de temps à autre des coups d’œil à Horis.

Le visage de Médis se décomposait à mesure que la conversation progressait. Horis et Sembi s’enquirent d’elle, mais sitôt qu’ils approchèrent, elle décida de s’éloigner. Des foulées empressées et maladroites l’emmenèrent à l’ombre des arbres circonvoisins. Là où ses sanglots s’entonneraient, là où ses compagnons ne cesseraient de se soucier d’elle.

Médis, parle-nous, je t’en supplie. La liberté était donc trop belle ? Il fallait que des nouvelles négatives tombent en compensation ? La mage réapparut et se découpa sous la nitescence de l’aurore. Bras suspendus le long du corps, des tremblements la transperçaient de part en part, mais elle se raidit. Sa gorge comme leur cœur se nouait.

— Ruya a péri lors de la dernière bataille, rapporta Médis. Sa rébellion s’est dispersée et, à l’heure où je vous parle, aucun autre meneur n’a rassemblé ses ambitions. Par contre… Ségowé est morte en essayant d’assassiner Bennenike.

Horis avait craint le pire mais s’affaissa tout de même. Par bribes pénétrèrent les implications de ce décès. Frappait la vision d’une énergie virevoltante, déployée dans tous les recoins du terrain d’affrontement, sans jamais anéantir sa cible. Plus il y songeait et plus ses poings craquèrent.

Dire que je la connaissais à peine… Aucune de ces tragédies n’aurait dû arriver. Ségowé avait affirmé pouvoir la vaincre. Pour une autre personne, j’aurais appelé cela de l’excès de confiance. Mais c’est bien l’impératrice qui a trop de rage en elle que pour trépasser.

— Les liens si précieux de la famille se déchirent, déplora Médis. Combien de personnes vont encore subir ça avant la fin ?

— Tout dépend de la manière dont va s’achever cette guerre, redouta Sembi. Nous y sommes, n’est-ce pas ? Soit nous gagnons, soit nous périssons les uns après les autres.

C’était comme si le ciel s’était obscurci, propageant une opacité jusqu’aux mages. Rien qu’écouter ses compagnons suffisait à immobiliser Horis. Plus de tressaillements, ni de sueur glacée. Si nous nous dressons sur leur chemin… Et me voici encore trop optimiste. Je ne compte plus tous les disparus, une liste qui risque encore de s’agrandir. D’ordinaire Médis et Sembi s’affairaient pour le rasséréner, mais elles étaient tout aussi tétanisées que lui.

— Et maintenant ? demanda Horis. Les forces impériales risquent de sévir encore longtemps, à ce rythme ! Il faut… mieux déployer mes pouvoirs.

— Foncer tête baissée n’aidera personne, rétorqua Médis.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit ! Je pense juste à une manière de s’organiser. Une coalition qui nous permettra de renverser ce pouvoir ! Est-ce seulement possible ? Toutes les tentatives précédentes se sont soldées par des échecs. Mais je n’ai pas envie de perdre espoir…

— Tu fais bien de poser la question. Nous en avons aussi discuté.

— Qu’est-ce qu’il en a découlé ?

Médis hésita un instant alors que Sembi et Horis persistaient à la regarder. Des doutes s’effacèrent, guère les incertitudes, tant les paroles peinèrent à se matérialiser. À force d’insistance la mage redressa la tête.

— Noki prépare la riposte, révéla-t-elle, s’avançant d’instinct. Elle a appelé des renforts issus de partout en Kishdun. Même si quelques chefs de cité soutiennent Bennenike, la plupart lui sont loyaux. Oranne lui a aussi suggéré l’aide de pays voisins, ce qui l’a moins convaincue.

— Des milliers d’hommes et de femmes vont donc déferler vers l’est ? questionna Sembi.

— En principe, oui. Est-ce que ça suffira à remporter la guerre ? Peut-être.

— Comment ça, peut-être ?

— Un vieil adage, et sans doute très usé, prétend que notre union constituera notre atout. Au nord-est de l’empire, mages, inquisiteurs modérés et soldats enthelianais résistent autant que possible face aux militaires de l’Empire Myrrhéen et de la Belurdie. S’ils n’étaient pas là, Bennenike nous aurait sans doute déjà écrasés. Là elle est contrainte de diviser ses troupes.

— Je comprends mieux. Noki voudrait donc les rallier. À deux extrémités de l’empire, ce ne sera pas une mince affaire.

— Elle pense aussi que des opportunités sont à saisir. Malgré sa propension aux massacres des innocents, rendant impossible toute alliance, l’insurrection de Ruya a permis d’affaiblir une partie des troupes impériales. L’idée est de les repousser jusqu’à la région de Nilaï grâce à l’intervention des cités alliées, qui peuvent les assaillir tant du nord que du sud. Reste à savoir comment franchir le désert d’Erthenori… Un lieu rude, très rude.

— Mais nous sommes myrrhéens, nous y sommes accoutumés !

— Quid des habitants de Kishdun, d’Ordubie et de Gisde nous accompagnant ? Sans oublier les enthelianais et belurdois… Avec la chaleur, le manque d’eau et de ressources, l’histoire a prouvé que les guerres y sont particulièrement dévastatrices.

Soudain leurs veines se glacèrent à l’intensification du vent. Même s’ils résistaient aux rafales ondulant leurs vêtements, ce froid leur rappelait son caractère éphémère. L’implacabilité du désert leur éveillait déjà des frissons.

Tout est trop bien planifié. Des imprévus nous tomberont encore dessus. Tirant sur ses manches, rabattant quelques cheveux, Horis interpella ses deux amies à qui il dédia un profond regard.

— Au-delà de tous ces drames affirma-t-il, je suis quand même positivement surpris.

— Par quoi ? se renseigna Médis, les pupilles dilatées.

— Par l’étendue de nos forces et notre capacité à toujours nous relever. J’ai attaqué le Palais Impérial il y a à peine deux ans, pourtant j’ai l’impression que c’était il y a une éternité. À l’époque, je pensais être seule et heureusement, je me trompais. Il y avait une colère qui grondait dans toute l’Empire Myrrhéen, et même en dehors. Bien sûr que des insurrections se sont vautrés. Mais ce n’est pas encore fini.

— Tant d’optimisme… Voilà ce que je souhaitais entendre, Horis ! Tu ne sombres plus.

— Pour l’instant. J’ai juste essayé d’envisager la situation avec plus de recul. La guerre a éclaté un peu partout. C’était impensable pour moi il y a encore quelques temps ! Et pourtant, nous y sommes. Nombreux ont péri, et beaucoup d’autres trépasseront encore…

L’espoir ne pouvait perdurer, pas vrai ? Moult questions demeurèrent en suspens. Si Horis prolongea ses intentions d’un coup d’œil, assuré du hochement de Médis, il se claquemura dans un mutisme faute d’inspiration. Une esquisse de sourire barra le coin de son faciès tandis qu’elle progressait par-delà de ses deux camarades. Juchée sur cette légère élévation, elle se riva vers le contrebas, décela ce qui s’entremêlait derrière les ombrages de l’horizon.

— Avant de partir, reprit-elle, nous devons savoir où nous diriger. Noki nous a suggérés de pister les troupes impériales.

— En sommes-nous seulement capables ? douta Sembi en se tenant l’avant-bras. J’avoue être plus douée pour l’affrontement frontal.

— Nous devons profiter de notre avance. Noki reste persuadée que nous serons des atouts indispensables pour une éventuelle victoire. Et comme elle a rencontré Oranne, ce qu’elle estime pour nous est valable pour elle aussi.

Médis entreprit de reprendre la route. Horis et Sembi se regardèrent, immobiles lors d’un moment de tâtonnement, toutefois se convainquirent-ils du bien-fondé des motivations de leur amie. Ils longèrent la déclive serpentant entre les arbres et franchirent le sentier en direction du levant.

J’avais presque oublié cette pauvre Oranne. Je la reverrai en temps voulu, comme les autres. Peut-être que Noki est la meneuse dont nous avons besoin, finalement. En attendant, efforçons-nous de nous rendre utiles… et de survivre.

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