Chapitre 39 : La cité enfouie (1/2)

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HORIS


Esseulé au cœur de sa destinée. Des réflexions avaient tourbillonné au sein de son esprit. Ce qui avait été accompli, ce qu’il restait à réaliser. Même si les images s’avérèrent désordonnées, imbroglio d’une netteté dubitable, une constante émergeait contre toute attente. Ce même nom le martelait depuis des jours. Tantôt en chuchotement, tantôt en rugissement. Il agissait tel un trait plongeant vers ses éternelles interrogations.

La guerre emporte tout pendant que je me balade dans une paix relative. Médis, Sembi, j’espère que vous trouverez la force de me comprendre, et que nous nous retrouverons bien en vie. Je ne peux rebrousser chemin avant d’avoir réussi. Si longtemps on m’a appelé, et j’y réponds, pas forcément de bonne grâce.

Erthenori lassait par la redondance de son panorama. Seul impressionnait la batelée de condors, lesquels sifflaient en réalisant de grâcieuses paraboles par-dessus les collines sableuses. Ils s’apparentèrent à des traits noirâtres, contrastaient avec l’aveuglante clarté dont le désert se targuait. Non qu’ils se présentassent en guide : ils se contentaient d’affirmer leur présence. Peu à peu ouvraient-ils une voie peu familière avec Horis, si bien qu’il modéra son allure parmi la multitude de contrebas.

Le mage s’épongea le front, à bout de souffle. Son instinct lui dictait de se déployer tout entier. Là où le flux inondait s’imprégnait la plénitude. Là où la magie prospérait côtoyait l’harmonie. Horis souhaitait profiter de ce moment, aussi fugace fût-il, lors duquel aucune intruse pensée ne le taraudait.

Ses inspirations le restaurèrent. Tel un fluide laminaire le flux s’écoulait tranquillement à l’intérieur de lui. Ouvrir les paupières ne lui avait jamais paru autant agréable. Le temps de les clore, un mystérieux glyphe avait jailli par-dessus une motte de sable. Trois lignes verticales étaient traversées par deux courbes inégales qui s’achevaient sur un symbole en forme de flèche. Plus Horis détaillait la gravure et plus il décelait de nouveaux détails. Une réalisation intemporelle, prompte à lui décocher un sourire.

Ensuite de quoi il tressauta. Des rafales de poussière surgirent du sol et lui piquèrent les yeux, ce pourquoi il recula avec prestesse. Une toux vive mais brève emporta Horis avant la dissipation, puis des grondements lui vrillèrent les tympans. Davantage qu’une embrasure, une large percée s’enfonçait dans les ténèbres, détonnait avec l’environnement illuminé par le soleil de plomb.

Alors les voix racontaient la vérité ? À moi de découvrir ce qui se tapit au-delà de l’insondable. Une cité enfouie, comme ils le disaient ? Mais pourquoi ? Et surtout, comment ?

Horis huma une dernière fois l’air ardent avant de s’immerger vers l’inconnu. Aussitôt ses semelles se heurtèrent à des fragments de pierre sur lesquels il manqua de riper. Il se rattrapa de justesse sur le mur. Au crissement de ses phalanges, il avisa les lignes courant sur l’épaisse structure, tout comme la série d’escaliers engloutis dans les ténèbres.

Guère pour longtemps, néanmoins. Tout juste le mage en avait descendu une paire que des orbes magiques s’allumèrent. Elles diapraient des nuances opalescentes et brillaient tout le long de la voie. Jusqu’à l’arcature que soutenaient des colonnes en cipolin, devant laquelle se révélaient de nouvelles courbes convergeant vers l’édifice.

Ainsi j’y suis. Je suis prêt, même si je ne l’ai pas toujours été.

Alors que le chemin gagnait d’abord en étroitesse, passer sous la structure offrit une perspective inédite. À l’élargissement de l’artère se présenta un sommet voûté et incrusté dans la roche. Des sphères lumineuses tourbillonnaient autour d’une plateforme érigée par-dessus un bassin de noirceur. Horis eut tout le loisir de la contempler en marchant sur le pont en carrare encadré de rampes aux motifs arqués.

Qui aurait soupçonné qu’un tel réseau s’était développé au milieu de nulle part ? Moi, peut-être. Des souvenirs s’éveillent. Les profondeurs d’Ordubie… Peut-être que l’origine est différente, mais le résultat est comptable. La principale distinction, c’est que je suis seul à l’explorer, cette fois-ci.

Pour s’en assurer, Horis jeta un prompt coup d’œil derrière lui, et n’aperçut rien sinon quelques cailloux chuter dans les abysses. Quelques nerveuses expirations de plus et il se retrouva au cœur même de la structure. De quoi lui couper le souffle comme il en détaillait chacune de ses composantes.

Au centre s’imposait une arche en pierre, si lisse et sculptée qu’elle en était dépourvue de naturel. Une multitude de roches en arcure l’entouraient et paraissaient disséminées au hasard. Horis dut les contourner afin de se frayer un parcours, atteignant bientôt la charpente centrale dont il admira la technique.

Il avait beau se situer dans une impasse, il n’en avait cure. Car la grandeur de l’architecture suffisait à maintenir son intérêt, à l’immerger dans les bienfaits de l’inconnu. Loin d’être inertes, les lieux vivaient, respiraient d’une magie à laquelle le jeune homme s’accoutumait peu à peu. Il escomptait s’abandonner à cette plénitude. Alors il serait conquis, rapproché d’un but encore à définir.

Mais le flux fut perturbé, cessa de circuler en pleine harmonie. Son cœur cognant contre sa cage thoracique, Horis chercha l’origine du bouleversement. Une goutte de sueur perla le long de ses tempes face aux conséquences de sa réalisation. D’instinct il tendit les bras, déploya ses paumes, et une salve d’énergie en jaillit instantanément.

Il se bâtit un bouclier derrière lequel il se réfugia.

Et quand il se retourna, Nafda l’attendait, ses vibrantes dagues en collision sur la courbe hyaline. Des plis creusaient son faciès centré sur un sourire orgueilleux comme elle lui dardait des yeux plissés à l’extrême.

Nafda. De toutes les personnes que j’aurais pu croiser, il a fallu que ce soit elle. Comme les voix l’avaient prédit. Pas de mensonge, juste des paroles empoisonnées. Moi qui pensais que l’ouverture se refermerait derrière moi… Seulement dans les histoires, il semblerait.

Elle est si concentrée, ses réflexes mis à rude épreuve. Elle a sans doute déjà bu sa potion et en redemande.

— Tu me suis comme une ombre ? fit Horis, tenant bon malgré la force qu’appliquait son adversaire.

— Pourquoi pas ? répliqua Nafda en fléchissant les genoux, les poignets tressaillant. Je suis ta plus grande adversaire, après tout.

— Le sentiment est réciproque. Mais si nous sommes restés ennemis, c’est parce que nous n’avons jamais eu l’occasion de nous affronter pour de bon.

— Ce moment a été assez retardé ! Je suis ici pour accomplir la volonté de mon impératrice, celui de mon empire, en me débarrassant de toi !

— Après tout ce temps, tu continues de suivre les ordres, sans développer ta propre indépendance.

— Ces voix dans ma tête ne cessent de me harceler ! Cela dit… Elles s’insinuent aussi en toi, pas vrai ? Leid et Niel t’ont guidé aussi. Ils ont aussi dû te mentionner la citée enfouie.

— Sanak, en effet. C’est là que je me dirige. Et tu es un obstacle.

— Qu’est-ce que tu voudrais ? Que je rebrousse chemin maintenant que tu es à portée de dagues ? Mes lames ont soif de sang. Elles n’attendent que de pénétrer dans ta précieuse chair. Tant de mages gisant à mes pieds, mais un seul hante mes rêves. Toi.

— Bientôt tu ne rêveras plus.

Ils s’élancèrent sur un cri décousu.

Sitôt plongée dans le duel que Nafda s’efforça de percer le bouclier. Des ondes se propagèrent vélocement, mais malgré l’acharnement, Horis ne céda pas. Il devait tout de même mobiliser ses forces. Résister à l’impact des coups, au tranchant de l’acier sifflant au gré des mouvements de l’assassin.

Autant me servir de mon environnement. D’un pas de côté Horis feinta son opposante, avant de fracasser son poing vers le sol. Par réflexe, Nafda bondit sur l’une de roches où elle s’accrocha, après quoi elle prit un peu de hauteur. Elle plia les bras, ses dagues tournoyant avec fluidité, avant de jaillir sur son ennemi. S’ensuivit une collision, succéda le chuintement du flux contre l’abominable kurta.

Une courte inspiration offrit au mage le répit dont il avait besoin.

Puis il y retourna. Des filaments dorés jaillirent de ses paumes et frôlèrent Nafda qui croisa les bras pour s’en préserver. Du sort dévié résultèrent des égratignures le long de ses bras, aussi grogna-t-elle, mais garda ses lames en main. Elle roula vers l’avant, assena une attaque, puis recommença. Chaque fois que ses pointes ripaient sur les remparts de Horis, sa stabilité était ébranlée, et de multiples nuances de magie fendaient l’air à ses grossières répliques. Elle prend le dessus, allie rapidité et agilité. Tant que je la laisse me dominer, mes chances de l’emporter sont minces.

Après l’obliquité requérait le raidissement. Horis s’y appliqua de tout son être alors qu’il gambergeait dans le feu de l’action. Nafda s’opiniâtrait tant que ses fortifications se brisaient, que des incisions commençaient à le labourer de part et d’autre. Pas de quoi le consumer, mais il était entravé, et ses ripostes faiblissaient en conséquence.

Son poing collisionna encore le sol. Cette fois-ci, de puissants tremblements s’emparèrent de la plateforme, ce qui déséquilibra l’assassin au milieu de son assaut. Elle se rattrapa sur une structure à sa portée. Un sourire en coin de figure, et la main orientée vers la source de pouvoir, Horis souleva l’arcure du sol. Seulement de peu Nafda évita-t-elle d’être écrasée sous ce poids.

Et le mage recommença avant qu’elle eût le temps de s’en remettre. Bien que son opposante esquivât à chaque tentative, la roche se brisait souvent en une multitude de morceaux tailladant sa peau.

La structure s’affaiblissait, l’architecture perdait de sa superbe. Un tel constat contraignit Horis à opérer un changement de stratégie. Il joignit ses deux bras et invoqua un sortilège de flammes. Fusa le rayon incandescent de pleine chaleur et intensité, que l’assassin désaxa et absorba de prime abord. Elle s’immobilisait sous la pression, ses cheveux soufflés par les flammes, comme la fumée montait au-delà de la plateforme.

Face à face, au cœur de leur duel, Horis et Nafda se fixaient avec acrimonie. Pas un ne renonçait nonobstant l’impact continu. Ensanglantés mais entiers, entamés mais embrasés. Au prolongement du sort, ils se rapprochèrent l’un de l’autre, foulée après foulée. Parés à porter le coup fatal. Résolus à interrompre un lien si longtemps entretenu.

— Que croyez-vous accomplir ? intervint Leid. Nous ne vous avons pas emmenés ici pour que vous entretuiez. Votre objectif est tout autre. Cherchez votre symbolique. Trouvez la vie et non la mort. Franchissez le portail !

Encore cette même intrusion. Ils osent s’immiscer dans notre combat ?

Mais… S’affronter n’était pas la raison de notre présence en ces lieux.

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