Chapitre 44 : Sans retour (2/2)

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Peu de paroles furent échangées lors du parcours des couloirs. Pour sûr que Docini défendrait sa mère, nonobstant leurs opinions divergentes, mais elle se sentait parfois gênée en croisant d’autres âmes. Hésitations et tourments ralentirent au moment où elles arrivèrent à une chambre libre. De courts adieux, suivis de quelques larmes, précédèrent leur séparation.

J’espère que tu trouveras la force de me pardonner. Une fois engagés dans cette guerre, l’un des deux camps doit l’emporter, et si ce n’est pas le nôtre…

Tout ce que tu aspirais, c’était à une existence tranquille, où tu n’aurais pas à t’inquiéter pour tes deux filles. L’inverse s’est produit et aujourd’hui nous en assumons les conséquences.

Je l’ai dit et je le répète. Il ne s’agit pas seulement de nous. Un jour, sans doute , tu le réaliseras, maman. En attendant, je te souhaite le meilleur.

Seule mais guère isolée, Docini s’attarda à bonne hauteur de la forteresse, depuis laquelle elle apercevait l’astre diurne s’abandonner à l’horizon. Pendant que le ciel se teintait d’orange, pendant que des premiers croassements emplissaient la tourbe, des idées se collisionnèrent dans sa tête. Surgit le soupir en l’absence de concrétisation. La cheffe se figea, songea sur ce qu’elle souhaitait accomplir, puis chemina vers son objectif improvisé.

Plusieurs centaines d’âmes peuplaient les environs immédiats, et des milliers d’autres se situaient encore à proximité. Qu’ils fussent inquisiteurs, mages, gardes ou militaires, Docini lisait les doutes et la frayeur qui assaillaient leur cœur. Le temps et les moyens lui manquaient pour les consoler, aussi passait-elle à côté en intériorisant ses regrets. Mes frères, mes sœurs, courage. Ce sera bientôt fini… D’une manière ou d’une autre.

Nombre de ces personnes s’inclinait devant elle ou la remerciait sans qu’elle l’eût exigé. Même si elle s’empourprait face à elles, Docini n’entamait aucun dialogue, car une seule personne pouvait appréhender un aspect entier de sa personne. À l’émergence de l’idée réapparut Emiteffe.

Forcément, dit-elle, tu lui aurais parlé à un moment ou un autre. Il s’esseule depuis un moment, il paraît.

— Une raison de plus d’aller le voir, déclara Docini.

Quand elle s’immisça dans son intimité, Zech lui donna une approbation directe. Il n’en fallut pas davantage à Docini pour amorcer leurs retrouvailles. Ils s’installèrent à proximité l’un de l’autre, de prime abord sans prononcer ne fût-ce qu’un mot. D’un profond échange de regards, auquel s’adjoignit un acquiescement, les inquisiteurs réalisèrent qu’à quatre personnes appartenait la conversation.

La magie a un rôle important à jouer, et ça restera ainsi. D’emblée des nuances chaudes et froides s’entremêlèrent au cœur de la chambre. En s’isolant du reste de la forteresse, les inquisiteurs assistèrent à la matérialisation des âmes si présentes dans leur esprit. Emiteffe et Hatris prirent forme comme à l’époque où elles possédaient un corps. Elles se consultèrent d’abord, une indubitable résolution gravée sur leur faciès, avant de s’intéresser à leurs hôtes. De multiples lignes de flux s’échappaient de leur corps où se centrait une aura opalescente.

Des deux mages, cependant, Emiteffe se particularisait le plus. Car si des éclats traversaient les membres et les mèches blondes de Hatris, un rayonnement intense dansait dans les iris de son homologue. Impressionnant… Est-ce que je suis digne d’une telle puissance Emiteffe est à la hauteur de sa réputation.

— Nous avons été invoquées, affirma Emiteffe. L’heure est grave, donc ?

— Hu hu, et pas qu’un peu ! s’exclama Hatris. Sur tous les mages existants, nous sommes les deux seules connues ici à n’exister que sous forme d’esprit. Même si je suis loin de t’égaler.

— Tes flatteries m’enchantent mais j’ignore si elles en vaillent la peine. Car tu n’as pas perdu deux de tes corps hôtes, contrairement à moi.

— Mais je n’ai jamais fait face à Godéra !

— Certes, mais tout de même… Je pensais cette inquisitrice juste fourbe et rusée, mais je l’avais mésestimée. Ce qui expliquerait pourquoi j’ai triomphé de Kalhimon et non d’elle.

— La prochaine fois sera la bonne. Sans quoi Docini passera sous le fil de l’épée de sa propre sœur, ce que nous préférons éviter.

Hatris esquissa un sourire auquel nul ne répondit, aussi une pointe de déception distordit son faciès. Un sarcasme permanent contre le sérieux d’Emiteffe en toutes circonstances. Nous avons une union, un point commun qui nous réunit malgré nos différences. À nous d’en tirer avantage. Face à une homologue aux mains jointes derrière le dos, elle peinait à articuler, et se référer à Zech ne l’aidait guère. Si l’inquisiteur prêtait une oreille attentive à la discussion, sa mine s’était décomposée, entraînait l’inquiétude des mages.

— Notre crainte…, souffla-t-il. Celle que Godéra nous fauche les uns après les autres. Et si ce n’est pas elle, quelqu’un d’autre s’en chargera.

— Toujours aussi défaitiste ? redouta Docini. Pardonne-moi de ne pas avoir pu te soutenir dans ces moments difficiles, mais je croyais que Taarek et Janya étaient là…

— Ils le sont, plus que je ne l’aurais jamais exigé. Et comme vous m’avez secouru des inquisiteurs radicaux, cheffe, jamais je ne considèrerai que votre soutien est inexistant. Seulement… La peur reste présente. Elle me noue le ventre, me provoque des sueurs glacées. Il ne pourrait en être autrement, vu comment Saulen y est passé. Parfois, je visite sa tombe, et je m’excuse auprès de lui, sachant pertinemment que sa réponse sera juste un écho de ma propre invention.

— La perte de Saulen est tragique, mais tu es une personne différente. Ne te compare pas à lui.

— Qu’est-ce que ça change ? Les occasions de me rapprocher de lui n’ont pas manqué, pourtant, lorsqu’il a trépassé, je ne le connaissais toujours pas. Qui dit que je ne commettrai pas la même erreur que lui ?

— Car tu n’es pas consumé par la vengeance. Tu es mesuré et réfléchi.

Sur ces mots, Docini posa une main sur l’épaule de son ami, lequel tourna lentement la tête. Des étincelles grésillèrent sur sa figure toujours plissée au ravissement de Hatris. De bon conseil ? Zech reste un homme égaré. À l’approche de la fin, ses craintes sont d’autant plus fondées. Elle s’abstint toutefois de rire lorsqu’elle avisa l’expression d’Emiteffe. Des lignes de flux convergeaient en effet jusqu’à ses pieds, assombrissant la pièce, clouant les trois autres individus sur place.

— La situation est désespérée ? songea-t-elle. Les forces impériales paraissent insurmontables ? Peut-être, mais nous avons enchaîné des victoires, et nous avons repoussé beaucoup de nos ennemis vers le sud. Docini, tu es d’accord pour travailler de concert vers une stratégie gagnante, n’est-ce pas ? D’interminables années que je lutte, et une lueur point peut-être dans ce nuage d’opacité.

— Des triomphes impliquant une multitude de sacrifices, contrasta Docini. Hatris, ta vision m’a marquée… Je craignais qu’elle ne devienne réalité. Mais avec nos successives batailles, ces cauchemars sont devenus réalité.

— Mes excuses si je vous offense, mais cette peur est peut-être nécessaire. Parce qu’en ayant assisté au pire, nous nous vouerons corps et âme à éviter que le cataclysme ne survienne.

— Comment ? désespéra Zech. C’est le tout pour le tout, non ? La guerre pour votre survie et votre liberté dans cette région du monde. Si nous échouons…

— Je vais être franche : vous serez indispensables pour notre victoire. Tout comme le sera Taori. Ainsi que Horis Saiden, si nous parvenons à le libérer de cette immense prison. D’ailleurs…

Ce fut comme si un appel avait résonné.

Et la magie se devait d’être contenue quand quelqu’un d’extérieur faisait irruption.

Docini se rua vers la porte, où émergea un garde érubescent et aux dents claquantes. Il indiqua le couloir d’un bras tremblant.

— Quelles sont les nouvelles ? s’enquit la cheffe.

— Taori n’est plus dans la forteresse ! annonça-t-il. Elle serait partie la nuit dernière !

— La nuit dernière ? Mais une nouvelle nuit va bientôt tomber ! Pourquoi ne pas m’avoir prévenue plus tôt ?

— Jizo et Nwelli ont déjà accouru à sa recherche, aucun n’est revenu non plus. Nous ne voulions pas vous inquiéter…

— Je le suis, maintenant. Je vais rassembler un maximum de personnes. Nous la retrouverons aussi tôt que possible !

Le garde s’incurva face à l’inquisitrice, se précipita vers les escaliers attenants. Derrière lui sillonna un vide dont Docini se nourrit malgré elle. À sa hauteur, Zech s’interrogea sur les mesures à prendre, mais elle ne sut que répondre, et fonça sans plus attendre.

Désolée, Hatris et Emiteffe, cette conversation est enrichissante.

Mais je ne veux pas avoir secouru Taori en vain.

Pourquoi ? Je ne peux la blâmer d’avoir décampé mais… J’aimerais juste savoir.

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