Chapitre 49 : La réunion décisive (2/2)

9 minutes de lecture

Figé des minutes durant. Claquemuré dans ses pensées, comme s’il s’était trop mu, comme si c’était l’unique voie vers la paix.

Il avait tant perdu conscience de son environnement qu’il sursauta sitôt ramené. Dirnilla l’avait hélé avec un silence inévitable, aussi évita-t-il de la tancer. D’un index vacillant, elle indiqua la tente centrale d’une largeur remarquable.

— Évidemment, j’ai réussi à l’oublier ! pesta-t-il. Au milieu d’Erthenori, nous nous rapprochons de notre objectif final.

Dirnilla opina du chef puis emboîta le pas de son chef. À mesure qu’ils se rapprochèrent du lieu de réunion, un tintamarre grandissant leur percuta les tympans. Par dizaines, voire par centaines, soldats, gardes et mages s’incrustèrent au sein d’une conversation impliquant déjà une myriade de participants.

D’emblée Fliberth fut frappé par la cohérence entre la disposition de l’intérieur et les meneurs. Chacun d’entre eux était installé à distance égale au bord de la table circulaire centrale. Malgré la resplendissance de sa houppelande ivoirine jointe par sa cape ambrée, seules de rares bribes d’assurance constellaient les traits de Docini. En dépit des teintes béryl, turquoises et cramoisies de sa cuirasse, Dathom exhibait une sombre expression. Nonobstant la lourdeur de son armure de plaques anthracite contrastant avec sa peau ébène, Douneï se mouvait confortablement au sein de la teinte. Noki avait beau s’être attifée de son pourpoint coutumier, une lueur combattive étincelait en elle. Ils sont plus résolus que jamais.

Autour d’eux gravitaient tous ces femmes et hommes ayant prêté allégeance à la reconquête. Pour sûr que Fliberth n’en connaissait pas la totalité, mais il n’en ressentait guère la nécessité, appréhendant plutôt la flamme qu’ils se transmettaient. Dirnilla et lui se placèrent entre Vendri et Zech, lesquels leur acquiescèrent. Si d’autres figures étaient assises, la plupart des combattants restaient debout faute de trouver des sièges disponibles.

Le mutisme fut obtenu le temps que chacun fut installé. Docini souhaita alors s’exprimer, mais Dathom le devança :

— Était-ce nécessaire d’être aussi nombreux pour cette réunion stratégique ? s’agaça-t-il. Clairement, certains devraient dégager.

Il s’interrompit, foudroya Audelio et Sandena du regard, qui pourtant dépassaient à peine de l’entrée. À quoi rime cet acharnement ? Tous deux se décomposèrent avant qu’Édelle intervînt, assise juste à côté de sa partenaire.

— Ça suffit, maintenant ! Ils ont prouvé leur utilité à plus d’une reprise. Sans eux, peut-être que Soverak serait encore en liberté !

— Quelqu’un d’autre l’aurait arrêté de toute façon, contesta Dathom. D’ailleurs, qu’en est-il de lui ?

— Transféré à la plus grande prison de Nargylia, expliqua Docini, à l’instar d’Aïnore. Prolonger les interrogatoires aurait été une perte de temps. Ils vont désormais une peine de prison jusqu’à la fin de leur existence. Focalisons-nous sur nos ennemis de maintenant.

— C’est là que je regrette un peu l’abolition de la peine capitale, grogna Vendri. Mais bon, c’était déjà le cas avant ma naissance…

Vendri baissa la tête pour éviter toute vitupération. À sa surprise, elle n’avait pas attiré de foudre, tant ses alliés restaient focalisés sur la table centrale. Chaque meneur se consulta, désireux de s’exprimer, mais ce fut finalement Noki qui enchaîna :

— Vous désiriez un récapitulatif de la situation ? Très bien, je procèderai au plus vite. Depuis la disparition, et désormais mort avérée, de Koulad Tioumen, nous avons réussi à repousser les troupes myrrhéennes vers l’est. Vous n’avez pas manqué de bravoure non plus, sinon nous ne serions pas réunis ici. Il nous en faudra peut-être encore beaucoup pour les épreuves à venir.

— De l’autre côté, enchaîna Douneï, le front ouest s’est élargi. Suite à l’appel de Horis, mais aussi grâce aux révélations sur les Terres Désolées, des mages issus de moult pays voisins ont été inspirés. Tordwala, Komyr, Anomyr, Dunshamon, Diméria… même l’archipel Nimiyu propose d’envoyer des renforts ! Ainsi les troupes myrrhéennes de leurs forces dans chacune des régions ouest. Leurs forces se rassemblent cependant à Amberadie, Doroniak, Nilaï et Souniera. Restons vigilants !

Dommage que tu ne sois pas là, Muzinda. Une preuve supplémentaire que notre quête n’était pas vaine. Sondant les réactions dans l’assemblée, partagée entre satisfaction et inquiétude, Fliberth remarqua le sourire incongru de Wenzina et Tréham. Après quoi son regard se reporta vers ses alliés dont les tremblements se transmettaient jusqu’à lui. En particulier, les mains moites de Docini ripèrent sur la surface de la table.

— Des bonnes nouvelles, concéda-t-elle. Mais malgré nos précédentes triomphes, les forces belurdoises restent puissantes. Une cinquantaine de nos éclaireurs en ont déjà payé le prix… Godéra fauche toujours autant d’âmes innocentes.

— Et votre mère ne peut rien y faire ? se gaussa Dathom. Elle qui insistait pour la paix, elle préfère la réclamer avec la plus raisonnable des deux sœurs !

Si Docini feignit de ne point l’entendre, du sang bouillonna en Édelle. Elle plaqua sa lame sur la table et la fit crisser tout en toisant le chef militaire. À quoi sert cet homme à part provoquer ? On dirait qu’il fait exprès d’orienter notre colère contre lui… À défaut de ralentir sa compagne, la meneuse de l’inquisition modérée céda la parole à Noki, laquelle s’adossa pour se mettre en exergue.

— Je vois clair dans ton expression, lança-t-elle. Docini, même si ton rôle de cheffe t’a incombée récemment, tu ne manques pas de talent militaire. Et je parle d’expérience ! Donc tu peux formuler ta proposition sans frayeur.

— Très bien, dit Docini se raclant la gorge. Je pense que nous devons proposer un ultimatum à Bennenike. Soit elle se rend sans condition, soit nous attaquerons Amberadie au plus tôt.

Des murmures de stupéfaction se propagèrent telle une irrépressible vague. Calés, les combattants restèrent bouche bée. Même si des propos restaient vagues, il ressortait les raisons de cette décision tout comme ses implications. Nous savions que nous devrions attaquer Amberadie, mais une reddition ? Docini ne m’avait pas donc pas tout confié.

Il suffit d’un court ricanement de Dathom pour que Noki réagît. Bien des cœurs ratèrent un bond lorsqu’elle fracassa ses coudes sur la table, des étincelles fendant ses iris.

— Encore du mépris ? accusa-t-elle. Pour quelle raison, cette fois-ci ?

— Car cette idée est stupide ! s’écria Dathom. Vous avez entendu Douneï comme moi, non ? Bennenike rassemble la plus grande armée imaginable ! Au lieu d’attribuer mes victoires à Docini, tu aurais dû te rendre compte qu’elles n’étaient que temporaires. L’impératrice n’est pas en position de faiblesse, contrairement à ce que vous croyez.

— Il y a du vrai dans ce que vous racontez, accorda Douneï. Après tout, j’étais peut-être naïf de croire que son neveu la vaincrait. Nous devons au moins essayer.

— De plus, s’imposa Noki, tu n’es pas fin observateur, Dathom. Certains ont besoin d’un rappel.

D’un marbre incassable se pavait son visage. Peu se détournaient de son implacable regard au moment où Noki claqua des doigts. Plusieurs bousculades survinrent, mais les individus sur leur chemin finirent par s’écarter, et cédèrent la place à la prisonnière de valeur. Reino tenait Dénou par l’avant-bras, évitait d’appliquer trop de force, pourtant des rictus de douleur la tenaillaient. L’adolescente manquait de se décomposer par-devers cette abondance d’hostilité. La nièce de l’impératrice. Encore quelqu’un que j’ai oublié…

Reino positionna Dénou à portée de sa cheffe, qui lui saisit le menton et la désigna aux autres meneurs.

— Nous avons une précieuse otage, se targua Noki. Voici l’occasion idéale de nous en servir.

— Je reste sceptique, commenta Dathom. Bennenike serait prête à échanger sa victoire contre un membre de famille ? Dois-je vous rappeler ce qu’elle a fait à son neveu ?

— Il l’a mérité ! s’exclama Dénou.

— Phedeas a soulevé une rébellion pour la renverser, mentionna Noki. Dénou lui est toujours restée fidèle. Évidemment qu’elle la porte davantage dans son cœur !

— Et ça suffira pour la faire céder ? J’en doute. Mais essayez si ça vous chante, c’est dans les erreurs qu’on apprend.

Un silence s’ensuivit. Des invectives furent gardées pendant que des dédains fusèrent. Noki cherchait encore ses mots, si bien que Médis s’imposa en se relevant.

— Ils ont aussi un otage ! rappela-t-elle. Et pas des moindres. Bennenike n’hésitera aucunement à utiliser Horis pour nous faire pression.

— Ton manque d’objectivité est flagrant, critiqua Dathom. On nous rabâche ce nom en permanence, jusqu’à lassitude ! Horis Saiden n’est pas votre sauveur. Dépendre d’une seule personne pour triompher est une décision coûteuse.

— Horis en est conscient, mais tout de même, il est de notre ami, et nous devons le secourir ! Tout comme Oranne, qui a apparemment traversé ce portail…

— Oh oui, j’ai entendu parler d’elle. La fiancée de feu Phedeas. Ce sont eux, vos indispensables alliés ? Médis, à ta place, je ne l’ouvrirais pas autant. Tu as le don de suivre les mauvaises personnes, après tout. Tomber amoureuse du même homme qui a brûlé vive ta sœur jumelle avant de détruire Doroniak, quelle idée !

— J’ignorais qu’il sombrerait… Et je l’ai tué avec Horis. Pouvons-nous tourner la page, à présent ? Ça fait plus d’un an, voire presque deux ! Pas besoin de réveiller une douleur encore présente !

— Mon point reste le même. Je ne dis pas que Horis doit mourir, juste qu’il est cerné dans les murailles d’Amberadie. Nous devons nous débrouiller sans lui. Et nous avons de quoi faire ! Quid de Taori, avec ses pouvoirs phénoménaux ? Quid de Hatris dans l’esprit de Zech ? Sans parler d’Emiteffe, qui rendra peut-être enfin Docini compétente !

L’un après l’autre, Édelle, Jizo et Janya foudroyèrent le chef militaire des yeux. Taori avait bien précisé qu’elle ne voulait pas être utilisée comme arme. Des insultes se perdirent au sein du tintamarre. S’intensifiait un bruit si étouffant que nul ne réussit à s’entendre. Résonnaient les mots au lieu du métal et du flux. Les volontés peinèrent à s’imposer dans ce capharnaüm. Chaque propos s’amalgamait dans un ensemble confus.

Il y en avait pourtant un dont la voix tonna davantage. Les découragements de Dirnilla ne suffirent guère à modérer son impulsion. À brûle-pourpoint, retroussant ses manches, Fliberth se précipita vers Dathom. Le concerné ne cilla d’abord pas, malgré les yeux écarquillés partout dans la tente, mais il aperçut le garde se rapprocher.

Alors il se leva et le fixa de pleine hargne.

— Tu me veux quoi, toi ? lâcha-t-il.

— Expliquez-nous, répliqua Fliberth. Pourquoi vous vous comportez de manière aussi odieuse ?

— Depuis quand j’ai des comptes à te rendre ?

— Depuis que vous agacez chacune des personnes présentes ici !

— Je n’ai pas être à sympathique avec qui que ce soit. Je ne me réfère qu’aux souverains de l’Enthelian, compatriote. Eux seuls méritent mon respect, les autres quelques rectifications.

— C’est par l’entraide que nous nous renforçons. Tel a toujours été le credo de l’unité de gardes que je dirige depuis des années. J’imaginais naïvement que les militaires partageaient cette même pensée.

— Et où t’a menée cette doctrine ? Au chagrin et à l’exil ? Oui, Fliberth, ta femme est morte, et c’est bien malheureux. Mais moi aussi, j’ai dû enterrer d’innombrables proches ! Tu n’es pas le seul à avoir souffert.

— Je n’ai jamais prétendu ça.

— Pourtant… C’est ce qui transparaît dans tes yeux. La sensation d’être plus important que tu ne l’es. Réveille-toi, Fliberth ! Tu es entouré de figures bien plus puissantes que toi. Défendre une frontière, c’est joli, mais quand survient la guerre, laisse les spécialistes s’exprimer !

Ses nerfs s’étaient crispés. Ses lèvres menaçaient de se fendre. Ses poings étaient sur le point de craquer. Ni une, ni deux, Fliberth agrippa Dathom par le torse. Il le plaqua sur la table dans la clameur générale, ce nonobstant sa stature. Il était prêt à le rudoyer, à lui infliger une multitude de coups, mais Zech et Taarek le retinrent à temps.

— On ne gagne pas une guerre ainsi ! beugla-t-il. Vous êtes un beau parleur, Dathom, mais vos exploits militaires relèvent du passé ! Arrêtez de rejeter quiconque essaie d’aider !

— Tu m’as agressé…, grogna Dathom en hoquetant. Même si tu n’es pas de l’armée, ce que tu viens de commettre est un crime.

— Incarcérez-moi si ça vous fait plaisir. Après la guerre, seulement si nous avons la chance de survivre. En attendant, nous aurons besoin de chaque combattant. Bouclez-la jusque-là.

Fliberth n’eut pas besoin de se débattre ni de défier son contempteur. Enfin sentit-il ses muscles se décontracter et son faciès se dérider. Il contourna la table et ignora la stupeur collective à laquelle seule Vendri faisait exception par ses pouces levées. Bientôt, mû par un mutisme presque cérémonieux, il abandonna cette réunion qui n’était plus la sienne.

Il ignora même si elle se poursuivit sans lui.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0