Chapitre 50 : À l'aube des effusions (3/3)

6 minutes de lecture

Noki claqua des doigts tout en examinant farouchement la despote. Il fallait que ce soit elle, bien sûr…

— Cette rencontre n’a que trop duré ! s’exclama-t-elle. C’est un moment important pour vous. Mais là, vous retardez surtout l’échéance. Impératrice ! Si nous nous sommes rendus jusqu’ici, c’est parce que nous nous apprêtons à marcher sur Amberadie. Nous vous donnons une chance de vous rendre. Abandonnez votre trône et ces lois mortifères seront abrogées. D’innombrables vies seront épargnées !

— Chère félonne, rétorqua Bennenike. Étais-tu sourde au moment où je mentionnais la puissance de mon armée ? Votre union est impressionnante, certes. Malheureusement pour vous, elle ne suffira pas à renverser une dynastie millénaire.

— J’avais anticipé une réponse. Voyons voir si je peux vous persuader…

Comme la dernière fois. Des troupes alliées surgit l’unique ennemie malgré elle. Reino agrippait Dénou par le coude, dont les gémissements s’étaient affadis au contraire des plis de son visage. Il confia l’otage à sa cheffe qui la força à se mettre sur ses genoux, avant de coller sa lame au ras de sa gorge.

— Rendez-la-nous ! rugit Badeni.

Son sang avait bouillonné, son hurlement avait suivi. La milicienne manqua de charger, s’immobilisa à l’intervention de son impératrice.

Inclinant du chef, Bennenike observa longuement sa nièce. À l’allégement de ses traits tourbillonnèrent de solides liens, que même Docini décelait. C’était un échange où elles se renforcèrent. Un rapprochement si longtemps désiré que seul séparait le luisant acier.

Dénou était captive et ne trémulait pas. Elle ne flanchait pas et était digne. La menace plane pour elle, mais elle se sent protégée par sa tante.

— Arrête, Noki ! s’écria Douneï. Elle a à peine seize ans !

— Ne t’en mêle pas ! s’opposa Noki. Je me répète pour une dernière fois. Des vies peuvent être sauvées ! Y compris celle de Dénou.

— Tu renoncerais donc à toute moralité ? défia Bennenike.

— Qui parle ? Après toutes ces personnes que vous avez tuées ? Ségowé était à peine plus âgée que Dénou !

— Il fallait bien me défendre. Et puis, ne te prétendais-tu pas meilleure que moi ? Tu trahirais tes principes ?

— Vous ne me laissez pas le choix que de me salir les mains.

— De surcroît, tu te dédouanes de toute responsabilité ?

— Cessez de prendre ce ton ! C’est la vie de votre nièce qui est en jeu !

Des voix de protestation s’élevèrent. À leurs agitations contrastaient l’immobilisme d’autrui, dont Docini qui flageolait trop pour intervenir. Elle va vraiment le faire ? Comme si les autres témoins n’existaient guère, Bennenike et Dénou s’échangèrent un coup d’œil assuré, quoique teinté de détresse.

— Pardonne-moi, murmura l’impératrice.

— Je comprends, dit sa nièce. C’aurait dû être clair depuis le début. Un sacrifice pour le bien de l’empire.

— Tu n’aurais pas dû être condamnée. Je n’aurais pas dû les laisser te capturer !

— J’ai failli de mon côté aussi… Les regrets m’accablent. Je rêvais encore d’un bel avenir tout en craignant de ne pas pouvoir y assister. Vous me vengerez, pas vrai ?

— Assurément.

— Alors je suis prête.

Noki ne leur accorda aucune seconde supplémentaire. Un net cisaillement déchira leur lien comme la gorge de l’adolescente. Ce fut sous une courte agonie et de longs sanglots que Dénou s’endormit. Étendue sur le sol, la figure dépourvue d’expression, inerte pour l’éternité.

Des miliciens se précipitèrent, mais son cœur avait déjà cessé de battre.

Bennenike la recueillit, ses bras écrasés par le poids de son corps fragilisé. Deux larmes coulèrent sur chacune de ses tempes. Une vague de beuglements surgit à même le mutisme glaçant dont se paraient les troupes alliées. Discrète, en retrait, Docini sentit un pincement de son organe vital.

Dénou était notre ennemie. Méritait-elle ce sort pour autant ?

Quoi qu’il en soit, la reddition n’est pas une option envisageable. L’a-t-elle seulement été ?

Jamais personne n’avait aperçu la dirigeante avec une mine aussi sombre. De prime abord, seule Noki endurait l’inclémence de son regard prompt à fendre des montagnes. Tous le subirent à peine quelques instants plus tard.

— Il n’y aura aucune paix tant que les sables du désert ne vous auront pas ensevelis. Votre rébellion ne sera qu’un sinistre vestige, comme chacune des précédentes. Je vous attendrai dans les murailles d’Amberadie. Avec mes armées, je vous écraserai les uns après les autres. Votre avantage ne sera plus. Vous ne serez plus.

Un tableau diapré d’une pléthore de couleurs, et pourtant ténébreux, s’imprima dans l’âme de chacun des témoins. Le fluide vermeil ne jaillissait plus, mais ce n’était que temporaire. Là où collisionnaient d’opposées volontés se reposaient armes et flux dans une attente fatidique. Avant de faire volte-face, portant encore sa nièce, Bennenike s’assura de transpercer chacun de ses adversaires du regard. Luisaient les plis de sa cape écarlate comme ses foulées se marquèrent, résonnant presque dans ta structure et les élévations rocheuses. L’on eût cru qu’une tempête de sable enfouirait des malheureux égarés. L’on eût imaginé que les desseins impériaux engloutiraient quiconque sillonnerait dans leur sillage.

Notre ennemie ultime, fit Emiteffe. Sous aucun prétexte, nous ne devons la sous-estimer.

C’était inévitable, sans espoir. Peut-être que bientôt, nous nous dresserons désespérément, l’épée au poing ou un sort contenu dans notre paume. Tout s’effondrera, tout sera détruit. Les survivants, s’il y en a, témoigneront d’une des plus violentes batailles de l’histoire de l’humanité.

Que je le veuille ou non, j’en serai une des figures principales.

Un morne silence circulait tel le vent au sein de l’assemblée. Pas plus de quelques heures leur suffirent à retourner dans leur campement, mais ils sentirent une pression les broyer, grandissant à mesure qu’ils cheminaient entre les dunes. Certains réclamèrent du soutien, d’autres tressaillirent de plus belle. Quand frappaient l’aura de la despote, l’impact restait net malgré leur éloignement.

Dès leur retour, le devoir leur incombait de tout raconter à la majorité restante de leurs troupes, quoique leurs traits plissés transmettaient déjà la menace. Docini souffrait de crampes et douleurs aux muscles qui s’amplifiait à force de repenser à la rencontre. Elle se réfugia donc dans sa tente au mépris des recommandations, s’engouffra dans une lumière tamisée dans laquelle elle espérait s’épanouir.

On me jugera égoïste. Le temps d’un soir seulement, j’espère. J’en ai besoin.

Un modeste ameublement s’étendait autour du poteau central soutenant la toile anthracite. À peine l’inquisitrice s’attarda sur le guéridon, la table basse et le tabouret, mais le lit attira son attention. Elle était si proche de s’y affaler. De tout abandonner. De se réfugier. Jusqu’à prendre conscience de la résurgence des affres lors de ses cauchemars.

Ses dents claquèrent. Son faciès pâlissait. De la sueur exsuda de son front. Plus elle songeait à cet amalgame de glas et des grondements, plus son corps se mettait à vaciller.

Quelqu’un la rattrapa de justesse. Un tendre bas s'enroula autour de sa taille. Une tête délicate se posa sur ses épaules.

— Nous survivrons, déclara Édelle. Mieux, même. Nous remporterons la victoire.

— Comment tu peux en être si certaine ? douta Docini.

— Je ne le suis pas. J’envisage le meilleur. Ainsi que notre avenir ensemble.

Inopinément, une couronne de jonquilles et de gerberas coiffa bientôt Docini. Soudain son cœur cogna sa cage thoracique. Elle inspira avant de songer à la symbolique du geste. Alors ses muscles se détendirent et un long sourire l’enveloppa toute entière. C’est bien ce que je pense ? Des traits ravissants accueillirent la cheffe sitôt retournée. Celle qui tremblait naguère avait désormais les mains jointes et les joues empourprées.

— Une demande en mariage ? s’étonna Docini.

Édelle opina résolument.

— Mais… Il me semble que c’est encore interdit entre femmes et entre hommes en Belurdie.

— Pas si la loi change lors de lendemains meilleurs. Nous pouvons aussi être naturalisées enthelianaises. Nous trouverons une solution. Mais avant de décider, ta réponse est nécessaire.

Jamais Docini n’avait acquiescé avec d’alégresse.

Jamais Édelle ne l’avait enlacée aussi vite.

Toutes deux savourèrent ce moment jusqu’à la dernière minute. De doux gémissements ponctuèrent leur long baiser pendant qu’elles se déshabillaient mutuellement. Une fois leurs vêtements à terre, elles se glissèrent sous leurs draps, armées d’un sourire complice. Par leurs bras elles se fortifièrent, par leurs jambes elles profitèrent. Où qu’elle fût, Édelle gratifiait Docini de ronronnements de plaisir. Où qu’elles fussent, derrière l’intensité de leur regard, le crépuscule se dorait de leur présence.

Elles éteignirent la bougie. Affrontèrent l’obscurité ensemble. S’embrassèrent encore. Pour qu’aucune intruse pensée ne les envahît. Pour qu’elles jouissent enfin du repos à la veille des craintes aurores.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0