Chapitre 53 : Le prisonnier

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HORIS


Que fait un individu lorsqu’il se sait condamné ? Même si je vaincs Nafda, jamais Bennenike ne me laissera libre, encore moins libre.

Autour du mage ondulait une certaine forme de néant. Nul captif ne l’accompagnait dans l’opacité : certains avaient rencontré la fatalité au sein de l’arène, d’autres remplissaient les cellules en un autre lieu. Quoi qu’il en fût, Horis était seul.

Un soupir prolongé brisa le lugubre mutisme. Il était entravé, des marques courant sur ses poignets. Les chaînes en kurta l’immobilisaient dans une position inconfortable : agenouillé, bras tendus et écartés. Il était strié de plaies peinant à cicatriser, emprisonné dans une salle basse et exigüe, coincé entre des murs froids et effrités. Ici ses doléances se répercuteraient juste sur les anfractuosités de la pierre. Ici son souffle s’éteindrait, telle une goutte dissoute au milieu d’un bassin d’obscurité.

Peut-être qu’araignées et chauve-souris se baguenaudaient dans cette apparente caverne. Guère de quoi les combler, pour sûr, mais Horis percevrait nettement leurs stridulations.

Le pire emplacement où être en ce moment. Quitte à périr, ce devrait être hors d’un chemin balisé que mes ennemis ont sélectionné pour moi. Je dois me battre ! Il me reste une once d’énergie à employer à bon escient…

Horis se claquemura dans une méditation par laquelle il se fortifierait. Hélas, il n’en ressentait pas la motivation.

Il s’y évertuerait pour tuer l’ennemi.

Alors son monde s’élargit en un océan de pensées dissonantes. Émergèrent des lumières certes éblouissantes, pourtant salvatrices, capables de le hisser hors de ces méandres. Là où son flux se déploierait et les adversaires de naguère seraient figés dans une expression de terreur. Pour celles et ceux qui n’étaient pas cendres et poussière.

C’est ce que je suis ? L’incarnation du chaos et de la destruction ? D’aucuns diraient que je donne raison à mes opposants. Leur haine, leurs préjugés, leur soi-disant riposte.

Mais non. Ça a toujours été mon ambition. Apprendre la magie à des fins combattives. Je me souviens de ces noms. Guduria Monhech, héroïne du sud de Souniera, ayant repoussé une flotte entière issue de l’archipel Nimiyu avec seulement une centaine de mages à ses côtés ! Dusrille Fésil, archère du Belkimgha, qui a introduit la magie à son armée pour se défendre contre l’invasion de la Fodanie ! Nimori Koladi, le plus fin sabreur des îles Koneraï, dont la maîtrise de la magie l’a aidé à s’inscrire dans la légende !

Des figures exceptionnelles… Ou bien trop louangées, qui n’auraient jamais rien accompli sans les efforts de leur entourage ?

Horis eut envie de lâcher prise. Mais l’occasion ne lui serait guère offert de sitôt. Pas une once de flux ne s’écoulait librement tant le kurta l’enserrait. Peu importaient les enseignements de Yuma et Khanir s’il se retrouvait dans une telle incapacité.

La violence, oui… J’y aurai recours, comme avant. Parce que je n’aurai pas d’autres choix. Une vengeance aveugle est à proscrire, mais je dois tout de même éliminer la menace. Pour toutes ces personnes souffrant encore de ces chaînes desquelles ils ne peuvent se délivrer.

Des torches s’illuminèrent au bout du couloir. Horis l’identifia dès qu’il aperçut son ombre, dès qu’il entendit ses pas. Avec sa paire de dagues courbes attachés à sa ceinture, tout comme le rictus dont elle se parait, Nafda semblait déjà prête à exécuter sa sentence. Elle progressa de plus en plus lentement à mesure qu’elle se centra dans la vision de Horis.

Lequel soupira mais la fixa malgré tout. De la foudre paraissait jaillir des deux paires d’yeux. De la tension s’exacerbait à la prolongation du mutisme. Face à face, le mage et l’assassin livraient leur sempiternel duel.

— Tu ne t’en lasses jamais, marmonna Horis.

Une onde d’empathie plissa les durs traits de Nafda.

— Je ne suis pas ici pour te voir souffrir, déclara-t-elle. Plutôt car ce sera notre dernière opportunité d’échanger avant…

— Notre duel ? fit le mage. Tu as l’air d’y tenir. Sinon tu ne m’aurais pas sauvé, ce jour-là.

— C’est pour mieux t’achever moi-même. Tu l’as réalisé, j’espère ?

— Je commence à en douter.

La main de Nafda vola au barreau qu’elle enserra avec violence, grinçant des dents à l’intention de son interlocuteur. Si susceptible ?

— Notre alliance était temporaire et inévitable. Leid et Niel sont morts, la bête aussi, et nous sommes finalement libérés de leur oppression ! Tu es mon ennemi naturel, Horis, et il en sera toujours ainsi.

— Tu sonnes comme si tu voulais t’en persuader. Admets-le, Nafda. Mon esprit s’appesantit encore de leur présence, tels des stigmates. Il est en perpétuel évolution, comme le tien.

Nafda était sur le point de fulminer. Quelques provocations supplémentaires et les lames scintilleraient dans ces profondeurs. Juste avant de défourailler, elle se bloqua dans un mouvement, grognant sans subtilité. À elle de savoir si elle doit se révéler. Elle recula, inspira, se raidit.

— Qu’espères-tu m’entendre dire ? répliqua-t-elle. Que je dois abandonner les armes ? Renoncer à la raison même pour laquelle j’ai été formée ! Je n’étais personne avant que Bennenike me recueille ! Devenir son assassin personnelle justifie mon existence même !

— Tu l’envisages, se réjouit Horis. Et si nos rôles s’inverseraient, encore une fois ? Comment réagirais-tu ?

— Tu t’attends à ce que je sois jugée ? Mes actes sont considérés légitimes par le pouvoir actuel, mais s’il est renversé, ce sera une autre histoire. Je ne serai plus bourreau.

— Peut-être que tu apprendras. Qu’est-ce que ces assassinats t’ont apportée, d’ailleurs ? Faire plaisir à ton impératrice ? Un sentiment de puissance ? Une impression d’apporter la justice ? De rendre l’empire meilleur ?

— Celui d’accomplir mon devoir.

— Laisse-moi rire glacialement. En ce moment, l’Empire Myrrhéen est tout sauf un havre de paix. Comprends-tu seulement les enjeux ?

— Tu me crois stupide ? Juste un cœur sec, une arme vivante tout juste bonne à réaliser la volonté de son impératrice ? Elle m’a recueillie alors que la mort me guettait, alors que j’errais telle une nécessiteuse dans la capitale. Elle m’a ouvert au monde. Ces enseignements allaient au-delà de la voie des dagues. Pourquoi aurais-je survécu jusqu’ici sinon, même si j’ai essuyé quelques défaites ? Ne me sous-estime pas, Horis.

— Je n’ai aucun doute sur tes talents. Plutôt sur ton allégeance à Bennenike.

— Je lui serai loyale jusqu’à la mort !

— Pourtant… Tu ne la louanges pas comme autrefois. Ne me mens pas, Nafda. De l’hésitation transparaît dans ton timbre de voix. Comme jamais auparavant.

Nafda se retourna. Ainsi je ne peux déceler son expression. Habile, mais j’ai d’autres manières de te cerner. Bras parallèles au corps, légèrement inclinée vers l’avant, elle s’incarnait à la fois comme inaccessible et vulnérable. Même sans la détailler, Horis la sonda des pieds à la tête, comme en l’attente d’une illumination.

— Toutes ces années, se remémora-t-elle, j’ai soutenu Bennenike sans me poser de questions, ou à peine. J’aurais voulu imputer ma loyauté vacillante à ces maudits espions, mais… Je ne peux plus. J’ai l’impression que l’impératrice commence à perdre la raison.

— J’admire cette franchise, concéda son interlocuteur.

— Ce sont des signes de désespoir. Après tant de défaites, la mort de son mari, puis de sa nièce… Elle réalise que son empire n’est ni invincible et éternel, pour la première fois. Un choc non négligeable, tu t’imagines bien.

— Tu y as contribué. Je n’ai eu aucun rôle dans la mort de Koulad.

— Je… Je croyais qu’elle s’en remettrait ! Qu’elle mènerait une courte cérémonie, puis qu’elle épouserait un autre homme, exactement comme les deux précédents ! Ce n’était pas censé la chagriner autant ! Peut-être qu’en effet, je la connaissais mal.

— Peut-être que oui.

Moult invectives assaillirent bien qu’elles fussent prononcées à voix basse. Plus la conversation se prolongeait et plus l’assassin s’éloignait du mage, sans que leur lien faiblît.

— Bennenike tient à son peuple, dit Nafda. C’était une vérité fondamentale. Pourquoi elle les retient en otage au lieu de les laisser évacuer la cité tant qu’il en est encore temps ?

— Car c’est une despote sans scrupule qui a bâti son règne dans le sang, justifia Horis.

— User de violence pour recourir à ses fins est en principe une bonne chose. Tant que le sang des coupables coule et non celui des innocents.

— Cette définition a toujours été arbitraire, récupérée à des ambitions de conquête. Bennenike l’illustre parfaitement.

— Finalement, je te comprends mieux. C’est l’effondrement total que tu souhaites.

— En vue de reconstruire une société plus saine, où plus personne ne souffrira.

— Depuis des millénaires, l’humanité s’entretue dans d’interminables guerres, et pour toutes les raisons imaginables ! On ne peut changer. Même si tu renverses l’empire, difficile depuis cette cage, la paix ne durera pas.

— Cela, nous ne le saurons que dans ce cas. Vient la dernière question, Nafda : es-tu prête à te sacrifier pour cet empire ?

Le silence hanta davantage Horis que n’importe quelle autre réponse. Nafda essaya de le fixer, mais même ce simple geste requérait plus d’impulsion. Au lieu de quoi elle continua de progresser par-delà le rideau de ténèbres. Vers la lumière où elle retrouverait Horis en temps voulu. Là où le sang bouillonnerait et jaillirait, là où la collision entre le flux et le métal se propagerait au-delà de ces deux individus.

Dans les ramifications du Palais Impérial, un jeune homme attendait sa sentence. Non que cette perspective l’enchantât, toutefois brûlait-il à l’idée de marcher de nouveau à la nitescence de l’astre du jour.

Les chaînes ne cessaient de l’entraver. Malgré tout, immobilisé dans la froideur et la saleté, il réussit à esquisser un sourire.

La victoire est encore possible.

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