Chapitre 57 : Le joyau du désert (3/3)

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— Non ! tonna Docini. Pas encore ! Pas une fois de plus !

Un bramement déformé s’échappa de la bouche de l’inquisitrice. Son aînée eut à peine le temps d’extraire la victime de sa lame qu’elle aperçut une fissure se propager, issue de la lame même de sa cadette. Le sol se lézardait d’un sort qui lacéra chaque inquisiteur radical se dressant entre Docini et Godéra. Cette dernière fit alors face à une version atténuée qu’elle dévia de son épée ensanglantée, quoiqu’elle lui laissât une profonde estafilade sur sa joue.

— Vous vous acharnez sur moi ! grogna-t-elle en abaissant son arme. Je vous tuerai un par un ! Mais en attendant, vous m’obligez à me replier !

Quoi ? Elle détale encore ? Godéra allia le geste à la parole. Vers le sud s’opéra un mouvement de masse, surtout composé d’inquisiteurs radicaux, changeant brutalement la configuration du champ de bataille. Ils parvinrent à se hisser un chemin de l’autre côté des murailles bien que moult opposants leur bloquassent leur passage.

Les alliés eurent beau être secoués, des nerfs eurent beau se tordre jusqu’à la moelle des os, ils ne se lancèrent pas de suite à sa poursuite.

Au lieu de quoi ils se précipitèrent vers Zech, Taarek en priorité. Un trou béant et ensanglanté lui transperçait le torse. Son bras et son épée trônaient entre les déchirures de la terre. Pourtant, nonobstant son teint blafard, il ne s’était pas encore écroulé.

— Ha…, murmura-t-il. Tu nous… maintiens en vie, Hatris ? Bien gentil… Mais, il y a encore… quelque chose à accomplir. Quelqu’un devait bien le faire.

Par ses paroles, Zech plongea ses alliés dans l’incompréhension, ce alors qu’il restait à genoux et que ses deux avant-bras oscillaient. Nous devons le secourir, vite ! Personne n’avait cessé de sprinter pendant qu’il restait immobile. Comme si les lamentations se glissaient avec délicatesse dans ses tympans, comme s’il était focalisé sur toute autre chose. En l’occurrence, un blanc uniforme colorait désormais ses yeux.

Que fait-il ? Docini, Édelle, Janya, Fliberth et Vendri ne se situaient plus qu’à quelques mètres de lui, rattrapant bientôt Taarek. Or ce dernier laissait Zech œuvrer en dépit du torrent de larmes noyant son faciès. Zech s’inclina légèrement et, d’un geste sec, déposa sa paume sur le sol.

Une lumière bleutée en jaillit intensément. Parcourut des centaines de mètres en une fraction de seconde. Et la cible déjà endommagée fut frappée de plein fouet par toute la puissance accumulée.

Des pierres décollèrent telles des projectiles. Bientôt la structure s’effondra sur un large rayon, et des miliciens désemparés chutèrent dans des masses opaques de poussière. D’autres, aux pieds des murailles, finirent ensevelis. Mais la clameur aussi forte fût-elle parut bien minime en comparaison de l’effondrement. Une nouvelle brèche stria les murailles, interrompit la lutte de milliers de belligérants estomaqués.

Ils ont réussi. Bon sang, ils ont réussi ! Un instant durant, oubliant tout le reste, Docini se claquemura dans la contemplation de cette ouverture. Bien vite cessa-t-elle de s’émerveiller tant la violence se propagea ici-bas. Des rangées défensives se conglomérèrent à toute vitesse tandis que leurs alliés saisirent cette opportunité à foulées immodérées. La cheffe entreprit de s’y engouffrer. Un tel passage, même autant sollicité, va renverser le cours du champ de bataille !

— N’y allez pas tout de suite ! supplia Taarek. Il a besoin de soins de toute urgence !

Docini recula, brutalement ramenée à la réalité. Une autre zone d’accalmie perçait le terrain d’affrontement sans qu’aucune allégresse n’y fût prononcé. Pour cause, ses alliés s’étaient rassemblés autour de Zech, couché dans les bras de son meilleur ami. Les sanglots se répercutèrent tant que la meneuse s’en retrouva contaminée.

Zech glaviota une gerbe de sang à la détresse des confrères et consœurs de toujours. Ses yeux, en revanche, avaient recouvert leurs nuances habituelles.

— Je le savais…, souffla-t-il. C’est ce qu’on craignait… depuis longtemps. Je m’y étais préparé.

— Hé, mon pote ! interpella Taarek. Tu ne vas pas nous abandonner, hein ? Pas après toutes ces années ensemble !

— L’un de nous devait survivre… Ce sera toi, Taarek. Merci… Pour m’avoir délivré des tortures de Godéra. Je voulais te rendre la pareille.

— Mais elle a fini par t’avoir !

Un sourire allégea Zech à défaut d’autrui. Des tressaillements paralysaient presque son bras restant usé par la magie, pourtant il s’ingénia à la soulever, et à la déposer sur les joues inondées de larmes de son meilleur ami. C’est trop… Sommes-nous impuissants face à chaque tragédie ?

— Zech…, murmura Janya, la figure déformée par les pleurs. Hatris… Pitié, ne nous quittez pas.

Le jeune homme se tourna vers ses compagnons. Il faiblissait davantage à chaque seconde, mais maintint son regard comme sa main sur le visage de Taarek.

— Je vous mentirai si je disais que je partais en paix, déclara-t-il. Ai-je été utile ?

— Bien sûr ! rassura son meilleur ami. Nous n’avons jamais douté de toi !

Des déchirements surenchérirent au moment où Zech perdit ses ultimes forces. Il pantelait tant qu’il échouait à articuler correctement. Après quelques secondes de silence, parfois entrecoupées de nouveaux sanglots, il fixa profondément le ciel.

— N’aie pas peur, Hatris… Ce fut un beau voyage, n’est-ce pas ? Je suis fier… de t’avoir rencontré, de m’être battu à tes côtés. À présent… Nous devons abandonner nos amis. Affrontons cette ultime épreuve ensemble.

Il n’y eut d’abord que le mutisme. Le temps de réaliser que Zech gardait les yeux ouverts, qu’il avait expiré son dernier souffle. Et qu’avec la perte de son corps partaient deux âmes pour ne jamais revenir.

Des flots de larmes s’emparèrent de ses plus proches batailles pour qui la bataille connaissait une nette interruption. Plus aucun cri ne les cernait, sinon les leurs. Docini menaça de s’écrouler tant elle était submergée, et elle constata non sans se dolenter que c’était similaire pour ses amis.

Adieu, Hatris, chuchota Emiteffe. Tu as lié directement ton âme à celle de Zech, consciente que tu partirais avec lui. Tu auras su reporter ton départ de plusieurs années, mais tu savais que cela arriverait d’un jour ou l’autre. Même si tu ne nous entends plus, sache que tu as fait preuve d’un immense courage, et que nous l’honorerons.

Alors qu’ils n’avaient pas fini de faire leur deuil, la bataille faisait encore rage autour d’eux, les obligeant à bientôt retourner dans la mêlée. Vendri tapa du pied sur la terre lézardée, tonna en direction du sud.

— Enfoirée ! Maudite sois-tu, Godéra ! Tu vas massacrer encore combien de nos amis, comme ça ?

L’épée dégainée, le sang bouillonnant, la garde s’apprêta à s’exécuter. Toutefois Docini héla une poignée de subordonnées et l’arrêta sur sa lancée.

— Je m’en occupe ! décida-t-elle.

— Toute seule ? s’étonna Janya. Non, vous avez vu combien elle était impitoyable ! Vous ne pouvez pas…

— Écoutez-moi ! Je ne la laisserai plus personne ! Si Zech craignait ce qui pouvait arriver, moi aussi ! Ce sera elle contre moi, achevant ce qui avait été débuté.

Docini s’interrompit, céda rapidement le champ de bataille, puis désigna Fliberth.

— Guide-les jusqu’à la brèche, ordonna-t-elle. Nous devons faire une percée, profiter de cet avantage !

— Je dirige cette unité de gardes et de mages depuis des années, répondit Fliberth. Mais toutes les troupes… J’ignore si je pourrai…

— Bien sûr que tu le peux ! Je t’ai toujours fait confiance, Fliberth. Et tu me le prouveras. J’aimerais que les circonstances soient différentes. J’aimerais pouvoir pleurer Zech plus longtemps. Hélas, c’est impossible. Je me sépare de vous, mais je vous retrouverai. Je le jure.

Docini vit à peine Taarek se détacher de son ami décéda, aussi douloureux que cela lui fût. Docini avisa tout juste la confusion de Vendri, Janya et Fliberth, ce dernier encore ébranlé par ses nouvelles responsabilités. Docini perçut par contre les térébrantes protestations d’Édelle. Elle faillit se retourner à ce moment-là, mais n’en fit rien.

Devant elle s’étendait un champ de bataille ravagé, au sein duquel la perturbation avait engendré de multiples déplacements. L’inquisitrice repoussait quiconque daigner l’assaillir, sans jamais s’en extirper indemne, mais toujours fixée sur son objectif. Peut-être qu’elle identifierait sa cible à force de s’opiniâtrer. Peut-être que dans cet enchevêtrement se trouverait son salut. Peut-être que les âmes éteintes lui insuffleraient une once d’encouragement.

Tu gardes ton sang-froid malgré les circonstances, reconnut Emiteffe. Moi aussi, je dois formuler une promesse. Celle que nous vaincrons Godéra ensemble.

Le ciel ne cessait de s’obscurcir.

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