Et le reste du monde

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 La fin de la deuxième journée de randonnée approchait lorsque le groupe se choisit un emplacement où monter le campement. Tour de passe-passe de nouveau du Gardien, tout fut fait en l’espace d’un instant, couches, sièges et feux de camps étaient montés.

La grande montagne solitaire s’approchait mais elle semblait encore lointaine. Plus on s’approchait, se faisait la remarque Armand, plus la montagne semblait être éloignée. D’un coup, il se dit que cette montagne solitaire, immense et éloignée au centre des Steppes, ce ne pouvait qu’être la montagne d’une des épreuves de l’Elu. C’était tirer par les cheveux, mais cette montagne semblait être la plus haute montagne qu’il connaisse de la Terre d’E. Et visuellement, une tâche blanche à son sommet faisait penser à des neiges éternelles. Armand se souvenait également avoir entendu dire par des lettrés que l’Elu avait tenu un carnet personnel dans lequel il racontait ses épreuves. Parmi celles-ci, la quête d’un long voyage solitaire à la recherche de la montagne solitaire. Quête bien ironique quand on y pense, d’aller chercher si haut, si loin, une plume d’aigle, de la race pas vue par les Humains depuis des années ; puis que ces aigles soient ensuite domestiqués par les Humains, pas moins de trois décennies après la disparition de l’Elu.

 Armand était plongé dans ses pensées et n’était pas concentrait sur ce qui s’échangeait dans le groupe autour du feu. Le Gardien, qui n’était pas partit comme la première nuit, semblait parler en lieu et place de l’Orque muette, de l’état actuelle des grands Clans des Steppes. L’Est des Steppes, de plus en plus arides les années passants, étaient désertés et l’Ouest n’était pas assez riche pour accueillir tout le monde. Deux choix s’offraient aux Clans nomades en ce cas, habiter les rivages du Sud ou à l’extrême Ouest et espérer que la pêche suffise au Clan, ou se tenter au Nord, dans les collines brumeuses. Le Gardien ajoutait ensuite à titre personnel qu’il ne pouvait trancher pour l’une ou l’autre solution. Il n’y a pas de solution miracle et si la pêche pourrait éventuellement convenir à un Clan, elle pourrait être désastreuse pour un autre, il fallait tenter, il a souvent invité à cela. Quant aux brumes du Nord, il ne pouvait dire.

« J’ignore ce qu’il y a au-delà. »

Avoua-t-il directement, ce qui réussit à sortir tout à fait Armand de sa léthargie.

« J’ignore ce qu’il y a là-bas et cela ne doit pas être surprenant comme vous l’entendez. Je m’explique : je suis Gardien de l’Equilibre, et disons également, Gardien de la Terre d’E. Si j’ignore ce qu’il y a au-delà des brumes jusqu’à même ne pas ressentir en connaissance innées ce qu’il y a là-bas, c’est tout simplement que c’est en dehors de ma, hum… de mon domaine ? de ma circonscription ? »

S’amusa-t-il à décortiquer.

« Peut-être n’y a-t-il rien ? Peut-être y a-t-il quelque chose, au-delà des brumes ? »

Des mots d’une puissance fascinante qui laissa rêver tout le groupe, du Nain, à l’Elfe, de l’Orque à Armand.

 Le Nain enchaîna une minute plus tard sur une histoire de son peuple. La disparition de la première unité de la Légion, les soldats Nains formés à combattre les Bêtes de l’Enfer qui rôdent incessamment dans les galeries souterraines.

« C’était il y a bien longtemps. La Deuxième Porte avait été fermé dans le Sud de la terre des Humains et dans les galeries trainaient bien évidemment pas mal de ces Bêtes immondes. Autour de RazikEter surtout, la ville sous la montagne de Eter, Armand, et le Roi d’alors, heu…

- Muardiin

- Oui, Muardiin, merci Gardien. Muardiin, donc, avait décidé que pour éviter les incursions en sa ville des Bêtes de l’Enfer, il ne fallait pas se terrer à un endroit, mais plutôt porter les combats et en être maître. C’est-à-dire d’éviter d’être sur la défensive et de sortir face à l’ennemi, ainsi le gros des combats se fera loin de la ville.

- Une stratégie noble toujours appliqué chez les Humains, dit Armand

- Mais pour cela, il faut s’en donner les moyens. Et parmi des volontaires, Muardiin créa la Légion. Armés de noirs comme les Bêtes de l’Enfer, les Nains de la Légion allaient se battre dans les galeries et tentait d’attirer sur eux toutes les Bêtes qui trainaient. Et bon sang, qu’ils étaient efficaces ! Pendant vingt années ils vidèrent toutes les galeries sous la montagne d’Eter et à des kilomètres autour. Ils explorèrent également beaucoup de tunnels creusés par les Bêtes. Ils en bouchèrent beaucoup aussi. Pendant ce temps-là, Muardiin appliquait tout de même une stratégie de renforcement de la défense de la ville et les grands tunnels qui en sortaient être bouchés de très lourdes portes infranchissables, et les petits tunnels devaient s’effondrer. Cela bloqua les communications avec l’extérieur et les villes du Nord comme Kalaz ou Mirr puisque toutes les galeries du Nord étaient en fait de petit tunnel. Muardiin, dans son projet, venait presque de s’emmurer. Seule restait la Porte vers le haut et les Humains. En soit, cela suffisait, le commerce était florissant et à RazikEter, chaque Nain avait de quoi s’accomplir. Mais… »

Le Nain laissa une seconde de silence

« Au jour de rendez-vous donné à la Légion pour revenir en ville se reposer et rendre compte ce qu’elle avait accompli, personne ne vînt. Le lendemain idem, le surlendemain idem… et ainsi de suite. Cela dura quelques semaines, on laissait supposer que la Légion était allée très loin au Sud, dans les terres sous la deuxième Porte de l’Enfer même et qu’elle avait exterminé toutes les petites sources d’apparition des Bêtes…sorte de toute petite porte qu’on a trouvé en grande quantité un peu partout sous la terre et en tout temps, si vous ne le saviez pas, ami Humain et Orque.

- C’est exact. Appuya le Gardien, avec un hochement de tête de l’Elfe.

« Mais les semaines et les mois passaient et aucun signe de la Légion. Quand soudain, des marchands de la ville de Burla, à l’Ouest, se présentèrent à la grande porte d’entrée essoufflés, blessés, diminués et criant à l’aide. Des Bêtes rôdaient en nombre dans certaines galeries proches de RazikEter… et la Légion était toujours absente. Muardiin arma un nouveau détachement de Nains qu’il ne nomma pas tout de suite Légion, mais les volontaires de ce détachement étaient équipés des mêmes armoires noires et des même armes brillantes en argent, capable d’apporter la lumière réfléchie dans les plus sombres tunnels. Après quelques années moins troublées de disparition et bien comblés de réussite, ce détachement fut appelé Légion. Et on n’eut jamais de nouvelles de la précédente. »

A la fin de quoi, le Nain posa son regard sur le Gardien qui prit un air innocent, exagérant ces gestes et propos qui suivirent, pour l’amusement.

« Houlà, non, mon bon ami, ne comptez pas sur moi pour révéler ce mystère ! Il est bien mieux tel qu’il est, rempli d’ombres qui amènent à la prudence ! Que les Nains gardent cet esprit, c’est pour leur bien.

- Hum… je veux bien l’admettre, en effet. La prudence est bonne mère. »

 Par jeu, peut-être, et par curiosité, ou bien pour continuer à faire passer le temps lors de ce repos particulier, le groupe a tourné son regard vers l’Elfe. Comme une invitation à ce qu’il raconte à son tour quelque chose sur son peuple.

« Je présume vos idées et votre envie. Mais que puis-je dire à la hauteur de tout ce qui a été dit et tout ce qui est échangé depuis… deux jours.

- Les connaissances humaines des Elfes se sont complètement perdues, ou presque. Je n’ai en souvenir qu’un vague récit d’un commerçant sur la… heu… la route des Elfes ? tracée droite dans la forêt ?

- Ah ! Cette aventure incroyable qui a apporté son lot de bon et de mauvais. Qu’est-ce que je pourrais en dire… C’était il y a quelques siècles, j’étais un jeune enfant à cette époque, lorsque de la forêt, au sud de la capitale, est sortie un Humain. C’était étrange. Etrange les réactions que je me souviens sur le visage des mes paires. Certains étaient surpris, comme moi, et d’autres parmi les Seigneurs, répugnaient à la présence de l’Humain dans notre « lieu saint » pour citer l’expressions utilisé. Ce que je ne comprenais pas à cette époque c’est comment un tel fossé d’expression s’étaient creusé entre les Elfes. Nous qui sommes à tout moment unis, quitte souvent à partager parole et pensée, nous nous retrouvions dans une désunion originale. Personne n’ignorait l’existence des Humains, au-delà de la forêt du Sud, bien des anciens récitaient des histoires et lisaient des essais à leur propos, tant et si bien que je prenais les Humains pour des êtres fantastique et ce Sud comme un espace rêvé. Cette émotion, je la savais et je la sentais en beaucoup de mes camarades du même âge que moi. Et je comprenais que cette illusion tendait à disparaître avec le temps et l’âge. Certains Elfes étaient présents du temps de Dalon, d’ailleurs cela ne remontait qu’à une grosse centaine d’année en fait. Dalon avait néanmoins réussit à faire une grande impasse sur les Humains et les faire oublier, concrètement j’entends, sauf dans les souvenirs et les récits passés. Voilà comment j’explique la fascination que j’avais en voyant un Humain et la contradiction vécue en observant que cette émotion n’était pas le moins du monde partagé avec tout le monde. C’est surtout cela qui m’a choqué et je pense que j’ai mûri énormément avec cette expérience. Le reste des événements, en soi, n’est pas digne d’intérêt. L’Humain est accueilli, il est soigné et il partage avec les Seigneurs les péripéties qui l’ont mené jusqu’ici. La forêt du Sud est remplie de danger, il les a tous rencontré et s’en est sorti miraculeusement. Il n’y a pas grand-chose d’autre. Des jours plus tard, il est raccompagné dans la forêt par une petite compagnie de soldat et amené jusque chez lui, de l’autre côté. Les Seigneurs ont ensuite dit à tout le monde que c’était un explorateur qui s’était perdu. Je sais que c’est un mensonge, je m’en suis rendu compte bien plus tard, et ce mensonge m’a également fait mûrir, et c’est tout. Après cet épisode, plus je grandissais et plus j’observais que cette union des sens et des émotions n’était pas vraie. Ou bien est-ce que c’est cet épisode qui a désuni les Elfes et cela a grandit en coïncidence avec moi ?

- Ah, ça !!... Fit le Gardien. Comme pour le maître Nain, ne me demandez pas, je ne dirais rien. Ajouta-t-il, amusé.

- Alors je vais garder cette considération que l’union des Elfes n’était qu’une fausse image offerte aux enfants, un idéal de vie jamais appliquée, en fait impossible à appliquer. Mais au contraire des autres, j’ai toujours gardé en souvenir nostalgique ce que cela faisait d’être en union des sens et des pensées avec mes paires. Cela a guidé ma vie et j’ai souvent cherché les moyens existants d’établir cela. J’ai trouvé des choses en observant la nature qui nous entourait. Non pas comme le font tous les Elfes, j’y ai apporté un regard et une volonté différente. Là où mes camarades calculaient comment utiliser cette nature dans le bon respect d’elle pour la cohabitation saine et complète, j’observais la nature pour ce qu’elle était et comment elle était. J’ai cherché comment les arbres communiquaient entre eux, comment un renard parle à un autre renard et comment deux proies d’espèces différentes arrivent à communiquer le danger d’un prédateur. Ceci dans l’espoir d’acquérir des moyens d’unions de mes paires des échanges purs de toutes volontés de cacher quelque chose, de feindre, de partialité et de mystère.

- Wouhaou, fit Armand. Et vous avez réussi ?

- Non, pas du tout. J’ai observé et trouvé des moyens vraiment sains, mais inapplicable sur les Elfes et, je pense, inapplicables sur les races supérieures.

- Pourquoi cela ? est-ce que c’est analysable ?

- Parce que nos sens sont trop complexes, notre société, Naine, Elfe, Humaine, Orque, est trop complexe, on a trop de chose à cacher aux autres, jaloux, envieux, et l’un à des connaissances à partir desquelles analyser le monde qu’un autre n’a pas du tout donc ne comprend pas l’état d’esprit ou l’ambition de ce premier. Du moins je pense… je crois.

- Cela me semble plein de bons sens, fit le Nain. Oui, nos communautés sont compliquées… l’état de « nature » me semble bien lointain. Quand on n’était qu’une masse de matière informelle, là, on partageait tout. Mais cela des milliers d’années qu’on a évolué. »

Qui étaient des paroles intelligentes sur lesquelles tout le monde tomba d’accord.

 Et tout le monde est allé dormir à la suite de ces dernières paroles. La nuit fut sans encombre, paisible et sereine. Armand dormit si bien cette nuit-là qu’il se fit la remarque en se levant le matin suivant, qu’il n’avait jamais connu un tel calme dans sa vie. Cela faisait longtemps que sa vie était rythmée par les journées avant les batailles, les journées après les batailles, et les jours de bataille qui passent très vite. Cela faisait longtemps que son corps ne s’était pas écorché ici ou là à cause d’une arme ennemie, d’une flèche perdue, ou encore son armure de fer qui lui brûle la peau malgré la côte de maille et en dessous une chemise en tissu. Cela faisait longtemps également qu’il n’était pas hanté par les visages des ennemis morts, par les cris d’agonie de ses sœurs ou ses frères d’armes et par le bruit continu du choc des épées. Il commençait une nouvelle journée, en pleine nature, en pleine campagne, avec des personnes presque inconnues, où il ne sentait aucun danger ni aucun risque pour sa vie, son avenir et ses projets. Il était confiant.

Bien malgré tout, il devait accusait le coup de tout ce qu’il avait appris ces dernières quarante-huit heures. Il avait bien écouté, avait posé des questions, maintenant il devait analyser et comprendre ce qu’on lui avait dit. Et cela faisait beaucoup. Et une nouvelle journée commençait pendant laquelle il y aurait une haute chance qu’il en apprenne encore plus. Que des paroles censées fragilisent tout ce qu’il pensait comme acquis par sa culture du passé et de son analyse de sa société.

Il y avait déjà cette révolution mentale de voir devant lui un Nain, un Elfe et une Orque, que tout indiquait comme disparus depuis longtemps. Et que dire de Œ, le Gardien de l’Equilibre ?

« Je vous propose, chers amis, de rester ici ce matin, encore une heure ou deux. Je sais, je le vois, que vous avez beaucoup à mettre au clair avec vous-même. Aussi je vais aller chasser avec Ulla, on aura un bon repas à offrir pour le midi. »

Avait dit le Gardien, Armand acquiesça sans s’en rendre pleinement compte. Et il restait assis sur sa couche à fixer le vide, en mangeant un morceau de pain, celui délicieux que les Elfes produisent en leur ville au Nord. L’Elfe s’était éloigné pour réfléchir de son côté, en fixant l’horizon à partir un promontoire rocheux au-dessus des Steppes. Le Nain quant à lui, tentait de créer quelques choses à partir de deux anneaux de fer, pour son armure dit-il.

 Armand ne se souvient pas avoir lu quelque part des réflexions sur le principe de l’Equilibre. Personne, parmi les anciens, ceux-là même qui vivaient en des temps où les Humains croyaient encore pleinement aux Gardiens, s’était posé la question ? Qu’est-ce que c’est vraiment, l’Equilibre ? Peut-être que des livres ont été écrit mais non pas parcouru le temps, ce qui serait malheureux.

Est-ce à dire que la Terre d’E est divisée en deux, qu’il y a le Bien d’un côté, ceux qui vivent pour l’Equilibre, et le Mal, ceux qui vivent pour le désEquilibre ? Avant même de parler de l’Enfer, peut-être que ce principe de vie est partout autour de Armand et que chaque action faite par tout un chacun agit dans un sens ou dans l’autre ? Ce qui voudrait dire que l’idéal d’une vie est de la passer à ne faire que des actions pour l’Equilibre ? Bien malgré un autre essai de se creuser la mémoire, Armand n’arrivait pas non plus à dire si des réflexions des anciens sur ces questions précises existaient. Pourtant il y aurait matière à dire et à faire : toute une communauté d’Humain qui ne devrait plus agir qu’en bonne conscience qu’elle sert le principe de l’Equilibre et combat le désEquilibre. Cela mènerait fatalement à une lutte armée entre les deux camps. Ou non, plutôt, peut-être que l’Equilibre est un concept dont chacun a sa propre version ? Peut-être que quelqu’un faisant telle action pensant servir l’Equilibre, sera vu par un autre comme plutôt servant l’inverse. Et la réciproque est également possible !

Est-ce que les Humains, aux temps des croyances envers les Gardiens, se sont dit la même chose ? Pourquoi et comment arrive-t-on à oublier une telle philosophie de vie ? L’Equilibre, comme une balance géante de l’existence, est-ce une chose qu’on puisse oublier ? Avec le temps ? Et cette croyance, qu’est-ce qui l’a remplacé ? Quel est l’objectif de vie des Humains à présent ? Armand réfléchissait vraiment à cela lorsque quelqu’un vint le déranger.

« C’est nous ! Surprise ! »

Fit le Gardien qui jamais ne perdait cette humeur partageuse.

« On a attrapé quelques lapins. Les Steppes restent vivantes malgré tout et il y a encore un peu de biodiversité. Je vous les laisse, maître Nain ?

- Oui, je vais me faire un plaisir à les préparer. »

Après l’échange entre le Gardien et le Nain, le premier fit quelques pas en direction de Armand.

« Alors, Armand, où en sont ces réflexions ?

- Hé bien, j’ai l’impression de ne pas avoir avancé. Une heure est-elle vraiment passée ?

- Ma foi, oui, voire un peu plus.

- Je me suis posé une question sur laquelle je veux bien votre avis impartial.

- J’écoute.

- Qu’est-ce que c’est l’Equilibre ? »

A quoi un sifflement impressionné donna le ton.

« Alors là, grosse, grosse question ! J’espérais ne pas parler de chose trop complexe aujourd’hui, c’est probablement raté.

- Complexe, en effet… confirma l’Elfe en se rapprochant du groupe.

- Par exemple, pour centrer la question sur quelque chose de concret : est-ce que chasser des lapins, c’est-à-dire tuer des créatures innocentes, en soi, c’est servir l’Equilibre de la Terre d’E ? »

Posa calmement Armand, trahissant par là l’essai de la maitrise de ses pensées qui partaient en tous sens.

« Oui. Mieux vaux répondre oui à cette question. Je ne l’aurais juste pas posée ainsi. En réalité, pour l’esprit Humain du moins, il sera difficile de comprendre le principe de l’Equilibre. Non, non, je ne dis pas que l’esprit Humain à des limites contraignantes, loin de là. Il a un travers, c’est tout, à savoir que tout ce qui est, tout ce qui fut, sert ou a servi à quelque chose. Dans sa nature la plus pure, l’Equilibre est au-delà de cette logique et ça, c’est inexplicable pour un Humain. Alors je vais changer ma réponse en quelque chose comme ça : l’Equilibre, dans le cas de l’exemple donné, serait de ne chasser que les lapins qui ont accomplis quelque chose de leur vie. A savoir, pour un lapin, avoir eu une bonne dose de descendants. Après quoi, le lapin peut mourir tranquillement, la pérennité de son espèce et plus précisément son sang est fait. Et c’est exactement ce que j’ai fait. Ce lapin qui est posé sur le feu à, heu… eu quatre cent vingt trois enfants avec quelques dizaines de lapines différentes. Cet autre lapin, posé à côté, a lui eut, hum… oh ! mille et un descendants et parmi ces premiers descendant, certains ont eu des lapinous également, ce qui revient à ce que ce lapin-là, que j’ai tué, a eu »

Et le Gardien comptait sur ses doigts pour bien suivre.

« six mille deux cent quatre-vingt sept descendants. Et je ne compte pas ceux qui sont déjà morts à l’heure actuelle. L’Equilibre c’est cela, ne pas aller consciemment contre le cours de l’existence de la vie, des vies même, qui logent en surface, sous la terre et même dans le ciel de la Terre d’E. Et si la question initiale sous-entendait la réflexion « peut-ont définir que telle action sert l’Equilibre et telle autre ne le sert pas du tout, voire le contraire ? », sur le plan des Humains, non, ce n’est pas possible. Ce serait une belle erreur de le croire, du moins.

- Pou… pourquoi cela ? puisque vous l’avez fait, vous, non ? faire une action consciemment pour l’Equilibre.

- Je le fais même en tous les instants de ma longue existence, ça c’est bien vrai. C’est pour cela que je suis, orgueilleusement, le Gardien de l’Equilibre. Pour un Humain, réfléchir à la question est en soi-même une digression fatale. L’Equilibre ne se sert pas consciemment, il se vit seulement. En revanche, on peut consciemment servir le déséquilibre du monde. En tuant des innocents, en volant son voisins…

- Mais, et l’inverse ? Sauver des innocents et combattre le crime ?

- C’est vivre l’existence et agir pour le bien de la communauté, ce n’est pas servir directement l’Equilibre.

- Hum… je crois comprendre… commencer à comprendre.

- Et c’est tant mieux ! Maintenant, mangeons ! »

Décida le Gardien devant ses quatre compagnons de groupe resté en grande partie dans la stupéfaction de la résolution de la question.

 Après ce déjeuner au milieu des Steppes visiblement vides et pourtant bien vivantes, comme le sous-entend le Gardien avec les milliers de lapin qu’il évoquait précédemment, le groupe reprit la route du voyage de leur vie vers l’avenir. La montagne semblait si loin encore, au-delà d’une série de colline rocheuses que le groupe devait escalader à présent.

L’ascension légèrement difficile et éprouvante se termina vers la fin de l’après-midi car les collines tout comme la montagne solitaire donnaient cette même impression : elles semblent petites de loi, elles sont immenses de près. Mais vers la fin de l’après-midi, le groupe arriva au sommet et chacun put regarder ce qu’il y avait de l’autre côté. Les collines se dressaient au milieu des Steppes et elles laissaient un vaste espace vide autour. Aussi, au sommet, Armand pouvait se dire qu’il ne restait finalement pas grand-chose encore jusqu’à la montagne. Une journée de marche encore, peut-être moins. Et la marche se fera dans un décor tout à fait à découvert, dans une plaine à la verdure rare mais présente tout de même en une fine couche de mousse là où il n’y avait pas quelques rochers ou petits cailloux.


 « Mince alors ! » lâcha le Gardien, surprenant tout le monde. L’espace d’un instant, il passait d’une attitude joyeuse où il sifflotait un air gai pour animer les derniers mètres d’ascension, à une réaction où toute autre personne aurait lâché un juron.

Sur ses gardes, puisque cela pouvait présager un danger, le Nain demanda :

« Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? » nerveux, de plus, il regarda tout autour de lui pour voir venir.

« Elle aurait dû être là.

- Qui ça, elle ?

- La dernière membre de notre groupe. »

Révélation de dernière minute qui surprit tout le monde, même l’Orque, si l’on interprétait ainsi un son grave rapide et clair sortant directement de sa gorge.

« Qui est-elle ? demanda un des membres de ce groupe.

- Une survivante du Désert de l’Est bien évidemment, le seul territoire de la Terre d’E qui n’est pas représenté par l’un de vous.

- Le… Désert de l’Est ? interrogea Armand, se disant qu’il allait découvrir autre chose encore.

- Une brave femme, oui, une habitante de la ville de l’Oasis, le dernier membre d’une des plus anciennes familles de là-bas, qui connait tout de l’histoire de sa petite partie de la Terre d’E.

- Impressionnant ! Et elle devait nous retrouver… ici ? »

Demanda d’une voix inconnue encore à Armand, une jeune femme, Humaine, qui se montra en arrivant dans le dos du groupe. Elle s’avança pour se montrer à tout le monde, seul le Gardien était plongé, devant, à l’observation des Steppes.

« Oui, c’était convenu comme cela. Elle prenait le bateau de chez elle, amerrissait au Sud et remontait jusqu’ici.

- Toute seule, malgré les dangers d’un tel voyage ? continua-t-elle, s’amusant visiblement de la situation.

- Eh bien oui, dit le Gardien en se retournant avec le sourire. Rien d’impossible pour elle. Mon bonjour Isabelle. »

Elle était vêtue d’un vêtement intégral, gris, semblant très léger et lui couvrant tout, de la tête aux pieds et même devant le nez et la bouche. Son vêtement était ouvert sur les côtés, laissant les bras libres et sous le fin linge, on pouvait apercevoir des vêtements similaires à ceux que Armand peut trouver sur le marché, et également quelques armes, une épée et deux poignards, qui scintillaient devant le Soleil.


 « C’est un plaisir de vous voir. Dit le Gardien.

- Plaisir partagé et je suis arrivé pile à l’heure, j’arrive juste.

- Nous aussi, le temps joueur semble avec nous. Vous savez que vous n’avez rien à craindre des tempêtes de sable ici, vous pouvez vous découvrir.

- J’allais le faire, voyons, laissez-moi me présenter moi-même à ces compagnons de voyage, après le beau portrait que vous m’avez offert. »

Elle se tourna vers tout le monde ensuite et se salua :

« Je suis Isabelle, oui, et je viens du Désert, loin, très loin à l’Est. J’imagine que j’agis comme vous, un jour Œ est venu me voir pour me parler d’un voyage qui changerait la face de la Terre d’E et surtout mon existence.

- Enchanté, je suis Armand, de l’Empire des Hommes, heum… au « Centre », j’imagine, de la Terre d’E. Le Nain étant en-dessous, l’Elfe au Nord, l’Orque à l’Ouest et vous, à l’Est. »

Ce qui fit rire le groupe. Après quoi reprirent les présentations :

« Je suis Dhor, le Nain du dessous.

- Lam, Elfe du Nord

- Et l’Orque, Ulla, du Clan des Loups, qui ne peut pas parler. »

Termina le Gardien.

« Je ne comprend pas trop… pourquoi avoir fait le voyage ? Au lieu de venir avec le Gardien comme moi, et les autres ? demanda Armand

- Ah ! Parc.

- Parce que, coupa la femme qui prenait le temps avant de se découvrir, vous ne savez pas poser vos conditions, j’imagine. Le voyage sert à sauver la Terre d’E ? ou du moins à s’y préparer. Mais qu’est-ce que la Terre d’E ? Avant tout autre chose, j’ai voyagé et j’ai exploré la Terre d’E, cet ensemble que je, nous devons sauver. Je n’aime pas trop ces voyages instantanés et les aller et retour des Gardiens. Je préfère vivre, moi. »

Le Gardien tenait un visage de façade qui ne trompait personne.

« Ah, je vois. Et vous avez fait bon voyage ? Vous êtes pass.

- Seule, le voyage se passe toujours bien et où je suis allé importe peu. D’ailleurs… »

Elle fit quelque pas en avant, dépassant le Gardien et regarda droit devant elle, vers la montagne solitaire.

« Je crois que cela commence, sentez-vous le changement du sens du vent ?

- Hmm, fit l’Orque, acquiesçant ?

- Effectivement, mais cela est censé dire quoi ? s’enquiert l’Elfe

- Elle arrive, la Porte, elle va apparaître. »

Termina le Gardien.


 L’air avait vraiment changé, remarqua Armand. Le vent qui auparavant était discret dans les Steppes, sauf peut-être une légère brise le matin, soufflait de plus en plus fort. Il semblait même venir des quatre coins, des quatre points de la Terre d’E pour se rassembler au-dessus des Steppes, devant les yeux des compagnons de groupe, puis il filait tout droit vers la montagne. Quelques courants d’air étaient ainsi visibles par la poussière qu’ils soulevaient dans les airs et qui docilement, allaient là où le vent l’emportait.

En même temps que le vent, la température semblait se réchauffer. Il fait bon habituellement dans les Steppes, ni trop chaud, ni trop froid, pour un Humain et il y a peu de variation avec les saisons, mais là, en quelques minutes, pendant que tout le monde observait le ballet des vents, la température prenait tranquillement quelques degrés. Par voie de conséquence, des nuages commençaient à se former au-dessus de la plaine et plus la température montait, plus les nuages se noircissaient pour se gorger du plus grand tonnerre qu’ils n’ont jamais porté.

« Mesdames et Messieurs, si vous me permettez, je vous introduis en direct devant vous, l’apparition de de la Septième Porte de l’Enfer. Celle qui devrait être la dernière et par là, la plus menaçante. »

Fit avec cérémonie le Gardien.

« Je vous met en garde sur ce qu’il va arriver, assez vite j’en ai peur. La Porte va apparaître à bonne distance de nous dans quelques secondes, à peu près au centre de la plaine, à cinq six kilomètres d’ici. Assez rapidement, des centaines de Bêtes de l’Enfer vont en sortir, et ce de toutes sortes. Il ne faudra pas s’en occuper. Je nous rendrais d’ailleurs invisible et on va s’approcher calmement. »

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