Débuts dans l'art de lire
Vous lisez ? Je lis moi-même, que ce soit Moby Dick, Stephen King, ou encore ce si beau Molière. Mais qu'en est donc de moi et vous ? Déjà petit, on me lisez le théorème pour que je le répète par coeur, on me faisait lire mes leçons, sans que je ne puisse avoir le temps de retourner lire. C'était du tout connu :
- Va ranger ta chambre ou tu seras puni de livre !
- Va donc regarder les épisodes de ta série télévision et ne nous embête pas !
Et alors ? Je suis un lecteur épaté, pas un gars addict. Atteint l'âge adulte, les choses vous bouffent le cerveau, comme elles luisent la mémoire. Pourquoi ? Parce que tout le monde n'est pas Einstein ni Shakespeare. J'ai moi-même passé les étapes de ma vie avec cela : de la naissance du lecteur à la vieillesse de l'Homme, à l'amour jusqu'au divorce.
Quand Hannah me désirait, au lit, je me mettais à nu, je m'efforçais de lui plaire malgré notre secret de plaisir. Là, je ne lisais pas, elle me dénudait et me couvrait de son corps réchauffant. Alors que je lui chuchotais plus, j'eus des regrets de ne pas pouvoir lire. Je désobéissais à mes livres, je les détruisais. Passé la quarantaine d'années, tout change.
- Ne lis plus, va donc jouer autre part
- Si tu lis c'a encore, je te jure, tu vas en prison !
Et j'ai donc écris mon premier livre, sur cette théorie des livres : alors, lisez-moi, vous serez épaté ! Et je vous pris de ne pas m'offusquer en ratant vos mots, ce serait du gachis ! Maintenant, voilà place à mon livre !
"L'alchimie nous prend de haut, elle nous heurte. Quand Jean-Michel-Fous-Rien mange ses poignets devant l'OM qui perd, il mange ses pages comme il les recrache amèrement. Quand je lis, je ne lis pas vraiment : je me perds dans ma lecture, je ne sais plus où je suis, ma navigation est close. C'est le néant qu'éprouve ma pauvre bouche."
Ouais, je sais, je ne sais pas vraiment écrire. Ce soir-là, Hannah est sous les couvertures, mais elle ne me savoure point, elle dévore les papiers du divorce avec autant d'orgueil et de haine qu'elle éprouve pour moi. Mon ordinateur est allumé sur sa longue lumière fluorescente et je découvre alors, sur mon document Word, l'envie de lire.
Je clique, je te ratisse des champs de ligne, des écrits, je m'inspire avec un livre froissé sous mon coude, et je tape au clavier comme un malade.
- Tu me déconcentres, me répond ma femme.
- Et alors ? Je sais que je devrais récupérer mes cinq-cents francs après le divorce et avant le mariage, ainsi que mes vingt-mille pièces pour la publication de mon alchimie !
- Cette ordure que t'appelles "Alchimie du lecteur" ? C'est un jean-foutre qui me dit de me taire alors qu'il écrit des ordures. Allez, dégage, espèce d'idiot, j'veux pas te revoir dans la chambre.
Je relis mon manuscrit : oui, il est nickel. Je sors de ma chambre, je lui assène un doigt d'honneur qu'elle me renvoit lentement et m'embrase sur une chaise de bois en relisant pour une seconde fois.
Puis je me tais, version finale du livre s'éteignant dans le mutisme, seul cliquetis des touches qui m'accompagnent :
"Allez voir si je suis au marché, ils iront vous dire que j'y suis pas. Jean-Michel savait quoi faire, il prit une tomate qu'il ne sortit de nulle part et la jeta sur son interlocuteur malfamé. Et qu'l aille se faire foutre cet autre gars. Tous des lecteurs malpolis qui l'insultaient. Et il déplorait cette époque de vauriens..."
Mince, j'ai perdu l'idée. Le néant...
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