7. Ayah

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« Ayah ! »

Elle ouvrit les yeux, sa vision encore troublée par le sommeil. Elle jeta un coup d’œil à sa fenêtre et vit que le soleil n’était pas encore tout à fait levé. Pourquoi la réveillait-on si tôt ?

« Ayah, lève-toi ! Le petit déjeuné est prêt. »

Elle se redressa et aperçut Raly à sa porte. Il était habillé d’un beau veston marron, le même qu’il mettait à chaque occasion. Ayah fronça les sourcils. Quelle lune était-on déjà ?

« Oh ! C’est aujourd’hui ? » s’exclama-t-elle, soudain bien plus réveillée.

Il acquiesça. Elle bondit de son lit aussitôt. Dans sa chambre modeste, la décoration était simple. Non, inexistante. Il n’y avait rien de futile si ce n’est cette rose bleu-noire posée sur une vieille commode. Ayah était persuadée qu’elle venait de sa mère. Elle n’avait jamais fané depuis, et restait aussi belle que la lune où elle l’avait trouvée. Ayah prit la fleure y déposa un baiser et sortit de sa chambre en vitesse.

La petite adorait la fête du solstice d’été. Aujourd’hui, un grand repas sera organisé à la Grande place d’Askapor et des musiciens viendront chanter et danser, donnant spectacle aux petits comme aux grands. Seulement, le moment qu’elle attendait tant n’arrivait qu’à la tombée de la nuit. Là, un grand bûcher était allumé sur la plage et les enfants s’asseyaient autour du feu pour écouter Yasser, le compteur du village.

Désormais, elle devait aider les autres villageois à préparer le grand repas. Ayah prit son petit déjeuner au plus vite et sortit. La chaleur était au rendez-vous cette lune-là malgré les nuages dans le ciel et le vent qui soufflait du nord. Elle marcha derrière Raly, arpentant les rues poussiéreuses d’Askapor. Elle essayait de le rattraper tant bien que mal. Du haut de ses onze ans, elle restait encore trop petite par rapport à lui. Lorsqu’il faisait un pas, elle devait en faire deux. Dans la ruelle parallèle d’autres villageois qui se pressaient comme eux en direction de la Grand-place. Tout le monde participait à la préparation des festivités.

Rapidement, Raly lui montra quoi faire. Ayah devait placer les chaises. À chaque table, elle devait en placer dix mais elle vit qu’elle n’était pas la seule assurant cette tâche. Deux garçons et une fille de son âge se pressaient pour mettre le plus de chaises possibles. C’était une course. Ayah sourit et se pressa pour les rattraper. Ils avaient commencé avant elle.

« Pas trop vite, pas trop vite ! » s’exclama Raly, passant derrière elle.

Mais la course continuait. Ayah devait gagner. Elle plaça de nombreuses chaises les unes après les autres sans s’arrêter. Elle était en sueur. Elle souffla, victorieuse, lorsqu’elle finit une table avant l’arrivée d’un des garçons. Celui-ci lui fit une grimace et posa sa chaise ailleurs.

La petite retourna en courant en chercher de nouvelles et soudain, une chaise vint vers elle sans qu’elle l’eût touchée. Elle s’arrêta, surprise. Ce n’était pas la première fois qu’une telle chose se produisait. Elle regarda autour d’elle, s’assurant que personne ne l’ait vu et se figea en apercevant Raly.

« Fait attention. » Il jeta un coup d’œil vérifiant lui aussi que personne d’autres n’avaient remarqué. « Ne fait pas ça devant les autres. »

« C’était un accident. »

« Les gens ici n’aiment pas ce qui sort de l’ordinaire. Juste sois discrète, d’accord ? »

« Pourquoi les gens n’aiment pas ça ? »

« Parce qu’ils sont ignorants. »

Elle fronça les sourcils. « La peur de l’inconnu ? »

Son frère acquiesça, un sourire triste sur les lèvres. Il était vrai que depuis qu’elle était arrivée, elle n’avait jamais vu quelqu’un faire de telles choses et elle ne voulait certainement attirer d’attention sur elle.

Des bougies étaient placées sur chaque table et aux quatre coins de la place, il y avait des luminaires qu’on remplissait de bougies. Au bout de quelques heures, la Grande place était totalement pleine de table et de chaises. Il restait une partie libre pour les musiciens et pour danser.

Le soleil se couchait, indiquant qu’il était temps de diner. Ayah retrouva Raly, Fyn et Mina. Aucun d’eux n’aimait danser et ils s’assaillaient donc toujours à l’arrière. Elle remarqua qu’eux aussi s’étaient habillés pour l’occasion : Fyn portait un veston bleu foncé similaire à celui de Raly. Il portait un pantalon en velours noir qu’elle avait déjà vu de nombreuses fois. C’était son pantalon favori malgré ses quelques trous à l’arrière, au niveau des chevilles. Mina était quant à elle habillée d’une simple robe marron dont le bas était gris de poussière. Ses chaussures usées avaient également perdu leur couleur, jadis noir, à cause de la saleté des rues d’Askapor. Mais Ayah les trouvait tout de même ravissants dans leur tenue pour l’occasion.

« Ah, te voilà ! » dit Raly.

« Que vous êtes beaux dans vos habits de fêtes ! »

Mina déposa un baiser sur son front, tout sourire.

« Qu’est-ce que l’on mange aujourd’hui ? » demanda Ayah.

« Du très bon poisson péché ce matin, comme chaque année. »

Ayah leva les yeux aux ciels. Chaque solstice d’été, elle espérait avoir une réponse différente. Elle aimait le poisson mais ils ne mangeaient quasiment que ça à Askapor. Elle n’avait jamais gouté de viande ni d’autres aliments comme cela se faisait plus dans les grandes cités du royaume. Elle aurait tant aimé visiter ces contrais lointaines ne serait-ce que pour gouter à tous ses aliments qu’elle ne connaissait que de noms.

Bientôt, les musiciens arrivèrent, marquant le début des festivités. On leur apportait à boire et pour la première fois, Ayah fut servie également.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« De l’élixir » répondit Raly.

« Si ce n’était pas aussi couteux, on en aurait plus souvent à la maison » déclara Fyn avec un soupir.

Elle avait vu Fyn et Mina en boire pas le passé mais seulement à de rares occasions. Elle prit une gorgée de son gobelet et grimaça. Tout le monde à table se mit à rire en voyant son expression. La boisson était bien plus amère qu’elle ne s’était imaginée.

La place centrale était remplie de monde maintenant, on dansait et chantait. Les villageois étaient tous habillés de leur meilleure tenue. En voyant une jeune fille danser dans une robe longue et fort serré sur les côtés. Ce n’était certainement pas confortable pour bouger à son aise. Elle était ravie de mettre un simple chemisier bleu et un pantalon noir en velours, ressemblant celui de Fyn.

« Rally, sais-tu quelle histoire va nous raconter Yasser ce soir ? »

« Je ne sais pas. Mais on m’a dit que ce serait une histoire effrayante. »

Ces histoires-là étaient ces préférées. Elle avait déjà hâte. Alors qu’elle mangeait son repas, quelque chose attira son attention dans la place centrale. Une femme qu’elle n’avait jamais vu avant dansait au côté d’un jeune homme, un voisin à eux. Celle-ci avait une étrange luminescence entourant de sa silhouette ; une aura discrète mais bien présente. Elle n’avait jamais vu ça avant. Ayah l’observa longuement. Au bout d’un moment, la femme s’arrêta de danser et repartit à sa table. Elle regarda autour d’elle puis passa sa main sur une bougie qui s’était éteinte et en un geste discret, une flamme réapparut. Ayah écarquilla les yeux.

« Est-ce que tu connais cette personne ? Je ne l’ai jamais vu avant. »

Raly tourna la tête et l’observa un instant.

« Non, je ne l’ai jamais vu non plus. Il pourrait s’agir de quelqu’un de passage pour le solstice d’été. »

« Les festivités d’Askapor attirent souvent de nouveaux arrivant venant fêter le solstice. » affirma Mina.

« Les autres petits villages autour n’ont pas tous la chance d’avoir un port comme le nôtre et du bon poisson. » déclara Fyn. « Seuls les ports des cités de Yersinia et Kavero surpassent le notre dans... »

Ayah n’écoutait pas vraiment ce que disait Fyn. Elle avait déjà entendu ce discours des dizaines de fois. Elle se demandait en revanche, qui cette femme pouvait bien être et d’où elle venait. L’aura autour d’elle était-elle liée à ces pouvoirs qu’elle avait vu ? Une idée folle lui vint en tête : et si c’était sa mère ? Avec le temps, le souvenir du visage de sa mère devenait flou… Alors elle observa cette dame avec insistance. Elle avait le teint pâle comme la plupart des villageois, des cheveux long châtains clairs. C’était une jolie dame et ses traits étaient bien trop différents des siens. Ayah soupira. Ce n’était probablement pas sa mère.

« Je vais aller faire un tour. »

Elle ne perdait toujours pas espoir de retrouver sa mère mais chaque lune qui passait amplifiait ses doutes. Ayaha erra sans but dans les ruelles vide du village, loin de la foule de la Grande Place. Elle se posa sur les escaliers d’une maison et contempla le ciel. La lune n’était pas pleine mais presque. Sa lumière restait éblouissante et pourtant si lointaine.

Elle sentit une main sur son épaule et sursauta. Ayah baissa la tête. C’était la dame qu’elle avait remarquée plus tôt.

« Je suis désolée, je ne voulais pas t’effrayer mon enfant. »

« Ce n’est rien. »

« Tu es une Kaaïn, oui ? »

Ayah fronça les sourcils. Elle avait entendu ce mot avant quelques fois, mais elle n’avait jamais compris sa signification. Il y avait encore quelques termes qu’elle ne saisissait pas dans cette langue.

« Je ne sais pas ce que cela veut dire. »

La femme lui lança un regard interloqué.

« Des créatures possédant de la Lunsor. »

« De Lunsor ? »

« C’est la source de nos pouvoirs. »

Ayah n’avait jamais entendu ce mot auparavant. Elle avait tant de question à lui poser, tant de chose qu’elle voulait savoir.

« Où sont tes parents ? »

« Dans la Grande Place, comme tout le monde. »

« Non, je veux dire tes vrais parents. »

Ayah la regarda, surprise. Comment avait-elle su que Fyn et Mina n’était pas ses vrais parents ?

« Je ne sais pas, ma mère est partie quand j’étais toute petite. »

« Par l’aura d’Asal Ahaan, qui fait ça à son propre enfant bon sang… »

Il y avait de la tristesse dans son regard, comme à chaque fois qu’elle répondait cela à ceux qui lui demandait. Cet air plein de pitié commençait à l’agacer.

« Ils s’occupent bien de toi, les gens qui t’ont recueilli ? » dit-elle en montrant de la tête la Grande place d’un regard incrédule.

Ayah n’hésita pas à acquiescer. Fyn et Mina faisaient toujours leur possible pour la traiter de la même façon qu’avec Raly. Elle ne manquait de rien.

« Sont-ils conscients de tes capacités ? »

Raly certainement après ce qu’il s’était passé. Mais au vu de sa réaction, elle préféra ne pas trop en dire et fit simplement non de la tête en guise de réponse.

« Très bien, garde ce secret pour toi, d’accord ? »

« Comment as-tu su que j’étais une Ka… Kaaïn ? »

« Ton aura, mon enfant. Probablement que tu vois la mienne également. »

La dame jeta un œil derrière elle. Un couple tourna dans la rue et s’approchait d’eux.

« Je dois repartir. Fais attention à toi, veux-tu ? Nous sommes en terres ennemies. »

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