34. Ayah

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Le lendemain, Ayah se leva de bonheur, trop nerveuse pour dormir longtemps. Elle choisit de porter des habits les plus simples et les plus discrets qu’elle avait. Son but n’était pas de se faire remarquer, encore moins d’avoir des problèmes. Elle attacha ses cheveux en un chignon serré comme à son habitude et fila.

La jeune fille dévala les escaliers et arriva à l’entrée de la Citadelle, attendant le maître avec impatience. Celui-ci arriva quelques instants plus tard et ils se dirigèrent vers le château.

Ils traversèrent les sublimes jardins de l’entrée du château. Une longue allée encadrée de part et d’autre de splendides arbres aux fleurs blanches, menait vers une porte gigantesque. Sur le gazon parfaitement coupé, étaient plantés de beaux petits arbustes et derrière, un parterre fleuri rajoutait aux belles couleurs, des odeurs agréables.

Ils arrivèrent devant l’énorme porte blanche du château, encadrée de chaque côté par des soldats aux longues capes rouge-brun symbole de la garde royale. Ceux-ci inclinèrent la tête en apercevant le maître qui la congédia aussitôt, lui indiquant qu’il était temps pour lui d’aller à sa réunion.

Ayah se balada dans le palais d’une beauté saisissante. Le château était immense et elle se demanda si elle aurai assez de temps pour tout visiter. Quelques fois, des gardes lui demandaient qui elle était et elle répondait qu’elle accompagnait le Maître de la Citadelle. En entendant ce nom, les gardes ne lui en demandaient jamais plus. Elle avait remarqué des patrouilleurs postés ici et là et les évitait comme un poison.

Après avoir fait le tour du premier niveau du château, elle retourna là où le Maître de la Citadelle l’avait laissé. Elle ne voulait surtout pas le faire attendre. Il était peut-être gentil avec elle, mais il restait tout de même son employeur et un homme que beaucoup semblaient craindre et respecter.

« Madame Ayah ? » demanda quelqu'un après quelques minutes.

Ayah leva les yeux et vit un garde. Elle sentit son cœur rater un batement et ne nota même pas qu'on l'avait appelée 'madame'.

« Oui, c’est bien moi, qu’y a-t-il ? »

« Le Maître de la Citadelle a demandé de venir vous chercher. »

Sans en dire plus, il lui fit signe de le suivre. Elle sentait déjà ses mains moites s'engourdirent. Elle ne savait pas quoi en penser mais l’attitude respectueuse et calme du garde la rassurait quelque peu.

Ils se dirigeant vers des pièces souterraines du château. Ayah avait appris que dans les entrailles du palais, se trouvaient des cachots impénétrables. Pourquoi se dirigeaient-ils là-bas ? Devait-elle fuir ? Non, ce serait stupide. Elle n’avait pas de raison de craindre quoique ce soit : elle était protégée par le contrat de la Citadelle. Tout ira bien, tout ira bien, se répéta-t-elle.

Ils descendirent des escaliers interminables, si bien qu’Ayah eu l’impression que cela faisait des heures qu’ils marchaient là, sans voir la fin. Ils faisaient froid dans les profondeurs du château.

Enfin, ils atteignirent l’étage le plus profond des cachots. Le garde ouvrit une porte géante, entièrement faite de Lancère, révêlant le maître. Son regard rassurant la détendit peu. Elle n'en resta pas moins sur ses gardes.

« Une si jeune fille ? J’espère que vous savez ce que vous faite, Maître. » s’exclama une voix derrière la porte.

Ayah écarquilla les yeux en découvrant la personne qui s'était exprimée. Devant elle se tenait le Roi Eynard en personne. Le Maître de la Citadelle sourit, inclina la tête en signe de respect à son Roi, puis répondit, calmement :

« Majesté, je vous présente Ayah. Elle travaille pour moi à la Citadelle. Je pense qu’elle pourrait nous aider à comprendre cette créature. »

Elle lança un regard alarmé vers le maitre. De quoi parlait-il ?

« Alors, il est inutile de lui rappeler que tout ce qu’elle verra ou entendra ici n’est pas à partager avec quiconque. » déclara le Roi d’un ton sévère.

Ayah acquiesça, incapable de prononcer un mot. L’homme qui se tenait devant elle dégageait une assurance et une autorité infaillible. Elle prit soudain conscience qu’elle était à l’instant en présence de la personne le plus puissant du Royaume. Ayah avait lu tant de récits sur son passé, tant de chose sur l'histoire ancestrale de sa lignée, ses prises de décisions anciennes ou récentes, qu’elle avait pensé le connaître. Quelle illusion. Elle ne pouvait même soutenir longtemps son regard.

A ses côtés, se tenait un jeune homme qui semblait avoir à peu près son âge. A peine eut elle posée le regard sur lui qu’elle eut un haut le cœur. Ce garçon, elle le connaissait. Elle se souvenait l’avoir vu à sa première visite à Lyisstad. : c’était l'enfant qu’elle avait guéri de sa vilaine blessure. Elle avait totalement oublié cet événement, c’était il y a si longtemps après tout…

Le Roi se retourna vers le jeune homme.

« Samaël, suit-moi. »

Ayah se figea. Samaël. Samaël d’Eryn ? Sa vision se troubla et elle aurait juré que tout son sang avait quitté son cerveau. Ce garçon était le fils du Roi, le prince hériter. Avait-elle réellement sauvé le futur Roi ? Quelle coïncidence folle ! Elle se demanda si, cette lune-là, alors qu’elle le poursuivait dans les rues bondées de la ville, elle avait instinctivement su qui il pouvait être. C’est vrai qu’elle l’avait vu sortir du château...

Samaël se racla la gorge. Elle sentit tous ses muscles se crisper. L’avait-il reconnu ? Elle tourna la tête espérant que ses cheveux cachaient suffisamment son visage. Il était peu probable, cependant, qu’il puisse se rappeler d’elle. Elle se souvenait nettement qu’il avait été faible et inconscient pendant qu’elle le soignait.

Heureusement, le prince ne la regardait même pas, son attention fixée ailleurs. Elle suivit son regard et vit, au centre de la pièce, un socle en marbre sur lequel était posée une boite entièrement recouverte de barreau de Lancère. Ayah comprit que c’était en fait une cage contenant une petite lumière qui flottait dans les airs. Si l’on s’approchait plus, une silhouette se dessinait. La créature possédait deux petits bras et deux petites jambes faites de lumière. Elle était frêle, certes, mais éblouissante. Ayah aperçut deux autres hommes au fond de la pièce et un Feis Nona non loin de la cage. Elle remarqua alors des marques noires sur le mur ressemblant à des traces d’incendie.

« J'exige de savoir ce qu’il s’est passé ici, je veux tous les détails. » ordonna le Roi.

Le Feis Nona s’avança.

« Majesté » dit-il en baissant la tête. « Il y a à peine quelques cycles lunaires, nous avons pensé que la créature vivait ses derniers instants. Elle était à peine visible, tellement que l’on a même cru qu’elle avait fini par disparaître. »

« Quand a-t-elle repris en lumière exactement ? »

« Il y a dix lunes, maître. »

« Et pourquoi ne suis-je mis au courant qu’aujourd’hui ? » demanda le Roi.

Le Feis Nona leva les yeux vers le maître. Celui-ci hocha la tête. Ayah regardait cet échange silencieux, stupéfaite par ce que cela signifiait. L’autorité de la Citadelle et du maître était bien plus importante qu’elle ne l’avait pensé.

« Majesté, la créature n’a pas seulement reprit en lumière. Elle a aussi gagné en puissance. Il y a quelques lunes, elle s’est brusquement intensifiée. La créature s’est mise à cogner les barrières de sa cage. Elle voulait s’enfuir et ne tenait plus surplace. Et alors qu’on s’apprêtait à sortir vous prévenir de ce qu’il se passait, les portes se sont bloquées. On ne pouvait plus s’en aller. »

« Ceci est inacceptable ! Je veux voir Général Ary et Capitaine Dana dans la tour de commandement, tout de suite ! » ordonna le Roi.

Elle pouvait comprendre sa réaction. Ses hommes avaient été emprisonnés pendant des lunes, dans ses propres cachots, sans qu’il ne le sache.

Soudain, un son doux et mélodieux résonna dans toute la pièce. Le chant était d’une beauté éblouissante et la tristesse qu’il portait, était presque palpable. Ayah resta bouche bée : jamais n’avait-elle entendu quelque chose d’aussi captivant. Il lui rappelait vaguement la douce voix de sa mère.

Ayah se retourna et comprit que la créature était à l’origine de ce chant merveilleux. Elle s’avança vers elle, hypnotisée par la beauté de ce qu’elle entendait, et posa sa main sur sa cage. Le métal brulait au contact de sa peau mais elle ne s’en souciait guère. La créature était désormai encore plus lumineuse, si bien qu’il était difficile de la regarder longtemps, comme un soleil au zénith.

« Tu es si belle. »

La créature se figea. Elle dévisagea Ayah de ses petits yeux noirs tout rond. Effrayée, elle tendit ses petites mains tremblantes vers elle. Le temps semblait s'être arrêté. Ayah pouvait presque sentir physiquement sa fragilité, sa douleur. La petite créature avait dû être emprisonnée dans ces cachots depuis si longtemps. Elle avait besoin de lumière, de liberté. Ayah aurait tant aimé l’aider mais elle ne savait pas comment faire.

Puis tout d'un coup, le son se tut aussi brusquement qu’il avait commencé.

Ayah recula et vit que tout le monde s’était écroulé sur le sol, les yeux fermés, les mains sur leurs oreilles. Ils se relevèrent doucement, se regardèrent, vérifiant si tout le monde allait bien. Ils avaient tous l’air déboussolé. Quelque chose s'était produit et Ayah ne s’en était pas rendue compte.

« J’ai cru que ce serait la dernière chose que j’entendrais dans ma vie. Quel son abominable. » déclara le maître, encore étourdi.

« Cette créature ne peut plus rester ici » affirma le Roi, hébété. « C’est trop dangereux. La prochaine fois, lorsqu’elle aura pris encore plus en force, elle détruira tout le cachot rien que par sa voix. »

Le Roi se frotta la tête, l’air d’avoir un mal de crâne. Ayah le suivit du regard, confuse, alors qu’il sortit de la pièce, le maitre sur ses pas. Avait-elle perçu les choses différemment des autres ? Pourquoi ?

« Nous sommes-nous déjà rencontrés auparavant ? »

Ayah se figea. Le prince se tenait derrière elle, la dévisageant d’un air curieux. Elle croyait qu’il avait suivi son père.

« Je ne pense pas, mon altesse royale » répondit-elle en inclinant la tête. « Je suis arrivée à Lyisstad il y a peu de temps. »

« D’où viens-tu ? »

« Je… Je viens du Royaume de Brahaum. »

Le Brahaum jouissait clairement d’une terrible réputation si bien qu'elle vit de la pitié dans ses yeux. Ayah devait en profiter : c’était le prince après tout.

« Je m’habitue à peine à ce nouvel environnement. Lyisstad est immense, on s’y perd vite ! Mais les gens sont si gentils ici. »

Il sourit.

« Viens, je vais te faire visiter le château. Ce n’est pas toutes les lunes qu’on rencontre des personnes venues de si loin. »

Elle le suivit, sentant son cœur battre la chamade. Ils sortirent des cachots et passèrent les cuisines où elle aperçut, choquée, une montagne de fruits disposée sur la table alors que les servants se pressaient d’y ajouter plus de cerises et de rizos.

« On prépare un grand évènement ? » dit-elle en montrant les marmites géantes sur le feu.

« Non, juste quelques oncles et tantes qui viennent manger avec nous. »

Elle ne put s’empêcher de sentir un pincement au cœur. Une telle quantité de nourriture aurait pu rassasier Raven et ses amis pendant plusieurs semaines.

Le prince lui montra ensuite les différentes pièces du château. Elle le laissa parler sans dire grand-chose, observant ses gestes enthousiastes et son tic occasionnel de grignoter ses ongles. Il ne dégageait pas encore l’assurance de son père, mais il y avait certainement quelque chose de charmant dans son visage enjoué. Son sourire était contagieux. Ayah en oubliait par moment qui il était, ce que son nom signifiait. Samaël d’Eryn ; c’était le guerrier qui avait mis fin à la Terreur Éternelle et avait fondé le royaume de Lyis. Mais ce qu’elle voyait là, ce n’était pas un guerrier. C’était simplement un jeune garçon curieux de faire une nouvelle rencontre.

« Alors, quelle Académie fréquentes-tu ? »

Ayah le dévisagea, confuse.

« Je travaille à la Citadelle, avec le maitre, Altesse. »

« J’ignorais que c’était possible d’étudier là sans être un Feis Nona. »

« Ah, j’ai dû impressionner le Maître de la Citadelle par ma connaissance illimitée. » plaisanta-t-elle.

Samaël s'esclaffa.

« Regardez-moi ça, un petit géni serai parmi nous ! »

Elle ne trouvait pas sa blague drôle mais sourit tout de même. Ayah s’aperçut tout d’un coup qu’elle n’avait absolument aucune idée comment se comporter avec lui. Il était le prince héritier, bon sang, que devait-elle faire ? Elle le laissa diriger la conversation, espérant trouver quelque chose d’intéressant à dire. Jamais ne s’était-elle retrouvée à réfléchir aussi fort avant de parler. Heureusement, ils discutèrent de nombreux sujets qu’elle aimait : histoire, art, politique, ses études à l’Académie.

Ils se dirigèrent ensuite vers les jardins à l’arrière du château. Ayah s’arrêta, éblouie par la beauté de l’endroit. Cette partie-là était encore plus splendide que les jardins à l’entrée. Les buissons étaient coupés de façon à former un cercle parfait autour d’un magnifique cerisier. Le résultat était d'une symétrie saisissante. Les couleurs des fleurs, des arbres, des plantes avaient été soigneusement choisis. Des jardiniers ajustaient quelques feuilles ici et là, entretenant au millimètre près cette verdure rayonnante. C’était une réelle œuvre d’art.

« Sais-tu qui a imaginé ces jardins ? »

Ayah fit un non de la tête.

« L’artiste qui les a conçu est la grande architecte classique Leila Lamel, ayant aussi conçu les belles maisons littéraires de Yersinia sous le règne de Renly IV. As-tu déjà visité la cité de Yersinia ? »

« Non, malheureusement. »

« Il faut absolument y aller une lune ! Le port de la cité est sublime, on y retrouve les plus grands navires de notre royaume. »

« Je vous avoues que tout ce que je sais de Yersinia est que beaucoup de cités et de villages avoisinants, sont mécontents de la place que la cité prend de plus en plus dans la région. »

Samaël lui lança un regard presque impressionné.

« Effectivement. Ils sont constamment en conflit. »

Ils avancèrent dans les jardins que Samaël paraissait connaître sur le bout des doigts malgré la complexité de chaque chemin. On pourrait très facilement s’y perdre, comme dans un véritable labyrinthe. Ils arrivèrent près d’une fontaine entourée de bancs à coté et s’assirent. Il n’y avait personne si ce n’est des gardes plus loin. On n’entendait que le bruit de l’eau de la fontaine et le chant des oiseaux dans ces jardins paisibles.

Ils restèrent là à parler pendant des heures. Il ne lui posa étonnement pas de questions sur son passé, ses origines. Ayah avait la térrifiante sensation que tout ceci était trop beau pour être vrai.

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