57.  Doumah, Royaume du Cricks

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« La patience est une vertue rare, ma reine. Vemir, puisse-t-il bénir nos lunes futures, nous a appris que la foi est dans la patience, dans l’immuable conviction que de meilleures lunes nous attendent sous le regard de... »

Ofelia écoutait à moitié l’abbé. Elle était cependant certaine que cela ne l’embêtait pas le moins du monde tant elle avait remarqué à quel point il aimait s’entendre parler. Elle avait de plus importante chose en tête que de perdre son temps à écouter les prières rébarbatives de l’abbé. Le prince Gödrik n’était toujours pas retourné de son voyage au Lyis et n’avait envoyé aucune lettre.

« Quand Renda, puisse-t-elle bénir nos lunes futures, est descendue des cieux et a trouvé l’horreur qu’avait créé les Démons, elle a voulu frapper immédiatement. Mais Vémir en a décidé autrement. ‘‘Attends ma sœur’’, lui dit-il. ‘‘Attends que nos frères nous rejoignent. Notre courroux en sera décuplé et leur sentence éternelle.’’ Et grâce à la sagesse infinie de Vemir, leur patience porta ses fruits… »

Elle connaissait ces histoires par cœur, et même si elle restait une fervente croyante, elle avait progressivement développé une certaine frustration quant à la façon dont on racontait la plupart d’entre elles. C’était toujours grâce aux hommes et de la faute des femmes. Ofelia soupira, interrompant l’Abbé.

« Nos contes fondateurs t’ennuient-ils, majesté ? »

Elle sourit jaune.

« Biensur que non, monseigneur, voyons. Je suis simplement inquiète, je me retrouve dans l’incapacité de le cacher. »

« L’inquiétude appartient aux pécheurs. Nos Anges voient tout, savent tout. Leurs mains célestes accompagnent nos vies à chaque moment… »

Et il repartit sur un monologue d’autant plus passionnant. Ofelia contempla la fenêtre à l’affût du moindre mouvement. Cela faisait plusieurs semaines depuis le départ du prince et trop de choses alarmaient Ofelia : elle avait toujours douté des intentions du prince. Est-il vraiment parti chercher de l’aide ou bien gagnait-il simplement du temps ?

L’état de son époux se détériorait de lune en lune. Elle ne pensait pas qu’il survivrait, même si le prince revenait avec un antidote. Et là la question se posait : qu’allait-il se passer après sa mort ? La reine était censée prendre le pouvoir. C’étaient les règles. Mais elle savait, au fond d’elle, que le prince trouverait un moyen pour l’écarter du chemin, comme elle le soupçonnait d’avoir fait pour son époux. Elle craignait pour sa vie maintenant. Elle avait déjà engagé un gouteur, de peur qu’on n’empoisonne sa nourriture.

Elle en avait parlé aux conseillers du Roi, même à l’Abbé, demandant ce qu’il se passerait si son époux venait à mourir. Elle leur avait confié son inquiétude. Ils la rassurèrent ; les conseillers étaient persuadés que le prince était fidèle à son père, qu’il était un homme bon. Mais ils ignoraient ce qu’elle savait, et elle ne pouvait rien dire.



Quelques lunes plus tard, le prince était de retour. Comme elle s’en doutait, il n’avait pas d’antidote. Il disait que le Roi de Lyis niait en posséder. La Reine, malgré ses doutes, était désemparée par la nouvelle. Elle avait eu de l’espoir. Elle alla se réfugier dans ses chambres, ne voulant pas afficher son désarroi devant les conseillers et le prince. Ofélia s’effondra sur le lit, les larmes aux yeux. Elle était en fait plus terrifiée et désemparée par ce qui risquait de lui arriver que par la mort certaine de son mari.

Quelques instants plus tard, quelqu’un frappa à sa porte. Elle se redressa et essuya ses larmes en vitesse mais ne répondit pas, espérant que la personne derrière la porte finirait par partir. Mais la porte s’ouvrit et le prince Gödrik apparut.

« Puis-je entrer ? » demanda-t-il, avec son habituel ton poli et respectueux.

La reine se méfiait de ses manières. Tout chez lui semblait calculé, fabriqué de toutes pièces, avec son apparence de prince parfait. Il était habile en combat, intelligent, beau parleur. Le peuple l’appréciait déjà beaucoup, même il n’était pas souvent présent à Doumah. Elle ignorait où il disparaissait parfois pendant de nombreux cycles lunaires. Elle avait payé quelques espions pour qu’on le suive sans succès. Il semblait réellement disparaître du territoire.

« Bien sûr, entre, entre » répondit-elle, un large sourire aux lèvres.

Gödrik demanda au garde à l’extérieur de la pièce de s’éloigner et ferma la porte. La Reine frissonna ; allait-il tenter quelque chose, ici, maintenant ? Il lui tourna le dos et s’approcha de la petite armoire de livres. Il semblait parcourir des yeux les manuscrits rangés soigneusement. L’anticipation de ce qu’il allait faire rendit Ofelia d’autant plus anxieuse. Elle était persuadée qu’il le faisait exprès. Il se retourna enfin.

« Je suis désolé de t’avoir donné de faux espoirs, Ofelia, j’aurai tellement aimé pouvoir faire quelque chose. Je peux difficilement imaginer ce que tu dois ressentir »

Il avait parlé avec une telle douceur que la reine le dévisagea, stupéfaite. Il était si bon acteur, c’était effrayant.

« Tu peux arrêter la comédie avec moi, Gödrik. »

Celui-ci la regarda, surpris par sa froideur soudaine. Il semblait réellement ne pas savoir de quoi elle parlait.

« Je sais qui tu es. Ou plutôt qui tu n’es pas : tu n’es pas le fils de mon mari. »

Ofelia l’observa, attendant une réaction de sa part, un signe de surprise. Rien. Sa posture n’avait pas changé. Quelle réaction étrange à une telle accusation. Pendant un instant, elle crut qu’il ne l’avait pas entendu mais il finit par dire :

« Je ne comprends pas, que veux-tu dire par là ? »

« Tu ne peux pas être son fils, parce qu’il ne peut pas avoir d’enfants. »

Pour la première fois, elle vit dans les yeux de Gödrik une réelle surprise. Il ne s’y attendait pas.

« Dois-je te rappeler que vous avez eu deux autres fils ? » ajouta-t-il, feignant de ne pas comprendre.

« J’ai eu deux fils, pas lui. » Gödrik sourit, de la stupéfaction dans les yeux. « Sais-tu combien de maîtresse il avait ? J’en ai perdu le compte. Aucunes d’entre elles n’est jamais tombée enceinte. Pendant des années nous avons nous même essayé, mais rien. Il refusait de l’admettre. Lorsque mes deux petits garçons sont arrivés, je n’ai même pas eu à expliquer quoi que ce soit. Il était persuadé que c’était les siens. » Elle lui lança un regard perçant et ajouta, d’un air de dégoût : « Les hommes sont de vrais abrutis. »

Gödrik éclata de rire, un rire sincère. Il s’approcha et s’assit sur une chaise en face qu’il rapprocha. Il avait l’air réellement amusé par sa découverte.

« Ah, Ofelia, Ofelia… Je dois l’avouer, tu me surprends beaucoup et pourtant il est très difficile de me surprendre encore. J’étais persuadé que tu l’aimais vraiment. » il pouffa de rire et ajouta, en se penchant plus près d’elle. « Ah tu as bien raison, les hommes sont des abrutis. »

Il la dévisagea longuement. Ofelia ne l’avait jamais vu d’aussi près. Elle était perturbée par sa proximité. Elle se redressa, essayant de mettre le maximum d’espace entre eux. Il remarqua son mouvement et esquissa un petit sourire au coin.

« Ta peur est si palpable que je pourrais l’empoigner avec mes mains. »

Elle pouvait presque sentir son souffle près de son visage, la faisant frissoner. Il passa sa main sur sa joue, effleurant sa peau. Ofelia était paralysée par la peur. Qu’allait-il faire ? Elle n’avait nulle part où aller, elle était prisonnière dans son propre château, dans sa propre chambre. A son grand soulagement, il se leva et se dirigea vers une des grandes fenêtres de la pièce, observant la citée qu’on voyait bien des hauteurs où était battit le château. Il était en train de jouer avec ses émotions et sa peur. Cette situation l’amusait.

« Tu as raison, je suppose que je n’ai nul besoin de faire la comédie. Tu te doutes bien qu’il risque de se poser un problème ici » affirma-t-il en l’indiquant elle et lui même du doigt.

« Il n’y a pas de raison que cela pose un problème. C’est simple, personne ne le saura jamais. Je ne dirais rien. Tu es déjà arrivé si loin. Tu n’étais rien et tu es devenu un prince. »

« Je n’étais rien… » murmura-t-il, plus à lui-même qu’à elle. Il avait le regard lointain, plongé dans ses pensées.

« C’est vrai, qui rêverait d’une vie de prince ? C’est insensé et pourtant tu l’as fait. Je ne dirais rien à personne. En échange de mon silence, on peut collaborer, toi et moi. »

Elle espérait que son discours le convaincrait.

Gödrik sourit. Il souriait beaucoup, comme s’il savait quelque chose que d’autres ignoraient, comme s’il savait tout. Il était si hautain, ça l’agaçait. De nouveau, elle ignorait ce qu’il pensait. Son masque était revenu. Elle en était sûr, elle n’avait aucune chance.

« Tu es une femme admirable Ofelia. Même au bord du gouffre, tu continues à te battre. Prends soin de toi veux-tu ? Ça m’attristerait beaucoup si quelque chose de malheureux venait à t’arriver. »

Il se retourna et sortit de la pièce, sans dire un mot de plus. La reine ne savait pas quoi faire. Elle était désormais certaine que sa vie était en danger. C’était devenu une question de survie. Elle devrait trouver un moyen de couvrir ses arrières et au plus vite. Elle devait trouver de l’aide.

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