61. Aravel

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Des villages entiers dans le royaume de Cricks avaient été détruits, tous par une seule et même créature, une bête effrayante qu’on disait venue d’un autre monde. Personne n’avait jamais vu de tel. La créature semblait désormais se diriger vers le Royaume de Lyis et tout le Cricks priait pour qu'elle s’en aille, qu’elle passe de l’autre côté de la frontière. Il y avait déjà eu tant de morts… Puis pendant plusieurs lunes, il n’y avait plus d’attaque de la créature dans le royaume. Malgré cela, la peur demeurait omniprésente. La bête pouvait surgir dans n’importe quel village, n’importe quelle cité. Beaucoup avaient fui vers le sud.

Cette lune-là, Aravel se dirigea en vitesse vers le centre de commandement de la cité. Il y avait là Nahia l’amie de Rita, Dalia, une métamorphe représentant les Huldra de la forêt des Mage, Nizar un mage allié d’Aravel, et bien sûr Frej.

« La bête qui ravageait les villages du Cricks est arrivée dans notre royaume. Elle a attaqué et décimé le village de Ahfir ce matin à l’aube. » déclara Aravel.

« D’après les sentinelles, c’est un véritable carnage. » commenta Frej, le visage fermé. « Si l’on passait par le village, on pourrait croire qu’il ne s’était rien passé du tout. Mais dans les maisons, tout le monde est mort. Le sang de ces habitants baigne sur le sol de chacune des bâtisses. »

« A priori personne n’a survécu. Ahfir est un village fantôme désormais. » ajouta Aravel.

Tout le monde se mit à parler en même temps. Certains proposaient de la laisser détruire les villages et les cités humaines, d’autres voulaient la contenir. Puis un homme vêtu entièrement en noir, entra dans la pièce mettant fin au brouhaha. C’était le commandant des sentinelles.

« Aravel, je viens d’être informé qu’un de mes hommes a vu brièvement la bête à la rive droite du fleuve de Mellan. On ne peut pas savoir où elle se dirige car elle est capable de transplacer rapidement. Si nous voulons agir, nous devrons être efficace. »

Tout le monde se tut, attendant la décision d’Aravel.

« Quelles sont les cités et villages les plus proches ? » demanda Frej.

Ils jetèrent un œil à la carte sur la table.

« La cité de Mirad, le village de Dazoc, Quamar, Faro et Levna. » cita le commandant.

« Frej, envoit tes hommes qui peuvent transplacer dans chacun des villages et cités avoisinants » ordonna Aravel. « Je veux être informé dès que survient une nouvelle attaque. »

Frej acquiesça puis Aravel continua, s’adressant aux autres :

« Nahia, Dalia, Nizar, avez-vous parmi vos rangs des personnes qui peuvent transplacer ? » Ils acquiescèrent tous. « Très bien, envoyez-les dans les villages et cités restants. Ce qu’il s’est produit au Royaume de Cricks n’arrivera pas ici. Si nous laissons cette bête faire, le Roi réagira avec force. Nous devons impérativement l’arrêter. Nahia, préviens Sajil également, priorité désormais sur cette bête. » Il se retourna vers le commandant. « Informez nos alliés. Tout le monde doit être au courant. Je pense que le Roi n’a pas encore été averti. Profitons de cette longueur d’avance. »

Pendant plusieurs lunes, la cité d’Adryana bouillonnait. On s’activait à aider les réfugiés ou à collecter des informations venant des espions du royaume entier. L’alerte lancée par Aravel alarmait tout le monde. La situation des Kaaïns était déjà suffisamment critique sans qu’une nouvelle menace ne vienne les inquiéter encore plus.

« Nous avons fui la terreur à Olorùn pour retrouver le chaos ici » déclara un homme en larme, avec son fils âgé de cinq ou six ans cachés derrière lui.

Aravel secoua la tête.

« Tout va rentrer dans l’ordre, je peux vous l’assurer. »

« Vous pensez que l’Empereur en a après nous ? » demanda le petit. « Vous pensez qu’il a envoyé cette créature pour nous achever ? »

Aravel s’abaissa à hauteur de l’enfant.

« La bête n’est pas après toi, mon grand. Tu es en sécurité ici. L’Empereur n’a aucune raison de venir jusqu'au au Lyis, ni d’envoyer ses sbires. »

« Notre cité a été entièrement détruite par l’Empereur » expliqua le père. « Tout ça car une personne a décidé d’accueillir des Ksärs… Nous avons réussi à fuir avant que cela ne se produise, avec d’autres familles, mais tous les autres sont morts. Envoyer un monstre pour nous traquer ne semble pas impossible. »

Aravel se releva. Ce n’était pas la première fois qu’il entendait de telles atrocités venant des terres lointaines d’Olorùn. Aravel ne voulait pas imaginer ce qu’il se passait là-bas.

« Comment s’appelait votre cité ? »

« Skhor Breg’na. »

« Nous ferons une veillée en la mémoire de tous ceux qui sont mort à Skhor Bre… Bregana. Je suis sûr qu’ils reposent en paix avec la Déesse Eya. »

L’homme fronça les sourcils.

« Le seul Dieu que j’ai connu est celui qui a détruit notre cité, terrorisé notre existence. J’espère qu’ils n’ont retrouvé aucun Dieu là-bas, et qu’il n’y a rien d’autre que le néant et la paix après la Mort. »

Aravel se mordit les lèvres. Parfois, il oubliait que les gens pouvaient avoir de bien différentes croyances et cultures.

« Excusez-moi… Écoutez, je comprends vos inquiétudes et c’est pourquoi nous envoyons généralement les réfugiés d’Olorùn sur l’île invisible. Personne ne sait qu’elle existe en dehors de notre communauté, personne ne vous atteindra là-bas. Ne vous inquiétez pas, tout ira bien. »




Quelques lunes après l’attaque dans le village de Bayir, une sentinelle transplaça dans la cité. L’homme se dirigea précipitamment vers le centre de commandement informer Aravel. La bête était réapparue proche du village de Faro, toujours au sud du Royaume.

Aravel rassembla ses combattants et ils transplacèrent tous en vitesse.

Dès leur arrivée au village ciblé, ils aperçurent la créature, à quelques centaines de pas des habitations. La bête avait une silhouette humaine mais disproportionné et une tête sans traits discérnables. Tout son corps semblait fait de laves et était recouvert par une armure en métal noir, ancien. Elle était étonnement discrète et silencieuse pour une créature de son envergure, si bien que personne dans le village voisin ne s’était encore aperçu de sa présence.

Aravel transplaça juste devant la bête terrifiante. Il n'avait jamais rien vu de tel. Ses yeux étaient entièrement noirs et semblaient baigner dans du sang. De sa bouche énorme sortaient des dizaines de longues canines pointues et ensanglantées. Son front se prolongeait en deux longues cornes faites de feu. Aravel fronça les sourcils en remarquant sa peau changeante : parfois elle semblait faite de lave, rougeâtre, brulante, et à d’autre moment, elle paraissait normale, de couleur blanche avec même quelques grains de beautés ici et là. Il se demanda si tout son aspect n’était pas qu’une simple illusion.

Le mage s’arrêta devant la créature, lui barrant le chemin.

« Je ne sais pas si tu peux me comprendre, mais je sais que tu es conscient que je ne suis pas ton ennemi. »

La créature baissa les yeux vers lui et le fixa d’un regard vide. Elle semblait cependant l’écouter.

« Je comprends ta haine, je comprends ta rage. Je comprends ton envie de tout détruire. Toi et moi, nous voulons la même chose. Mettre fin au règne cruel des humains. »

La créature émit un râle terrifiant. Le sol vibrait sous la violence de sa voix. Aravel ne savait pas comment l’interpréter. Il ignorait même si elle pouvait le comprendre.

« Mais ce que tu fais ne nous aide pas. Tu nous mets tous en danger. Joins-toi à nous, joins-toi à nos forces et ensemble, nous les détruirons tous. »

La créature baissa la tête et ferma les yeux, l’air d’absorber les paroles d’Aravel. Puis elle rouvrit ses yeux et leva la tête, fixant le village humain devant elle. Sa décision était prise.

D’un simple geste de la main elle envoya Aravel dans les airs et continua son chemin vers le village. Ils avaient convenu que si la créature ne coopérerait pas, alors il devait l’arrêter. Ils encerclèrent la créature en vitesse, essayant tant bien que mal de l’arrêter. Frej et ses hommes se concentraient sur ralentir l’avancée de la bête. Des boules de flammes fusaient, des geysers d’eau, des projectiles aiguisés. De leur côté, Nahia et cinq autres Kaaïns tenaient chacun des grosses chaines faites de lancère. Ils soulevaient la chaine avec des gants pour ne pas toucher le métal et essayer d’arrêter l’avancer de la bête. Dalia apparut avec deux énormes faucons qui s’élancèrent de plein fouet sur la bête.

Aravel se redressa. La violence du coup qu’il avait pris l’avait envoyé à plusieurs dizaines de pas de la cible. Son visage était couvert de sang mais cela ne l’empêcha pas de se relever aussi tôt et de rejoindre ses alliés. Il se concentra pour maintenir la bête dans le cercle, l’empêchant de transplacer. Le sort qu’il jetait n’était pas anodin et drainait son énergie rapidement, mais il était rudement efficace. Aravel pouvait clairement voir que la créature ne voulait pas leur faire du mal. Elle semblait se retenir, ne cherchant pas à les tuer. Si c’était son but, aucun d’entre eux ne serait encore debout. Mais ils étaient sur son chemin et sa détermination était de fer.

Nizar et trois de ses hommes apparurent un peu plus loin de la bataille. Ils tenaient des arcs dans leurs mains. Leurs flèches avaient leurs bouts fait de lancère et elles volaient vers la bête prenant des directions surnaturelles. La bête ne pouvait les esquiver malgré sa vitesse, les flèches semblaient suivre ses mouvements. Tout le monde se doutait bien que rien d’autres que du Lancère pouvait blesser une créature qui semblait être faite de lave. Et ils avaient raison : le lancère ralentissait son avancée et sembler diminuer momentanément ses forces.

La bataille continuait, interminable. Aravel voyait que ses alliés se fatiguaient. La créature elle, continuait à les repousser, les frapper, les lancer dans les airs comme s’ils n’étaient rien d’autres que de vulgaires insectes sur son chemin. Aravel pouvait sentir qu’elle essayait de transplacer à plusieurs reprises, en vain. Mais ils devaient l’immobiliser et vite, car il ne pouvait pas faire tenir le sort éternellement. Les flèches fusaient toujours, atteignant inexorablement leur cible. Il crut voir un moment un objet tomber de la créature de feu.

La bête se retourna vers Aravel, balança tous ceux qui lui bloquaient le chemin et s’avança rapidement vers lui. Elle avait compris finalement ce qui la retenait en place. Voyant la menace arriver, Aravel disparut pour réapparaitre plus loin. La bête se précipita vers lui et il disparut encore une fois. Il sentait ses forces lui échapper à mesure qu’il utilisait sa lunsor. Il ne pouvait pas continuer ainsi éternellement. Et cette fois-ci lorsqu’il transplaça à nouveau pour lui échapper, la créature anticipa son mouvement et l’attrapa par le cou avec ses énormes mains et ses ongles longs et noirs qui se creusaient douloureusement dans sa peau.

La bête le souleva et serra. Aravel se débâtit mais elle ne le lâchait pas malgré les sorts qu’il lui jetait, des sorts qui auraient en aurait tué plus d’un. Mais il vit du sang sortir de son bras, du sang rouge, d’apparence habituel. Comme il s’en doutait, la bête n’était donc pas vraiment faite de lave : elle pouvait saigner. Au bout de ses forces, Aravel parvint finalement à planter une dague en Lancère dans le bras de la créature, mais à son grand désarroi, celle-ci broncha à peine. Finalement, en manque d’air, Aravel s’écroula, drainé. S’il utilisait encore un peu plus de lunsor, il en était certain, il mourrait.

La créature le relâcha et le déposa délicatement sur le sol. Il la vit retirer d’un coup la dague et la balancer plus loin comme si de rien n’était, avant de perdre connaissance un bref instant.

Il sentit le sol sous le lui trembler à mesure qu’on accourait vers lui. Frej était déjà en train de le soigner et il sentit ses forces revenir peu à peu. Ils ne pouvaient rien faire contre cette bête indestructible. Rien ne semblait l’arrêter.

« Ça va ? » demanda Frej, le regard inquiet.

Il acquiesça doucement. Aravel se redressa et vit la bête un peu plus loin, contempler le village toujours paisible devant ses yeux, comme si elle considérait les choix qu’elle avait.

« La bête a fait tomber ça. »

Frej lui montra un collier brisé d’où pendait un pendentif en or. Aravel cru que son cœur allait s’arrêter. Dessus était gravé un symbole : deux demi-lunes inversées l’une par rapport à l’autre.

« La lune d’Eya. »

La créature émit un râle effrayant, alertant Aravel à nouveau. La bête reprenait son chemin vers un bain de sang assuré, quand soudain, un homme apparut devant elle. La bête se figea. Il lui tendit sa main qui la prit sans hésitation, puis tous deux disparurent dans les airs.

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