42. Ayah

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Alors qu’elle se baladait toujours dans la cité, le vent changea brusquement de direction et elle sentit une aura de lunsor nouvelle, menaçante. Elle était proche. Elle ne savait pas d’où elle venait exactement, mais elle savait qu’elle n’était pas loin.

Elle se déplaça discrètement essayant de s’éloigner de cette aura inquiétante. Elle se dirigea vers une partie plus animée de la cité et se fondit dans la foule. Elle s’aperçut que l’aura semblait la suivre. Ayah repéra une des petites enseignes avoisinantes, une boutique d’arme, dont la porte s’ouvrit juste devant elle. Elle le prit comme un signe et entra précipitamment.

Elle fit semblant d’inspecter les épées affichées sur la porte, observant en fait les déplacements à l’extérieur. Qui pourrait bien la suivre ? Peut-être avait-elle seulement imaginé la chose. Mais quelques instants plus tard, une femme surgit d’une ruelle proche. Elle devait avoir entre quarante et cinquante ans, scrutant les alentours, le regard sérieux. Elle semblait chercher quelque chose ou quelqu’un. Elle continua d’avancer et s’arrêta exactement à l’endroit où Ayah se tenait quelques instants au part avant. Une coïncidence peut-être ? Mais la femme posa son regard sur la boutique d’arme et s’avança.

« ‘Y a une pièce à l’arrière, vas-y ! »

Ayah se retourna, surprise. La vendeuse avait compris ce qu’il se passait. Ayah se précipita dans la pièce arrière sombre.

La femme entra quelques secondes plus tard. Elle inspecta le magasin et s’avança vers la vendeuse, un sourire chaleureux aux lèvres.

« Bonjour, j’étais avec mon amie et je l’ai perdue dans la foule. J’ai l’impression de l’avoir aperçue rentrer ici, l’avez-vous vue ? »

La vendeuse lui rendit son sourire.

« Je n’sais pas, beaucoup d’gens rentrent, sortent. Je suis occupée moi, j’fais pas toujours attention. »

La femme la dévisageait, incrédule.

« Je suis certaine de l’avoir vue passer par ici pourtant. »

La vendeuse haussa les épaules. Elle semblait sereine et pourtant sa main droite était derrière son dos, posée fermement sur son épée. La vendeuse n’était pas très jeune, peut-être la quarantaine. Sa confiance en elle était indiscutable mais la femme devant elle ne bougea pas. Elle jeta un coup d’œil derrière la vendeuse. Elle savait que la personne qu’elle cherchait pouvait se cacher juste là et Ayah s’attendait presque à la voir surgir devant elle. Allaient-elles se battre là, devant elle ? Ayah se crispa, anticipant l’explosion de violence.

« Je vous remercie » répliqua finalement la femme.

Elle se retourna et s’en alla du magasin. Ayah sortit de la pièce, hésitante, encore apeurée par ce qui venait de se passer.

« On dirait que quelqu’un veut ta peau » affirma la vendeuse, toujours aussi calme.

Ayah jeta rapidement un coup œil dehors mais ne remarqua rien d’inquiétant. Elle se retourna vers la vendeuse puis elle s’aperçut qu’une légère aura de Lunsor émaner d’elle. Était-ce pour cette raison qu’elle l’avait aidé ?

« Je te suis redevable, merci encore. »

Son attention fut tout d’un coup attirée par une épée disposée sur une étagère derrière la vendeuse, protégée par une vitrine en verre. L’épée était pourtant simple. Elle n’était pas spécialement belle ou étincelante, elle n’avait rien de particulier si ce n’est des gravures sur son poignet : la forme d’une silhouette étrange ailée.

« Tu as l’œil on dirait. » La vendeuse s’approcha. « Je suis vendeuse ici d’puis des années et tu es la première à ne serait-ce que t’attarder dessus. Sa simplicité est trompeuse. Tu as d’vant toi ma pièce la plus précieuse et la plus remarquable. Mais vu ton r’gard, je pense que tu l’as bien compris. »

Ayah n’avait pas bougé, toujours fascinée par l’épée. Elle pouvait presque sentir l’histoire derrière sa lame, chargée d’émotion, de violence. La vendeuse sortit une grosse clé toute rouillée de sa poche et ouvrit l’armoire. Elle sortit l’épée et la tendit à Ayah. Dès qu’elle l’empoigna, le sol se mit à trembler. Les autres épées vibraient dans leurs vitrines. L’énergie, la Lunsor qui émanait de l’épée était intense.

« Le prix ? »

La vendeuse inspecta rapidement son magasin, s’assurant que tout était toujours en place. Elle posa son regard sur Ayah, un sourcil haussé.

« Elle a pas d’prix. J’la vends pas »

Ayah n’insista pas et lui rendit l’épée. Elle se doutait que ce serait le cas. Une épée chargée de Lunsor, ça semblait effectivement hors de prix.

« Pourquoi ne l’utilises-tu pas alors ? »

La vendeuse lui jeta un coup d’œil, l’air de se demander si elle avait perdu la tête.

« J’ai pas b’soin d’avoir beaucoup de Lunsor en moi pour sentir que cette épée en est chargée. Tu as bien vu comment elle a répondu à ton toucher. Cette épée est presque une entité vivante à part entière et, disons que j’ai pas tout à fait envie d’confier ma vie à une épée qui pourrait décider d’m’égorger moi à la place d’mon adversaire. »

Ayah fronça les sourcils. L’épée était-elle réellement capable de faire ça ? Elle jeta un œil dehors, le regard encore inquiet.

« Que dois-je faire pour m’assurer que ce qu’il s’est passé ici restera ici ? »

La vendeuse éclata de rire. Elle se retourna et se dirigea vers la pièce derrière le magasin. Ayah la suivit, stupéfaite. Un rire n’était pas ce à quoi elle s’attendait.

Elle n’avait pas vraiment regardé la pièce lorsqu’elle s’y était cachée. C’était un atelier. Il était sombre, éclairé seulement par un faible feu de cheminé. Il n’y avait qu’une minuscule fenêtre tout en haut près du plafond. Ayah vit tout autour du plafond d’étranges inscriptions qui lui semblaient familière. Puis elle se rappela : c’étaient les mêmes symboles, à quelques détails près, que ceux gravés sur les menottes qu’elle avait dans les cachots, ainsi que sur les murs de la Citadelle. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Était-ce des symboles qui bloquaient la Lunsor ? Ça expliquerait pourquoi sa Lunsor ne répondait plus dans les cachots. Elle frissonna à cette pensée.

La dame s’assit sur une chaise derrière une petite table en bois couverte de poudre noir et de fil de fer.

« Comment t’appelles-tu, p’tite ? »

Ayah hésita. Devrait-elle mentir sur son identité ? Sentant son hésitation, la vendeuse dit d’un ton sévère :

« Si tu mens, je l’saurais. Je n’aime pas les menteurs et plus que tous, les menteurs qui me prenne pour une conne ! »

Elle l’observa, surprise par ses paroles. Bon sang, elle est bizarre cette dame.

« Ayah, mon nom est Ayah. »

« Enchantée, moi c’est Sib »

Elle sortit un étrange outil en métal et frotta avec le fil de fer qu’elle empoignait.

« Si tu veux survivre dans cette cité, Ayah, il va falloir que t’apprennes, et vite, à cacher toutes ces émotions que j’peux lire si facilement sur ton visage. Tu viens d’arriver ici, hein ? » Elle ricana et n’attendant pas de réponse, elle continua : « Tu dois apprendre à mentir avec ton cœur avant d’commencer à mentir avec ta bouche. Tu peux être qui tu veux. Mais pour ça, tu vas d’voir commencer à y croire. »

Elle avait l’air d’en savoir qu’elle chose. Sib n’avait pas une seule fois levé les yeux de son travail. Des petites étincelles commençaient à apparaître de temps en temps sur le fil de fer pendant qu’elle le frottait toujours vigoureusement. Sib se leva et sortit une touffe de paille d’un énorme coffre en métal. Elle saupoudra la paille avec l’étrange poudre noire éparpillée un peu partout sur la table et brandit le fil de fer. Elle frotta une seule fois et la paille explosa violement, des débits atterrissant un peu partout dans l’atelier.

« Aha ! »

Elle avait l’air satisfaite de son travail et ne se souciait pas le moindre du monde du feu qui s’allumait tranquillement mais surement sur sa table en bois, son étagère de livre derrière elle et la paille qui restait dans son coffre. La brûlure légère qui couvrait toute sa main gauche ne semblait pas tellement l’inquiéter non plus.

Ayah se mis à piétiner la paille enflammée pour éteindre le feu et vit Sib jeter un épais manteau sur le bureau, étouffant les flammes.

« Par l’aura d’Asal Ahaan ! ’Faut vraiment qu’je trouve comment contrôler ces foutus explosions ! » dit-elle en prenant des bandages posés dans le coffre derrière elle.

Ayah se demanda si elle pourrait guérir sa plaie malgré les symboles. Elle ne perdait rien à essayer. Elle s’approcha et prit la main de Sib. En quelques seconde, sa brûlure disparut. Sib sursauta et retira ses mains brusquement. Elle leva les yeux vers Ayah, surprise. Elle était elle-même étonnée : comment se fait-il que les symboles n’avaient pas arrêté sa Lunsor cette fois-ci ?

« Comment as-tu … » Elle s’arrêta, analysant sa main et sourit. « Guérison instantanée, aucune cicatrice, plus de douleur… On dirait qu’elle a beaucoup d’talent la p’tite ! »

Ayah garda un air sérieux, l’air de savoir parfaitement ce qu’elle faisait.

« Je peux t’être très utile Sib. Et toi aussi, tu peux m’être utile. On peut travailler ensemble. Aide-moi à survivre dans cette jungle et tu auras mes talents de guérisseur entre tes mains. »

Elle vit tout de suite l’intérêt dans son regard. Celle-ci la dévisagea longuement, considérant sa proposition.

« Hmm… très bien. » répondit Sib. « Mais à une condition : j’ai pas l’impression qu’tu sais pourquoi cette femme te suivait ni ce qu’elle te voulait. Il va falloir que tu règles ce problème et vite si tu veux rester plus longtemps dans ma cité. Je ne veux pas d’problème ici ! Et toi, t’es un potentiel aimant à problème, j’peux le flairer. »

Ayah ne dit rien et se contenta d’acquiescer. Sib se leva, fit un pas vers elle puis sortit son épée.

« Ici, on conclut des accords en tenant ensemble l’épée par le poignet. ».

Elle s’approcha et posa sa main sur celle de Sib. Elle acquiesça : c’était fait.

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