Le Basileus
de
Valerie MUSSET

Laissez moi vous raconter l'histoire de la deuxième croisade franque et du rôle joué par l'empereur byzantin, le Basileus Manuel 1er Comnène. Bien qu'il ait pu être considéré en son temps, comme un homme bon, sage et brave par son peuple, il a trahi et a livré les Francs aux musulmans. J'ai été chargé de l'éliminer. Cet ordre m'a été donné par un émissaire du roi de France, après qu'une partie des troupes, composée essentiellement de croisés, ait péri dans le Bosphore sous un feu grégeois byzantin. Mais laissez-moi vous conter cette aventure par son commencement.
Cette première moitié du XII ème siècle, comme vous le savez, a été troublée à de nombreuses reprises par des guerres de " territoire " et par une volonté certaine de l'Occident de maintenir son expansion en Orient. Et lorsque le comté d'Édesse, un des premiers Etats latins créé lors de la première croisade, fut reconquis par les turcs musulmans en 1144, le pape Eugène III a aussitôt réagi à cette nouvelle en lançant la deuxième croisade vers Jérusalem, avec la ferme intention de reprendre non seulement cette partie de Terre Sainte mais également de porter secours aux Etats chrétiens d'Orient. Cette croisade durera deux longues années. Et à l'aube de celle ci, l'Occident n'est pas sans savoir que le monde musulman est en éveil et que de nombreuses divisions et guerres intestines s'agitent en son sein.
La France, quand à elle, a un nouveau roi depuis quelques années. Il s'appelle Louis VII, dit " le jeune", un Capétien. Il n'a que dix-sept ans, est assez inexpérimenté, mais suffisamment âgé dit-on pour avoir déjà de nombreuses fautes à expier. En s'investissant totalement dans cette expédition et en en prenant la tête, il espère ainsi obtenir la rédemption de ses nombreux péchés par son Dieu. Il va donc " prendre la croix " en 1146, accompagné de son épouse, la reine Aliénor d'Aquitaine, faisant sûrement la fierté de tous les francs de son royaume. Mais ils ne seront pas les seuls à se rendre en Orient. Une autre armée, germanique celle-là, et dirigée par l'empereur Conrad III, va accepter de se joindre à eux.
Décidant de voyager séparément, les deux armées entament leur expédition en 1147. Une division qui les rendra vulnérables face aux différentes attaques rencontrées en Asie Mineure. Est-ce pour cette raison que les deux souverains décideront ensemble de ne plus chercher à reprendre le comté d'Édesse, préférant accomplir leur pèlerinage à Jérusalem ? Je ne saurais vous le dire. Quoiqu'il en soit ce voyage, d'une durée de cinq mois, sera long et difficile. Ils seront ainsi amenés à traverser toute l'Europe en passant par le Danube, les Balkans, pour arriver enfin aux portes de Constantinople, administrée par le Basileus.
L'empereur byzantin, de son côté, a de grandes ambitions et voit non sans réticence arriver sur son territoire, ces croisés et leurs rêves inassouvis de conquête. Obtenir leur allégeance, reste pour lui, le meilleur moyen de s'assurer de leur soutien dans les guerres qu'il a à mener. Il va donc, dans un premier temps, les considérer comme une force pour affirmer la présence byzantine sur toutes les côtes méditerranéennes. La Méditerranée étant, comme chacun sait, une zone de richesses qui attire les convoitises de nombreux pays, en raison de ses façades ouvertes sur trois continents : l'Afrique, l'Europe et l'Asie.
Mais il n'obtient pas de Louis VII et de Conrad III cet hommage tant convoité, et décide donc de faire la paix avec les musulmans afin d'assurer ses arrières. Ce choix va l'obliger à rester à Constantinople afin de surveiller les premiers croisés présents dans sa capitale, jugulant ainsi tout risque de débordement. Le roi de Sicile, n'attendant que cela, en profite pour reprendre plusieurs villes grecques qui étaient en sa possession. Et cela va bien entendu le mettre de fort méchante humeur !
Il y a un autre homme qu'il ne faut pas oublier dans cette histoire, car il a changé le cours des choses : Nûr-al-Dîn, l'émir d'Alep, qui ambitionne d'unifier la Syrie et de faire de Damas sa capitale, en se débarrassant par la même occasion de tous les chrétiens. C'est le grand rival de Basileus, dont ce dernier aurait bien aimé se débarrasser avec l'aide des croisés. Mais le roi et l'empereur germanique ont d'autres projets. Prendre Damas fait aussi partie de leurs plans. Cette ville est en effet considérée comme une place stratégique en raison de sa route caravanière menant au Caire. Et ils désirent mener seuls la bataille afin d'être les premiers à pouvoir en tirer avantage.
Malheureusement pour eux, il a été rapporté qu'en raison d'un siège mal préparé, réalisant leur défaite et ne voulant pas prendre le risque d'essuyer un échec cuisant, ils ont battu en retraite avec leurs troupes. Plus grave, ils s'en sont remis au Basileus avec lequel ils avaient un accord, moyennant finances. Je le connais, cet homme ne tient jamais ses promesses. Je suis même étonné qu'ils aient pu lui faire confiance. Mais que voulez-vous... Ce dernier devait leur apporter le moyen de fuir d'Adalia par la mer, grâce à ses vaisseaux. Les navires de guerre, à rames, sont bien arrivés, mais moins nombreux que prévu. Obligeant le roi à laisser derrière lui les non-combattants et une partie des troupes qui ne pouvait embarquer. Laissés à terre, sous la protection des byzantins, ils ont appris par la suite qu'ils avaient tous été massacrés, sans que personne n'intervienne pour les sauver !
Louis VII a donc embarqué avec le reste de ses troupes sur les navires de Basileus en direction d'Antioche, où l'attendait Raymond de Poitiers, prince de ce lieu et oncle d'Aliénor, laissant Conrad III continuer sur Jérusalem. Tandis qu'ils se trouvaient à quelques miles des côtes, le roi et ses hommes ont été attaqués par des vaisseaux byzantins placés en embuscade. Ces derniers ont utilisé une arme incendiaire secrète, qu'ils sont les seuls à savoir fabriquer : le feu grégeois. Ils ont projeté un liquide inflammable aux abords des navires puis y ont mis le feu. Il paraît alors, que d'énormes flammes se sont mises à jaillir sur l'eau et ont avancé sur les bateaux à la vitesse d'un cheval au galop ! Le roi s'en est sorti sain et sauf, perdant beaucoup de vaillants chevaliers. Il a surtout promis de se venger. Nous sommes en 1149.
Mon nom est Nizar, je fais partie de la ligue des assassins. Ma devise " rien n'est vrai, tout est permis ". J'ai beaucoup voyagé avant de décider de vivre à Constantinople, aussi appelée " la nouvelle Rome ". J'y ai une villa sur le détroit du Bosphore. Ce que j'aime dans cette ville ? Sa prospérité et ses opportunités. Elle est la dernière étape sur la route de la soie, voilà pourquoi. Et puis on y trouve une population d'origines, de langues et de religions diverses. On croise donc toutes sortes de personnes et l'on s'y amuse bien ! Il y a un Hippodrome qui peut accueillir jusqu'à cinquante mille spectateurs ! À chaque fête, anniversaire, ou victoire de l'empereur, on assiste à des courses de chars, des jeux du cirque, des démonstrations d'animaux. Dernièrement j'y ai vu un ours. C'est vraiment un animal gigantesque et tellement puissant. Je n'aimerais pas finir entre ses griffes... On ne s'y ennuie jamais et c'est aussi une ville sûre et imprenable grâce à ses grandes murailles ! Ce qui n'est pas négligeable, par les temps qui courent...
Un jour, alors que je me trouvais sur la Mésé, c'est une grande avenue très agréable, j'ai été arrêté par un homme qui s'est présenté comme étant un envoyé du roi de France. J'ai aussitôt pensé à un piège ! Mais non. Après m'avoir prouvé son identité, il m'a expliqué qu'il cherchait quelqu'un qui connaissait bien la ville et qui n'attirait pas l'attention. De plus ma réputation me précédait, je ne ratais jamais ma cible. Ils avaient leur homme ! lorsqu'il m'a annoncé le nom de celui qu'ils voulaient supprimer... j'ai crû défaillir et le mot est faible... L'empereur de Constantinople lui-même ! Le Basileus ! L'homme était bien gardé, et mes chances étaient minces de parvenir jusqu'à lui. Mais j'ai malgré tout accepté le marché bien que les risques soient énormes. Cinq mille marc d'argent ne se refusent pas ! Et puis il me fallait être digne de ma devise !
Je savais que l'empereur se rendait souvent à l'église Sainte Sophie, qui pour l'occasion était déserte. Qu'il était le seul à y pénétrer et que sa garde rapprochée l'attendait à l'extérieur. Mais comment faire pour attirer son attention ? Heureusement j'avais à mon service une armée d'espions. C'est eux qui m'informèrent du projet de Basileus : s'emparer d'Antioche. Le prince à sa tête, n'était autre que Raymond de Poitiers dont je vous ai parlé plus haut. Étant donné leurs relations, il lui était impossible d'obtenir des informations sans éveiller l'attention. De mon côté, la chose était aisée grâce à l'émissaire envoyé par le roi, sensé repartir de Constantinople, une fois mon forfait accompli. C'est donc lui qui m'informa des intentions du prince de quitter Antioche pour mener une expédition contre Nûr-al-Dîn qui menaçait ses terres. Des révélations qui ne manqueraient pas d'intéresser Basileus au plus haut point et que je monnayerais à prix d'or, cela va de soi.
Les jours qui précédèrent cette fameuse rencontre me servirent à échafauder mon plan. J'avais obtenu l'accord de Basileus pour que cette entrevue ait lieu dans l'église Sainte Sophie. Pour y être allé à de nombreuses reprises, j'en connaissais tous les recoins. Je n'avais donc eu aucune difficulté à y introduire mon arme et à la cacher dans un endroit connu de moi seul. Je passais donc mes derniers instants d'homme libre, à boire de l'arequy, alcool distillé à partir de dattes et de feuilles de réglisse, qui me donnait une telle ivresse, que je n'aspirais plus qu'au repos.
Ce matin là, à mon réveil, les oiseaux chantaient et je sentais déjà la chaleur percer au travers des volets. Ma tête était un peu lourde, souvenir de mes excès de la veille, mais j'étais fin prêt. Alors que je prenais le chemin menant à l'église, je me mis à penser à tous ces marcs qui m'attendaient. À toutes les fêtes qui en découleraient. À l'homme riche que j'allais devenir, si jamais la chance était avec moi. Je me disais aussi que si par malheur j'échouais, ma réputation en pâtirait...
Arrivé à destination, je fus fouillé par les gardes qui ne trouvant rien à redire me laissèrent passer en poussant la grande porte d'entrée. Aussitôt à l'intérieur la fraîcheur ambiante me traversa, la pénombre me fit cligner des yeux, alors que je me dirigeais vers l'endroit où se trouvait mon poignard. C'est en le saisissant que j'entendis une voix provenant de la nef centrale. Celle-ci me demandait de m'avancer sous la lumière de la coupole. Ce que je fis en tremblant. Cet homme était vraiment impressionnant. Non seulement il était imposant par la taille, mais ses yeux avaient une fixité qui me transperçaient, comme s'ils tentaient de lire dans mes pensées, d'atteindre mon âme. Lorsqu'il avança la bourse pleine d'argent vers mon visage m'incitant par ce geste à lui révéler mes informations, je sortis mon poignard à la lame recourbée, prêt à l'égorger. Mais je n'en ai pas eu le temps... Il m'avait devancé...
Table des matières
Commentaires & Discussions
Le Basileus | Chapitre | 2 messages | 9 ans |
Des milliers d'œuvres vous attendent.
Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.
En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.
Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion