Ce n'est pas moi...

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Je rentre chez moi sous la neige, comme les jours précédents et les jours avant encore. Sous le même rideau blanc et froid qui me glace les joues, fait rougir mon nez et bleuir mes lèvres. Les mains dans les poches pour les préserver des gros flocons. Comme toujours.

Chez moi, je balance mon sac humide sur le sol impeccable de ma grande maison, en criant "j'suis là !" à l'attention de mon frère.

Et je monte dans ma chambre, j'ouvre un carnet et je lis mes écrits de la veille. La confession d'une personne qui, je le sais, n'est pas moi. Ce n'est pas ma plume, ce n'est pas mon écriture, ce ne sont pas mes pensées. Pourtant, je cache ce carnet dans un endroit dont aucun membre de ma famille ne connaît l'existence. Je suis seule à accéder à ce carnet. Néanmoins, de plus en plus souvent, je lis des phrases que je n'ai pas écrites. Impossible d'en trouver la raison, mais je n'ai aucun souvenir de cette page couverte d'une écriture rapide et nerveuse. Suis-je folle à ce point ?

Ce phénomène, je ne le retrouve pas que dans mon carnet. Je me vois souvent, allongée sur mon lit, repensant à la réponse que j'ai donnée à un camarade de classe dans la journée, ou à la réaction que j'ai offerte à un de mes professeurs. Chaque fois, la même pensée me revient : "ce n'est pas moi". Et pourtant, ce sont mes lèvres qui se sont mues pour parler, ce sont mes épaules qui se sont soulevées pour rire.

Deux personnalités ? Une simple maladie, un trouble psychologique, un rôle que je joue simplement. Voilà ma première conclusion, je suis mal dans ma peau et je joue un rôle. Je suis un peu folle sur les bords, comme je le répète à mes amies. Je ne l'ai jamais pensé auparavant. Maintenant, je le fais. Peut-être est-ce juste une mauvaise passe. Mais ce que je sais, c'est que ce n'est pas moi.

Le lendemain, je me rends au collège comme chaque fois. Je me vois, comme de l'extérieur de ma vie, checker des personnes que je n'apprécie pas, sourire alors même que je ne suis pas heureuse, dire des choses que je ne pense pas. Je ne le fais pas pour faire semblant, pour cacher mes problèmes, je le fais sincèrement sur le moment, puis je me rends compte que "ce n'était pas moi". C'est cette sensation venue des tréfonds de mon être qui me fait comprendre que je vis "à côté". Que je ne suis pas moi-même. Je ne me retrouve pas dans mes actes, mes paroles et mes rires. Je ne me retrouve pas dans ma vie. Et personne ne voit cela. Ils sont habitués à cet autre moi qui vit à ma place. Ils sont habitués à mes paroles et mes rires, puis à mes froncements de sourcils quand je me rends compte que je n'ai jamais pensé ce que j'ai dit. J'ai la véritable impression qu'on a pris possession de mon corps.

J'ai toujours prétendu et pensé que j'étais honnête, que je disais ce que je pensais. Aujourd'hui, je le sais, ce n'est plus vrai. Je ne suis plus honnête, parce que je dis spontanément des choses que je ne pense pas. Une simple habitude, l'habitude de jouer un rôle pour cacher qui je suis vraiment, ou simplement mes émotions, me dis-je. Sauf que je n'ai jamais joué ce rôle. On ne prend pas l'habitude de faire quelque chose qu'on ne fait pas.

Non, je n'ai qu'une conclusion.

Ce n'est pas moi.

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