Chapitre 33D: octobre 1784 - février 1785

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André m'apporta le soir venu l'animal inerte.

—'' Je l'ai trouvé au bas de l'immeuble. Il a dû sauter, ou bien tomber du toit. Je suis désolé pour les petits. Je vais l'enterrer. Je leur en offrirais un autre.

—'' Non. Enfin, ce n'est pas la peine que vous leur en offriez un autre. Les enfants n'y faisaient plus vraiment attention de toute façon.

Ce soir de décembre, je priais tout particulièrement pour mon petit Simon qui aurait en ce jour fêté ses dix ans. Le lendemain matin, les enfants découvraient ce que Saint-Nicolas avait glissé avec difficulté dans leurs chaussettes. Pour la première fois de leur vie, ils virent ce qu'était une orange, ce beau fruit a l'écorce éclatante dont le jus sucré leur coulerait bientôt dans la bouche, puis dans la gorge. J'avais dépensé les derniers louis qu'il me restait de mon frère pour leur offrir ce délice, auquel je ne goûterais même pas. Je lui avais envoyé à la fin du mois de novembre une lettre pour lui demander qu'il m'envoie encore un peu d'argent, mais il ne m'avait pas répondu. Il ne fallait pas compter sur André pour nous aider a payer le loyer, il ne gagnait presque rien, juste assez pour se nourrir et ne pas être expulsé de son minuscule appartement.

Je m'étais endormie sur le canapé avant minuit ce soir là. Une petite voix m'avait réveillée.

—'' Bonne année maman. Me glissa a l'oreille Léon-Paul, de sa petite voix fatiguée, en m'embrassant. Je serrais mon enfant contre moi, en baisant ses joues, heureuse.

Chaque premier janvier revenait l'anniversaire d’Émile, chaque deux novembre celui de Camille, chaque cinq décembre, celui de Simon, et à chaque fois, je priais pour eux. Je voulais que leur vie reste belle dans l'au - delà.

Je recevais de la part de mon frère une enveloppe remplie d'argent, peu de temps après la nouvelle année. Je ne comptais pas le prévenir de mon mariage, car sinon, il cesserait de m'entretenir. Une catastrophe qu'il valait mieux éviter.

Je rangeais mes bijoux dans ma chambre, lorsque j'avais une idée.

—'' Gustavine? Voulez vous que je vous perce les oreilles? Pour le mariage.

Elle arriva.

—'' Pourquoi pas. Vous avez des boucles d'oreille?

—'' Non. Mais je pourrais en acheter une paire, ou même deux, avant le mariage.

—'' Vous aussi il faudra que vous vous perciez les oreilles. Je le ferais si vous êtes d'accord.

—'' Oh la... Moi je ne sais pas...

—'' Mais si, vous verrez. On vous a déjà percé les oreilles je suppose?

—'' J'avais trois ans Gustavine! Je me souviens avoir pleuré de douleur. Bon, vous êtes prête?

—'' En fait, je ne suis plus si sûre... Doutait t-elle en riant

—'' Mais si, allez. Si vous acceptez que je vous le fasses, j'accepte que vous me le fassiez après.

Elle s'asseyait un peu anxieuse tandis que je préparais les bouts de bois, les passant sous le feu de la cuisinière.

—'' C'est bon? Vous êtes prête?

J'avais éteint la flamme et j'appuyais le bout de bois un peu consumé au milieu du lobe. Elle criait. Lorsque le bout traversait le lobe, il ne me restait plus qu'a faire l'autre oreille.

—'' Ça va?

—'' Oui, mais ça brûle. Elle se toucha l'oreille en soupirant. Ce n'était pas encore terminé.

Une fois que j'en avais terminé avec elle, c'était à moi d'y passer. Elle se débrouilla plutôt bien, même si je devais plusieurs fois lui expliquer. Gustavine avait peur de me faire mal, de rater, de me brûler ou de se brûler. L'après - dîner même, accompagnées de Léon - Paul et André que son frère était encore trop jeune pour garder, nous nous rendîmes à pied jusqu'à une bijouterie pour nous acheter chacune une paire de boucles d'oreilles. Tandis que ma belle - fille choisissait une belle paire incrustée de pierres bleue, qui scintillaient, je m'offrais deux petites perles blanches luisantes.

Je n'avais invité personne à mon mariage. Ce serait une petite cérémonie. Seuls mes garçons, vêtus de leurs plus beaux habits, et Gustavine, y assisteraient.

Deux jours après le quatrième anniversaire d'André, arriva le matin de mes noces.

Je m'étais faite belle pour l'occasion. Gustavine avait démêlé mes longs cheveux et me les avait soigneusement lavés, elle les avait tressés, puis elle avait surmonté ma coiffure d'une couronne de fleur tout a fait simple. J'avais enfilé ma robe blanche et je m'étais poudrée, parfumée, je voulais être féminine. Lorsque je sortais de ma chambre, en apparaissant ainsi devant mes fils, Léon - Paul s'exclamait en m'embrassant:

—'' Vous êtes belle maman. Je ne vous avais jamais vu aussi belle.

—'' Mais vous aussi vous êtes beau mon fils. Il aurait juste fallu que je prenne le temps de coiffer vos cheveux. Attendez.

Je tentais de peigner d'avantage les boucles rebelles de mon fils, j'obtenais un résultat moyen, mais ce n'était pas bien grave.

André, lui, lorsqu'il me vit, souriait en me sautant dans les bras.

—'' Maman!

Vers onze heures, nous partîmes pour l'église. André conduisait la voiture. Il ne m'avait pas encore vue dans ma robe, je ne l'avais pas encore vu dans son costume. C'était une petite cérémonie, mais je ne comptais pas abandonner les coutumes pour autant. Devant l'église, les témoins payés pour assister à la cérémonie et signer les registres patientaient en se frottant les mains, pourtant couverts chaudement.

La boule au ventre, je découvrais mon futur mari dans son costume du dimanche. Nous montâmes les marches de l'église, j'avais pris son bras, il souriait en marchant fièrement. Les enfants s'étaient assis sur les bancs les plus près de l'autel, dans l'église vide, on avait fermé les grandes portes une fois que les quatre témoins étaient entrés, il faisait froid. Chaque parole, chaque oraison du prêtre, chaque murmure résonnait en un long écho qui rebondissait contre les murs et faisait vibrer le vitrail.

André avait récupéré l'alliance de son ancienne femme pour me la mettre au doigt, tandis que j'avais récupéré celle que Léon portait, celle que je lui avais offert. Nous étions maintenant mariés, jusqu'à la mort d’un de nous deux. Les témoins signèrent avec nonchalance, avec nous, avant de recevoir leurs billets. Nous quittâmes si vite l'église que j'en étais moi - même surprise. Il nous avait fallu juste un peu plus d'une demie - heure pour sceller notre union.

Une fois de retour à la maison, pendant le repas, André nous annonça qu'il vendait son petit appartement pour venir s'installer avec nous. Je le savais depuis longtemps, mais pas mon fils benjamin, qui lui sauta dans les bras, heureux de pouvoir enfin vivre avec son beau-père qu'il adorait.

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