Chapitre XIII : Au fond du Trou, Partie 1

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« Ce qu'il s'est passé... Je reprenais mon souffle. Et bien, ce qu'il s'est passé Gnas, c'est que tu nous as sauvés. Tout en te mettant dans un piteux état... »

 Je la soutenais toujours de mes mains, la réchauffant du mieux que je le pouvais. Nos yeux ne se lâchaient plus. Je lisais dans les siens de l'apaisement, comme si je venais de la libérer d'un mauvais rêve, alors que dans les faits, c'était bel et bien elle qui aujourd'hui était une héroïne, elle en avait même payé le prix fort.

 Son corps était mutilé, perforé, détruit. Ses propres tremblements suffisaient à faire vibrer ma chair. Elle ne bougeait presque pas, presque plus, et même si elle ne semblait pas spécialement faiblir du regard, j'avais l'impression que tout son corps s'affalait, sa vie actuellement, était en train de glisser entre mes doigts. Comme si sa voix que je ne connaissais que depuis si peu, allait par son extinction déchirer quelque chose en moi. Comme si ne plus avoir à supporter cette fille entêtée et bougonne - que j'aurais pourtant pu tuer quelques heures plus tôt - s'annonçait comme une réelle tragédie.

 Bien que notre voyage ne faisait que commencer, je me sentais désormais redevable envers elle, envers son courage, envers le simple fait qu'elle ait fondu sur nos oppresseurs sans réfléchir, pour nous aider... Puis, toujours cette sensation indicible qui m'attirait désormais encore plus chez elle. Je me remettais à sangloter.

 Je sentais alors une main traverser maladroitement mes cheveux, agglomérant chacune des mèches sur son passage, pour finalement venir lentement se poser sur mon visage.
Ses doigts faibles se posaient sur ma joue, me colorant la peau de son sang, que je savais empli de souvenirs et de sensations. Son regard se plantait une nouvelle fois dans le mien, elle ne fuyait pas mes yeux, elle se contentait de me sourire, me faisant pleurer comme jamais je n'aurais pu imaginer. Sa bouche s'ouvrit lentement.

« Tu sais. Tu sais Evi'. Si je dois mourir, là, près du nain à ailes. Si je dois mourir, dans cette forêt, dans tes bras, à toi qui m'as vaincue, je m'en irai l'esprit léger... J'ai bien voyagé. Me lâchait-elle tandis que je la sentais s'affaisser.

- Non Gnas, tu ne peux pas, tu ne dois pas mourir, pense à ce qui nous attend, pense à tout ce que nous pourrions voir ensemble et vivre. Lui murmurais-je d'une voix tremblante. Ne me fuis pas...

- Sois forte, tu es forte... Tu es f... »

  Sa voix se stoppait nette, sa tête s'alourdissait et ses yeux lentement commençaient à se refermer. Gnas était en train de s'éteindre, là, entre mes doigts.

  « Noooooon ! Hurlais-je. Si la seule chose qui rythme ta vie doit être le sang, si seul le sang peut te maintenir en vie, alors je vais t'en donner ! Mais sois certaine que tu ne mourras pas en ayant comme seul souvenir le sang, tu ne mérites pas de souffrir, je t'ai mal jugée. »

 Du sang, il lui fallait du sang, j'allais lui en donner. Je plantais mes canines dans la main qui précédemment me permettait de soutenir son bassin. Seulement, malgré m'être mordue de toutes mes forces, seule la douleur envahissait mon bras, pas une goutte ne daignait apparaître.

 En une fraction de seconde me revinrent à l'esprit tous les souvenirs que j'avais vu en buvant involontairement son sang. Je repensais alors à toute la douleur que son corps et que son âme avaient accumulée, ou à laquelle elle s'abandonnait à chaque fois que ce qu'elle avait vécu devait la rattraper.

Comment seule cette morsure pouvait me paraître insurmontable... Quand cette fille venait de se sacrifier pour Tne' et moi.

 Je retirais ma main de ma bouche, et laissais mes canines supérieures et inférieures se planter dans ma langue. Un épais filet de sang se déversait de mes lèvres, j'en recouvrais Gnas, et je me sentais vaciller, assommée par l'importante effusion. Ma tête me paraissait lourde, trop lourde, elle échappait à mon contrôle et tombait en avant, droit sur l'agonisante.

 C'est à cet instant là que nos deux visages épuisés se retrouvèrent nez-à-nez, et que nos lèvres se lièrent. J'étais triste, affaiblie, euphorique, affolée, paniquée, je me sentais toute drôle, tout cela en même temps. Que se passait-il ?

 Sa bouche se remplissait de sang, elle ne réagissait pas, était-ce trop tard ? Je ne sentais plus aucun mouvement émanant d'elle. Je fermais les yeux, trop faible, désespérée. Une ombre sinistre semblait s'être penchée au-dessus de moi. Je n'avais finalement pas pu la sauver.

  C'est à cet instant précis, que je sentis une pression terrible sur mes lèvres. Le précieux liquide stagnant dans ma bouche était désormais siphonné par Gnas. J'ouvrais du mieux que je le pouvais mes yeux, espérant ne pas croiser les siens à cet instant précis.

 Ces derniers étaient pourtant grands ouverts, ils semblaient même illuminés d'une flamme plus intense qu'un brasier crépitant. Elle replaçait une de ses mains sur mon visage, puis se mettait à littéralement boire l'intérieur de ma propre bouche. Je ne savais plus quoi faire, peut-être devais-je juste me laisser faire.

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